Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome V. Buonaparte Napoleon
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Le prince de Schwartzenberg a passé le Bug à Droghitschin, a poursuivi l'ennemi dans ses différentes directions, et s'est emparé de plusieurs voitures de bagages. Le prince de Schwartzenberg se loue de l'accueil qu'il reçoit des habitans, et de l'esprit de patriotisme qui anime ces contrées.
Ainsi dix jours après l'ouverture de la campagne, nos avant-postes sont sur la Dwina. Presque toute la Lithuanie, ayant quatre millions d'hommes de population, est conquise. Les mouvemens de guerre ont commencé au passage de la Vistule. Les projets de l'empereur étaient dès-lors démasqués, et il n'y avait pas de temps à perdre pour leur exécution. Aussi l'armée a-t-elle fait de fortes marches depuis le passage de ce fleuve, pour se porter par des manoeuvres sur la Dwina, car il y a plus loin de la Vistule à la Dwina, que de la Dwina à Moscou et a Pétersbourg.
Les Russes paraissent se concentrer sur Dunabourg; ils annoncent le projet de nous attendre et de nous livrer bataille avant de rentrer dans leurs anciennes provinces, après avoir abandonné sans combat la Pologne, comme s'ils étaient pressés par la justice, et qu'ils voulussent restituer un pays mal acquis, puisqu'il ne l'a été ni par les traités, ni par le droit de conquête.
La chaleur continue à être très-forte.
Le peuple de Pologne s'émeut de tous côtés. L'aigle blanche est arborée partout. Prêtres, nobles, paysans, femmes, tous demandent l'indépendance de leur nation. Les paysans sont extrêmement jaloux du bonheur des paysans du grand-duché, qui sont libres; car, quoi qu'on dise, la liberté est regardée par les Lithuaniens comme le premier des biens. Les paysans s'expriment avec une vivacité d'élocution qui ne semble pas devoir appartenir aux climats du nord, et tous embrassent avec transport l'espérance que la fin de la lutte sera le rétablissement de leur liberté. Les paysans du grand-duché ont gagné à la liberté, non qu'ils soient plus riches, mais que les propriétaires sont obligés d'être modérés, justes et humains, parce qu'autrement les paysans quitteront leurs terres pour chercher de meilleurs propriétaires. Ainsi le noble ne perd rien; il est seulement obligé d'être juste, et le paysan gagne beaucoup. Ç'a dû être une douce jouissance pour le coeur de l'empereur, que d'être témoin, en traversant le grand-duché, des transports de joie et de reconnaissance qu'excite le bienfait de la liberté accordée à quatre millions d'hommes.
Six régimens d'infanterie de nouvelle levée viennent d'être décrétés en Lithuanie, et quatre régimens de cavalerie viennent d'être offerts par la noblesse.
S.M. fait élever sur la rive droite de la Vilia un camp retranché fermé par des redoutes, et fait construire une citadelle sur la montagne où était l'ancien palais des Jagellons. On travaille à établir deux ponts de pilotis sur la Vilia. Trois ponts de radeaux existent déjà sur cette rivière.
Le 8, l'empereur a passé la revue d'une partie de sa garde, composée des divisions Laborde et Roguet, que commande le maréchal duc de Trévise, et de la vieille garde, que commande le maréchal duc de Dantzick, sur l'emplacement du camp retranché. La belle tenue de ces troupes a excité l'admiration générale.
Le 4, le maréchal duc de Tarente fit partir de son quartier-général de Rossiena, capitale de la Samogitie, l'une des plus belles et des plus fertiles provinces de la Pologne, le général de brigade baron Ricard, avec une partie de la septième division, pour se porter sur Poniewiez; le général prussien Kleist, avec une brigade prussienne, a été envoyé sur Chawli; et le brigadier prussien de Jeannerel, avec une autre brigade prussienne, sur Telch. Ces trois commandans sont arrivés à leur destination. Le général Kleist n'a pu atteindre qu'un hussard russe, l'ennemi ayant évacué en toute hâte Chawli, après avoir incendié les magasins.
Le général Ricard est arrivé, le 6 de grand matin, à Poniewiez. Il a eu le bonheur de sauver les magasins qui s'y trouvaient, et qui contenaient trente mille quintaux de farine. Il a fait cent soixante prisonniers, parmi lesquels sont quatre officiers. Cette petite expédition fait le plus grand honneur au détachement de hussards de la Mort prussien, qui en a été chargé. S.M. a accordé la décoration de la Légion-d'Honneur au commandant, au lieutenant de Raven, aux sous-officiers Werner et Pommereit, et au brigadier Grabouski, qui se sont distingués dans cette affaire.
Les habitans de la province de Samogitie se distinguent par leur patriotisme. Ils ont un grief de plus que les autres Polonais: ils étaient libres; leur pays est riche; il l'était davantage; mais leurs destinées ont changé avec la chute de la Pologne. Les plus belles terres ayant été données par Catherine aux Soubow, les paysans, de libres qu'ils étaient, ont dû devenir esclaves. Le mouvement de flanc qu'a fait l'armée sur Wilna, ayant tourné cette belle province, elle se trouve intacte, et sera de la plus grande utilité à l'armée. Deux mille chevaux sont en route pour venir réparer les pertes de l'artillerie. Des magasins considérables ont été conservés. La marche de l'armée de Kowno sur Wilna, et de Wilna sur Dunabourg et sur Minsk, a obligé l'ennemi à abandonner les rives du Niémen, et a rendu libre cette rivière, par laquelle de nombreux convois arrivent à Kowno. Nous avons dans ce moment plus de cent cinquante mille quintaux de farine, deux millions de rations de biscuit, six mille quintaux de riz, une grande quantité d'eau-de-vie, six cent mille boisseaux d'avoine, etc. Les convois se succèdent avec rapidité: le Niémen est couvert de bateaux.
Le passage du Niémen a eu lieu le 24, et l'empereur est entré à Wilna le 38. La première armée de l'Ouest, commandée par l'empereur Alexandre, est composée de neuf divisions d'infanterie et de quatre divisions de cavalerie. Poussée de poste en poste, elle occupe aujourd'hui le camp retranché de Drissa, où le roi de Naples, avec les corps des maréchaux ducs Elchingen et de Reggio, plusieurs divisions du premier corps, et les corps de cavalerie des comtes Nansouty et Montbrun, la contient. La seconde armée, commandée par le prince Bagration, était encore, le premier juillet, à Kobrin, où elle se réunissait. Les neuvième et quinzième divisions étaient plus loin, sous les ordres du général Tormazow. A la première nouvelle du passage du Niémen, Bagration se mit en mouvement pour se porter sur Wilna; il fit sa jonction avec les cosaques de Platow, qui étaient vis-à-vis Grodno. Arrivé à la hauteur d'Ivié, il apprit que le chemin de Wilna lui était fermé. Il reconnut que l'exécution des ordres qu'il avait serait téméraire et entraînerait sa perte, Soubotnicki, Traboui, Witchnew, Volojink, étant occupés par les corps du général comte Grouchy, du général Pajol, et du maréchal prince d'Eckmühl. Il rétrograda alors, et prit la direction de Minsk; mais arrivé à demi-chemin de cette ville, il apprit que le prince d'Eckmühl y était entré. Il rétrograda encore une fois: de Newij il marcha sur Slousk, et de là il se porta sur Bobruisk, où il n'aura d'autre ressource que de passer le Borysthène. Ainsi, les deux armées sont entièrement coupées, et séparées entre elles par un espace de cent lieues.
Le prince d'Eckmühl s'est emparé de la place forte de Borisow sur la Bérésina. Soixante milliers de poudre, seize pièces de canon de siège, des hôpitaux, sont tombés en son pouvoir. Des magasins considérables ont été incendiés une partie cependant a été sauvée.
Le 10, le général Latour-Maubourg a envoyé la division de cavalerie légère, commandée par le général Rozniecki, sur Mir. Elle a rencontré l'arrière-garde ennemie à peu de distance de cette ville. Un engagement très-vif eut lieu. Malgré l'infériorité du nombre de la division polonaise, le champ lui est resté. Le général de cosaques Gregoriew a été tué, et quinze cents Russes ont été tués ou blessés. Notre perte a été de cinq cents hommes au plus. La cavalerie légère polonaise s'est battue avec la plus grande intrépidité, et son courage a suppléé au nombre. Nous sommes entrés le même jour à Mir.