L'Argent. Emile Zola

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу L'Argent - Emile Zola страница 5

L'Argent - Emile Zola

Скачать книгу

qui roulait son grand projet d'une banque, eut un léger frisson, fut traversé d'un pressentiment, à voir ce sac, ce charnier des valeurs dépréciées, dans lequel passait tout le sale papier balayé de la Bourse.

      Comme Busch emmenait la vieille femme, Saccard le retint.

      «Alors, je puis monter, je suis certain de trouver votre frère?»

      Les yeux du juif s'adoucirent, exprimèrent une surprise inquiète.

      «Mon frère, mais certainement! Où voulez-vous qu'il soit?

      – Très bien, à tout à l'heure!»

      Et, Saccard, les laissant s'éloigner, poursuivit sa marche lente, le long des arbres, vers la rue Notre-Dame des Victoires. Ce côté de la place est un des plus fréquentés, occupé par des fonds de commerce, des industries en chambre, dont les enseignes d'or flambaient sous le soleil. Des stores battaient aux balcons, toute une famille de province restait béante, à la fenêtre d'un hôtel meublé. Machinalement, il avait levé la tête, regardé ces gens dont l'ahurissement le faisait sourire, en le réconfortant par cette pensée qu'il y aurait toujours, dans les départements, des actionnaires. Derrière son dos, la clameur de la Bourse, le bruit de la marée lointaine continuait, l'obsédait, ainsi qu'une menace d'engloutissement qui allait le rejoindre.

      Mais une nouvelle rencontre l'arrêta.

      «Comment, Jordan, vous à la Bourse?» s'écria-t-il, en serrant la main d'un grand jeune homme brun, aux petites moustaches, à l'air décidé et volontaire.

      Jordan, dont le père, un banquier de Marseille, s'était autrefois suicidé, à la suite de spéculations désastreuses, battait depuis dix ans le pavé de Paris, enragé de littérature, dans une lutte brave contre la misère noire. Un de ses cousins, installé à Plassans, où il connaissait la famille de Saccard, l'avait autrefois recommandé à ce dernier, lorsque celui-ci recevait tout Paris, dans son hôtel du parc Monceau.

      «Oh! à la Bourse, jamais!» répondît le jeune homme, avec un geste violent, comme s'il chassait le souvenir tragique de son père.

      Puis, se remettant à sourire:

      «Vous savez que je me suis marié… Oui, avec une petite amie d'enfance. On nous avait fiancés aux jours où j'étais riche, et elle s'est entêtée à vouloir quand même du pauvre diable que je suis devenu.

      – Parfaitement, j'ai reçu la lettre de faire part, dit Saccard. Et imaginez-vous que j'ai été en rapport, autrefois, avec votre beau-père, M. Maugendre, lorsqu'il avait sa manufacture de bâches, à la Villette. Il a dû y gagner une jolie fortune.»

      Cette conversation avait lieu prés d'un banc, et Jordan l'interrompit, pour présenter un monsieur gros et court, à l'aspect militaire, qui se trouvait assis, et avec lequel il causait, lors de la rencontre.

      «Monsieur le capitaine Chave, un oncle de ma femme… Mme Maugendre, ma belle-mère, est une Chave, de Marseille.»

      Le capitaine s'était levé, et Saccard salua. Celui-ci connaissait de vue cette figure apoplectique, au cou raidi par l'usage du col de crin, un de ces types d'infimes joueurs au comptant, qu'on était certain de rencontrer tous les jours là, d'une heure à trois. C'est un jeu de gagne-petit, un gain presque assuré de quinze à vingt francs, qu'il faut réaliser dans la même Bourse.

      Jordan avait ajouté avec son bon rire expliquant sa présence:

      «Un boursier féroce, mon oncle, dont je ne fais, parfois, que serrer la main en passant.

      – Dame! dit simplement le capitaine, il faut bien jouer, puisque le gouvernement, avec sa pension, me laisse crever de faim.»

      Ensuite, Saccard, que le jeune homme intéressait par sa bravoure à vivre, lui demanda si les choses de la littérature marchaient. Et Jordan, s'égayant encore, raconta l'installation de son pauvre ménage à un cinquième de l'avenue de Clichy; car les Maugendre, qui se défiaient d'un poète, croyant avoir beaucoup fait en consentant au mariage, n'avaient rien donné, sous le prétexte que leur fille, après eux, aurait leur fortune intacte, engraissée d'économies. Non, la littérature ne nourrit pas son homme, il avait en projet un roman qu'il ne trouvait pas le temps d'écrire, et il était entré forcément dans le journalisme, où il bâclait tout ce qui concernait son état, depuis des chroniques, jusqu'à des comptes rendus de tribunaux et même des faits divers.

      «Eh bien, dit Saccard, si je monte ma grande affaire, j'aurai peut-être besoin de vous. Venez donc me voir.»

      Après avoir salué, il tourna derrière la Bourse. Là, enfin, la clameur lointaine, les abois du jeu cessèrent, ne furent qu'une rumeur vague, perdue dans le grondement de la place. De ce côté, les marches étaient également envahies de monde; mais le cabinet des agents de change, dont on voyait les tentures rouges par les hautes fenêtres, isolait du vacarme de la grande salle la colonnade, où des spéculateurs, les délicats, les riches, s'étaient assis commodément à l'ombre, quelques-uns seuls, d'autres par petits groupes, transformant en une sorte de club ce vaste péristyle ouvert au plein ciel. C'était un peu, ce derrière du monument, comme l'envers d'un théâtre, l'entrée des artistes, avec la rue louche et relativement tranquille, cette rue Notre-Dame-des-Victoires, occupée toute par des marchands de vin, des cafés, des brasseries, des tavernes, grouillant d'une clientèle spéciale, étrangement mêlée. Les enseignes indiquaient aussi la végétation mauvaise, poussée au bord d'un grand cloaque voisin des compagnies d'assurances mal famées, des journaux financiers de brigandage, des sociétés, des banques, des agences, des comptoirs, la série entière des modestes coupe-gorge, installés dans des boutiques ou à des entresols, larges comme la main. Sur les trottoirs, au milieu de la chaussée partout, des hommes rôdaient, attendaient, ainsi qu'à la corne d'un bois.

      Saccard s'était arrêté à l'intérieur des grilles, levant les yeux sur la porte qui conduit au cabinet des agents de d'ange, avec le regard aigu d'un chef d'armée examinant sous toutes ses faces la place dont il veut tenter l'assaut, lorsqu'un grand gaillard, qui sortait d'une taverne, traversa la rue et vint s'incliner très bas.

      «Ah! monsieur Saccard, n'avez-vous rien pour moi? J'ai quitté définitivement le Crédit mobilier, je cherche une situation.»

      Jantrou était un ancien professeur, venu de Bordeaux à Paris, à la suite d'une histoire restée louche. Obligé de quitter l'Université, déclassé, mais beau garçon avec sa barbe noire en éventail et sa calvitie précoce, d'ailleurs lettré, intelligent et aimable, il était débarqué à la Bourse vers vingt-huit ans, s'y était traîné et sali pendant dix années comme remisier, en n'y gagnant guère que l'argent nécessaire a ses vices. Et, aujourd'hui, tout à fait chauve, se désolant ainsi qu'une fille dont les rides menacent le gagne-pain, il attendait toujours l'occasion qui devait le lancer au succès, à la fortune.

      Saccard, à le voir si humble, se rappela avec amertume, le salut de Sabatani, chez Champeaux: décidément, les tarés et les ratés seuls lui restaient. Mais il n'était pas sans estime pour l'intelligence vive de celui-ci, et il savait bien qu'on fait les troupes les plus braves avec les désespérés, ceux qui osent tout, ayant tout à gagner. Il se montra bonhomme.

      «Une situation, répéta-t-il. Eh! ça peut se trouver. Venez me voir.

      – Rue Saint-Lazare, maintenant, n'est-ce pas?

      – Oui, rue Saint-Lazare. Le matin.»

      Ils causèrent. Jantrou était très animé contre la Bourse, répétant qu'il fallait être un coquin pour y réussir, avec la rancune d'un homme qui n'avait pas eu la coquinerie chanceuse. C'était fini,

Скачать книгу