Ethan Frome / Sous la neige. Edith Wharton
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Sous la neige~ Chapitre I
Le cœur de Frome se mit à battre plus fort. Malgré tous ses efforts pour découvrir la jolie tête brune à l'écharpe cerise, un autre regard avait été plus prompt que le sien ! Il en souffrit. Le boute-en-train dansait bien, et sa partenaire s'animait au jeu ; son clair visage se balançait, en passant sous les mains qui formaient la chaîne ; le tourbillon qui l'empor-tait, de plus en plus rapide, soulevait de ses épaules l'écharpe qui se déroulait derrière elle. A chaque tour, Frome aperce-vait ses lèvres entr'ouvertes et rieuses, les cheveux bruns qui voltigeaient sur son front. Les yeux sombres demeuraient l'unique point fixe dans ce labyrinthe de lignes mouvantes.
Les couples tournaient de plus en plus vite : pour les suivre, les musiciens étaient obligés de torturer leurs instru-ments. Et cependant il semblait à Ethan que la scottish ne finirait jamais… De temps à autre, il détournait son regard de la jeune fille pour le reporter sur son cavalier : il souff-rait de voir celui-ci, dans l'enivrement du plaisir, prendre à l'égard de sa compagne des airs de conquérant. Denis Eady était le fils de Michel Eady, l'ambitieux épicier irlandais qui avait introduit dans Starkfield, avec une souple effronterie, les méthodes de commerce « nouveau jeu ». Parmi les modestes maisons en bois de la Grande Rue, le bâtiment tout en bri-ques qu'il venait de faire construire témoignait de son succès. Quant au jeune homme, il paraissait disposé à marcher sur les traces paternelles : il était déjà en train d'appliquer les mêmes procédés à conquérir les jeunes filles du pays. Jusque-là Ethan s'était contenté de le tenir pour un garçon de peu. Mais, à l'heure présente, comme il l'eût cravaché avec plaisir ! Il s'étonnait, en vérité, que la jeune fille ne se défiât pas. Comment pouvait-elle supporter que ce gaillard l'enlevât ain-si, visage contre visage ? Comment pouvait-elle lui abandon-ner ses mains ? Est-ce qu'elle ne sentait pas tout ce qu'avaient d'offensant ce regard et ce contact ? …
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Ethan Frome ~Chapter I
Frome was in the habit of walking into Starkfield to fetch home his wife’s cousin, Mattie Silver, on the rare eve-nings when some chance of amusement drew her to the vil-lage. It was his wife who had suggested, when the girl came to live with them, that such opportunities should be put in her way. Mattie Silver came from Stamford, and when she entered the Fromes’ household to act as her cousin Zeena’s aid it was thought best, as she came without pay, not to let her feel too sharp a contrast between the life she had left and the isolation of a Starkfield farm. But for this—as Frome sar-donically reflected—it would hardly have occurred to Zeena to take any thought for the girl’s amusement.
When his wife first proposed that they should give Mattie an occasional evening out he had inwardly demurred at having to do the extra two miles to the village and back after his hard day on the farm; but not long afterward he had reached the point of wishing that Starkfield might give all its nights to revelry.
Mattie Silver had lived under his roof for a year, and from early morning till they met at supper he had frequent chances of seeing her; but no moments in her company were comparable to those when, her arm in his, and her light step flying to keep time with his long stride, they walked back through the night to the farm. He had taken to the girl from the first day, when he had driven over to the Flats to meet her, and she had smiled and waved to him from the train, crying out, “You must be Ethan!” as she jumped down with her bundles, while he reflected, looking over her slight person: “She don’t look much on housework, but she ain’t a fretter, anyhow.” But it was not only that the coming to his house of a bit of hopeful young life was like the lighting of a fire on a cold hearth. The girl was more than the bright serviceable creature he had thought her. She had an eye to see and an ear to hear: he could show her things and tell her
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Sous la neige~ Chapitre I
Mattie Silver, la danseuse sur qui se concentrait l'at-tention d'Ethan, était une cousine de sa femme. Les soirs, extrêmement rares, où Starkfield s'accordait quelque récréa-tion, elle participait à ces fêtes, et Frome vers les onze heures venait la chercher pour la ramener à la ferme. C'était Mrs. Frome elle-même qui avait réglé les choses de cette façon lorsque Mattie était venue demeurer avec eux. La jeune fille était de Stamford, une des grandes villes industrielles de la Nouvelle-Angleterre. Elle était venue habiter auprès de sa cousine Zeena, qu'elle aidait ; mais, comme elle n'était pas rétribuée, Mrs. Frome, en femme pratique, avait imaginé de lui permettre ces divertissements afin qu'elle sentît moins le contraste entre sa vie antérieure et sa vie nouvelle. « Autre-ment, — se disait avec ironie Ethan Frome, — jamais elle n'eût songé à procurer des distractions à Mattie… »
Lorsque Zeena lui en avait parlé pour la première fois, Ethan avait bougonné en lui-même : la perspective d'avoir à faire plusieurs milles après sa journée de rude labeur lui souri-ait médiocrement. Mais il en était venu bien vite à souhaiter que Starkfield organisât des divertissements chaque soir.
Il y avait un an déjà que Mattie Silver habitait chez ses cousins. Entre l'instant du réveil et le souper, Frome avait fréquemment l'occasion de se trouver avec elle. Mais aucun des moments qu'il passait en sa compagnie ne lui semblait aussi délicieux que ceux où, seuls dans la nuit, ils s'acheminaient à travers la campagne, Mattie appuyée au bras d'Ethan et s'efforçant de régler son pas sur celui de son compagnon… Du premier jour, elle l'avait séduit. Il était allé l'attendre en voiture à la gare des Flats, et, aussitôt l'arrêt du train, elle était venue droit à lui, en criant : « Vous devez être Ethan Frome ! … » Il la voyait encore, sautant du wagon, son petit bagage à la main ; dès ce moment, rien qu'à observer sa fragile personne, il s'était dit : « Elle ne me semble guère taillée pour abattre de la besogne, mais en tout cas elle paraît
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Ethan Frome ~Chapter I
things, and taste the bliss of feeling that all he imparted left long reverberations and echoes he could wake at will.
It was during their night walks back to the farm that he felt most intensely the sweetness of this communion. He had always been more sensitive than the people about him to the appeal of natural beauty. His unfinished studies had given form to this sensibility and even in his unhappiest mo-ments field and sky spoke to him with a deep and powerful persuasion. But hitherto the emotion had remained in him as a silent ache, veiling with sadness the beauty that evoked it. He did not even know whether any one else in the world felt as he did, or whether he was the sole victim of this mournful privilege. Then he learned that one other spirit had trembled with the same touch of wonder: that at his side, living under his roof and eating his bread, was a creature to whom he could say: “That’s Orion down yonder; the big fellow to the right is Aldebaran, and the bunch of little ones—like bees swarming—they’re the Pleiades…” or whom he could hold entranced before a ledge of granite thrusting up through the fern while he unrolled the huge panorama of the ice age, and the long dim stretches of succeeding time. The fact that admiration for his learning mingled with Mattie’s wonder at what he taught was not the least part of his pleasure. And there were other sensations, less definable but more exquisite, which drew them together with a shock of silent joy: the cold red of sunset behind winter hills, the flight of cloud-flocks over slopes of golden stubble, or the intensely blue shadows of hemlocks on sunlit snow. When she said to him once: “It
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Sous la neige~ Chapitre I
facile à vivre… » Et cependant, ce n'était pas seulement un peu de vie jeune et enthousiaste qui était entrée avec elle dans la maison : elle était plus que cela ; plus qu'un petit être serviable et gai, comme il l'avait cru d'abord. Elle savait voir, elle savait écouter, et Frome s'aperçut bientôt qu'on pouvait lui montrer les choses ou les lui raconter.