La Pire Espèce. Chiara Zaccardi
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Il veut le faire tout seul.
C’est une tâche simple, qui l’apaise. Une routine pacificatrice.
Il reprend la fourgonnette et ses principes de précautions évidentes.
La fourgonnette, il la considère déjà comme une amie. C’est dans ses habitudes de s’attacher aux choses, plus qu’aux personnes. Les choses ne trahissent pas. Elles ne gênent pas. Elles ne déclenchent pas de démangeaisons nerveuses, à l’inverse des hommes qui savent souvent les provoquer.
Oui, la fourgonnette est un animal docile qu’il sera dommage de tuer à la fin du voyage. Tant pis. Il y aura sans aucun doute d’autres, savoureuses, consolations.
Il roule sur l’asphalte lisse, sur la route plate et linéaire, se permettant un instant de se perdre dans ses pensées, dans le paysage décharné.
Le paysage colle bien. Au fur et à mesure qu’il avance, la civilisation se fait moins importante et la nature prend racine. Une nature aride, hostile. Le vide, dans un monde surpeuplé, est une perle rare et précieuse. Une perle qui peut devenir un excellent outil. Une perle à conquérir et à exploiter.
Il a le sentiment d’être sur la bonne voie. Non pas celle correcte, indiquée sur la carte. Celle qui est juste pour eux. Pour l’action.
Il poursuit. Calme et lucide.
Sans s’arrêter, il contrôle les indications aux alentours. L’objectif est à l’horizon. Un point unique et sombre.
Il réduit sa vitesse. Il fait durer l’attente.
Il ne veut pas se laisser ronger par l’impatience. Il la contrôle.
Il n’y a aucun arbre, ni le long de la chaussée, ni à des milles à la ronde. Il se gare à une certaine distance. Sa présence peut être vue, de loin, mais aucune cible et aucun visage ne peuvent être mémorisés, reconnus.
Il défait la ceinture de sécurité et s’installe confortablement sur le siège. Il sort des jumelles du tableau de bord. Un vieux cadeau d’un père fait à son enfant boy-scout. Un père qui n’aurait jamais pu prévoir l’utilité et l’usage d’un gadget si innocent.
Il perd quelques minutes pour les mettre au point à la perfection. Avec les gants, il est plus difficile de tourner la molette afin de régler les prismes. Il ne les enlève pas. Il patiente et respire.
Puis, il observe.
Cela lui prend quelques heures.
Il veut avoir une vue d’ensemble, pas uniquement sur un point précis, mais sur tout ce qui se trouve là-bas. Il se déplace, il cherche à voir encore plus loin, il revient à son poste de surveillance.
Pour ne pas avoir à se repentir d’erreurs commises, il ne faut rien laisser passer.
Il faut un tableau complet. Et son tableau, un tableau qui n’a que soif de se transformer en une oeuvre d’art, se compose bientôt de chiffres.
Trois représente le nombre de voitures qui circulent aux alentours durant son exploration sur place. Deux proviennent du Nevada, une de l’Utah. Toutes de passage, aucune permanente. Aucune qui ne ralentit à la vue de la camionnette stationnée.
Deux, c’est le nombre de présences. Un jeu d’enfants.
Zéro, le nombre de possibilités d’échappatoire.
Un bon bilan, digne d’un business parfait.
Il repose les jumelles. Il a joué son rôle. Pour le reste, on n’a pas besoin de lui.
Il ne remet pas la ceinture. Il passe une vitesse et appuie de manière décisive sur l’accélérateur.
Aucune grille. Aucune barrière.
Il s’arrête devant l’entrée, le nez du camion dirigé vers la porte.
Il rallume la radio.
KEIRA
LUNDI 11 MARS
« Excusez-moi, je peux vous parler une minute ? »
Keira Sullivan referme d’un claquement sec le téléphone avec lequel elle a envoyé un message à Lake, puis interpelle une femme d’une cinquantaine d’années.
Elle s’est garée devant l’école de son frère et l’attend. Mais, avant de le voir sortir, elle a remarqué son enseignante et a réussi à l’intercepter.
« Je voulais savoir comment Josh s’en sort » poursuit-elle.
Josh a été le premier de sa classe en primaire, mais maintenant il est en cinquième et l’année précédente, avec ce qui est arrivé, ses notes ont chuté. Il a commencé à mentir, il a trafiqué son bulletin de notes et, par miracle, il est passé dans la classe supérieure. Keira ne veut pas que cela se répète.
Elle sent distinctement les yeux de la femme se poser d’abord sur son jean déchiré, puis sur son corsage en dentelle et enfin remonter pour examiner son piercing à la lèvre et, plus haut, l’autre au sourcil gauche. À la fin, elle esquisse une grimace et souligne : « Personne de la famille de Josh n’est venu aux entretiens du premier semestre » .
Cette fois-ci, c’est Keira qui grimace. Elle se souvient très bien que c’était son père qui devait s’en occuper. Elle et Josh attendaient comme toujours qu’il rentre à la maison avec un cadeau pour tous les deux, heureux d’avoir des enfants aussi brillants.
Elle se souvient aussi que la dernière fois, en revanche, ça ne s’est pas passé comme ça. Sa mère n’est pas venue car elle s’est écroulée dans la salle de bains après avoir ingurgité la moitié d’un flacon de pilules, et elle, elle a passé l’après-midi à côté de la cuvette des toilettes pour la faire vomir.
« Je sais, excusez-nous, ma mère et moi, nous travaillons et nous n’avons pas beaucoup de temps » se justifie-t-elle. C’est plus ou moins la vérité, même si son temps partiel au supermarché est pourri et que sa mère est licenciée en moyenne tous les deux mois.
L’enseignante semble accepter l’explication et soupire : « Josh arrive tout juste à la moyenne, mais il ne s’implique pas beaucoup et a des problèmes de concentration. Je sais qu’il pourrait obtenir de brillants résultats, parce qu’il est intelligent et qu’en classe il se comporte bien, mais je crois que le problème est en dehors d’ici et qu’à la maison il n’étudie pas » .
Keira se mord la lèvre. Son frère reste souvent seul, donc il n’y a personne pour l’encourager ou pour l’aider dans ses devoirs.
« Ce qui me préoccupe le plus » continue l’enseignante. « Ce sont les jeunes qu’il fréquente. Plus grands et redoublants. Je ne suis pas sûr qu’ils aient une influence positive sur lui, surtout parce que, de cette façon, il s’exclut du reste de la classe » .
« Josh n’a pas d’amis dans sa classe ? »
« Personne à qui il prête une attention