Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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Les peintres byzantins ne faisaient pas, et encore aujourd'hui, ne font pas de cartons; ils peignent immédiatement sur le mur. Pendant le moyen âge, en Occident, on procédait de la même manière: c'est ce qui explique l'utilité absolue de ces recettes données dans le Guide de la peinture cité plus haut, dans l'essai du moine Théophile et dans le traité de Cennino Cennini. D'ailleurs, comment ces artistes qui couvraient en peu de temps des surfaces très-étendues auraient-ils eu le temps de faire des cartons; tout au plus pouvaient-ils préparer des maquettes à une échelle réduite. Pendant les XIIe et XIIIe siècles, les traits gravés dans l'enduit frais ne se voient qu'exceptionnellement, et ces traits indiquent toujours le décalque d'un carton; on aperçoit souvent au contraire des traits légers faits au pinceau, couverts de la couche colorante sur laquelle le trait définitif qui est une façon de modelé, vient s'apposer. Ce trait définitif, corrige, rectifie l'esquisse primitive, la modifie même parfois complétement, et nous ne connaissons guère de peintures des XIIe, XIIIe et XIVe siècles sans repentirs.
Les peintres du XIIe siècle employaient plusieurs sortes de peintures: la peinture à fresque, la peinture à la colle, à l'oeuf, et la peinture à l'huile. Cette dernière, faute d'un siccatif, n'était toutefois employée que pour de petits ouvrages, des tableaux sur panneaux que l'on pouvait facilement exposer au soleil. Pour l'emploi de la peinture à fresque, c'est-à-dire sur enduit de mortier frais, l'artiste commençait, ainsi que nous venons de le dire, par tracer avec de l'ocre rouge délayée dans de l'eau pure les masses de ses personnages, puis il posait le ton local qui faisait la demi-teinte, par couches successives, mêlant de la chaux au ton; il modelait les parties saillantes, ajoutant une plus grande partie de chaux à mesure qu'il arrivait aux dernières couches; puis avec du brun rouge mêlé de noir, il redessinait les contours, les plis, les creux, les linéaments intérieurs des nus ou des draperies.
Cette opération devait être faite rapidement, afin de ne pas laisser sécher complétement l'enduit et les premières couches. Cette façon de peindre dans la pâte donne une douceur et un éclat particuliers à ce genre de travail, et un modelé qui, d'un bleu intense, arrivant par exemple sur les parties saillantes ou claires, au blanc presque pur, n'est ni sec ni criard, chaque ton superposé s'embuvant dans le ton inférieur et y participant. L'habileté du praticien consiste à connaître exactement le degré de siccité qu'il faut laisser prendre à chaque couche avant d'en apposer une nouvelle. Si cette couche est trop humide, le ton apposé la détrempe de nouveau et fait avec elle une boue tachée, lourde, sale; si elle est trop sèche, le ton apposé ne tient pas, ne s'emboit pas, et forme un cerné sombre sur son contour. Le trait noir brun, si nécessaire et qui accuse les silhouettes et les formes intérieures, les ombres, les plis, etc., était souvent placé lorsque le modelé par couches successives était sec, afin d'obtenir plus de vivacité et de netteté. Alors on le collait avec de l'oeuf ou de la colle de peau. Aussi voit-on souvent, dans ces anciennes fresques, ce trait brun se détacher par écailles et ne pas faire corps avec l'enduit.
L'emploi de la chaux comme assiette et même comme appoint lumineux dans chaque ton, ne permettait au peintre que l'usage de certaines couleurs, telles que les terres, le cobalt bleu ou vert. Cette obligation de n'employer que les terres et un très-petit nombre de couleurs minérales, contribuait à donner à ces peintures une harmonie très-douce et pour ainsi dire veloutée. Au XIIIe siècle, cette harmonie paraissant trop pâle en regard des vitraux colorés qui donnent des tons d'une intensité prodigieuse, on dut renoncer à la peinture à fresque, afin de pouvoir employer les oxydes de plomb, les verts de cuivre et même des laques. D'ailleurs, l'architecture adoptée ne permettant pas les enduits, il fallait bien trouver un procédé de peinture qui facilitât l'apposition directement sur la pierre. En effet, divers procédés furent employés. Les plus communs sont: la peinture à l'oeuf, sorte de détrempe légère et solide; la peinture à la colle de peau ou à la colle d'os, également très-durable lorsqu'elle n'est pas soumise à l'humidité. La plus solide est la peinture à la résine dissoute dans un alcool, mais ce procédé assez dispendieux, n'était employé que pour des travaux délicats. Quelquefois aussi on se contentait d'un lait de chaux appliqué comme assiette, et sur lequel on peignait à l'eau avant que cette couche de chaux, mise à la brosse, fût sèche. La peinture à l'huile très-clairement décrite par le moine Théophile, et adoptée avant lui, puisqu'il ne s'en donne pas comme l'inventeur, ne s'employait, ainsi que nous le disions plus haut, que sur des panneaux, à cause du temps qu'il fallait laisser à chaque couche pour qu'elle pût sécher au soleil, les siccatifs n'étant pas encore en usage 74.
La peinture à la gomme, employée au XIIe siècle, paraît avoir été fréquemment pratiquée par les peintres du XIIIe pour de menus objets, tels que retables, boiseries, etc. «Si vous voulez accélérer votre travail, dit Théophile 75, prenez de la gomme qui découle du cerisier ou du prunier, et la coupant en petites parcelles, placez-la dans un vase de terre; versez de l'eau abondamment, puis exposez au soleil, ou bien, en hiver, sur un feu doux, jusqu'à ce que la gomme se liquéfie. Mêlez soigneusement au moyen d'une baguette, passez à travers un linge; broyez les couleurs (avec) et appliquez-les. Toutes les couleurs et leurs mélanges peuvent être broyés et posés à l'aide de cette gomme, excepté le minium, la céruse et le carmin, qui doivent se broyer et s'appliquer avec du blanc d'oeuf...» Ces peintures à la gomme, ou même à l'huile, étaient habituellement recouvertes d'un vernis composé de gomme arabique dissoute à chaud dans l'huile de lin 76; elles avaient ainsi un éclat extraordinaire.
Les artistes du XIIIe siècle, en peignant des sujets dans des salles garnies de vitraux colorés, tenaient à leur donner un brillant et une solidité de ton supérieurs à la peinture d'ornement et qui pussent lutter avec l'or très-fréquemment employé alors. Pour obtenir cet éclat, ils devaient faire usage des glacis, et en effet la coloration des figures, lorsqu'elles sont peintes avec quelque soin, est obtenue principalement par des appositions de couleurs transparentes sur une préparation en camaïeux très modelés. Ces artistes, soit par tradition, soit d'instinct, avaient le sentiment de l'harmonie (leurs vitraux en sont une preuve évidente pour tout le monde). Du jour que l'or entrait dans la décoration pour une forte part, il fallait nécessairement modifier l'harmonie douce et claire admise par les peintres du XIIe siècle. L'or est un métal et non une couleur, et sa présence en larges surfaces dans la peinture force le peintre à changer toute la gamme de ses tons. L'or a des reflets clairs très-vifs, très-éclatants, des demi-teintes et des ombres d'une intensité et d'une chaleur auprès desquelles toute couleur devient grise, si elle est claire, obscure et lourde, si elle est sombre 77. Pour pouvoir lutter avec ces clairs si brillants et ces demi-teintes si chaudes de l'or, il fallait des tons très-colorés, mais qui, pour ne pas paraître noirs, devaient conserver la transparence d'une aquarelle. C'est ainsi que les petits sujets décorant l'arcature de la sainte Chapelle haute du Palais à Paris étaient traités. Ces sujets, qui se détachent alternativement sur un fond de verre damasquiné de dorures ou d'or gaufré, avaient été peints très-clairs, puis rehaussés par une coloration transparente très-vive et des traits bruns. Cependant, avec l'or, tous les tons
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Du tombeau d'un abbé de Saint-Philibert de Tournus. Voyez les copies faites par M. Denuelle sur l'ensemble de cette peinture remarquable, représentant un couronnement de la Vierge (
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La coloration de cette peinture a presque entièrement disparu.
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«On peut, dit Théophile, broyer les couleurs de toute espèce avec la même sorte d'huile (l'huile de lin), et les poser sur un ouvrage de bois, mais seulement pour les objets qui peuvent être séchés au soleil; car, chaque fois qu'une couleur est appliquée, vous ne pouvez en apposer une autre, si la première n'est séchée: ce qui, dans les images et autres peintures, est long et très-ennuyeux.» (Liv. I, chap. XXVII.)
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Liv. I, chap. XXVII.
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Théoph., chap. XXI,
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Nous avons des exemples de l'effet que produit l'or à côté de tons à la fresque, à la cire ou même à l'huile empâtée. Des vêtements blancs sur un fond d'or paraissent sales, gris et ternes, les chairs sont lourdes. Les seuls tons qui se soutiennent sur des fonds d'or, sont les tons transparents que l'on peut obtenir par des glacis. Et encore faut-il faire sur l'or, soit un travail de gaufrure, soit un treillis puissant, une mosaïque. Les voûtes des