La Danse Des Ombres. Nicky Persico

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La Danse Des Ombres - Nicky Persico

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ce qui se passe autour de nous.

      Cet employé distrait affichait à présent un air austère et digne, et se tenait droit, comme pour souligner, par sa posture, le rôle qui lui incombait. Tel un soldat chevronné, il porta le sifflet à sa bouche d’un geste mesuré et souffla fort: trois fois, avec une intensité et une durée rigoureusement identiques. Indéniablement, la maîtrise du geste semblait être le résultat d’années d’expérience.

      Le train se mit à ralentir et atteignit lentement le quai, arrêtant le centre exact de la chaîne de wagons juste en face de l’entrée. Il y en avait seulement trois, au total: l’unité motrice, un seul compartiment voyageurs, et à l’arrière, une dernière voiture sans fenêtres, sûrement destinée aux marchandises. Asdrubale n’en fut pas étonné: avec un seul quai, après tout, on ne pouvait tout de même pas s’attendre à un bolide argenté dernier cri.

      Les portes se placèrent juste en face de lui, et s’ouvrirent en coulissant, dans des bouffées de fumée.

       Il posa un premier pied sur le marchepied et entra.

      À nouveau, il demeura abasourdi, car les surprises n’étaient décidément pas terminées. Tout le reste il avait pu, d’une certaine manière, le justifier, l’expliquer, le comprendre mais ce qu’il avait devant les yeux était vraiment insolite: les sièges étaient en bois. Et une nouvelle fois, il fut frappé par cette odeur ancienne et caractéristique, qu’il n’avait sentie que lorsqu’il était enfant. Oh, quelle belle surprise: il n’aurait jamais cru que de tels wagons circulaient encore.

      Il n’y avait pas de cloisons. Les sièges étaient incommodes, spartiates, bas et usés par le temps. Mais presque tous étaient occupés par des bagages de tailles diverses: paquets, boîtes, sacs. À un seul endroit apparemment, il restait des places assises disponibles: au fond vers le wagon de tête, où deux rangées de sièges en face l’une de l’autre, traversées par l’allée centrale, étaient occupées par des gens. Il s’y dirigea, l’air circonspect et quelque peu étonné, et vit qu’il n’y avait qu’un seul siège vide.

      Une femme bien en chair et boulotte regarda en sa direction et lui dit: «Bonsoir, Monsieur. Voulez-vous que je déplace quelques paquets, afin que vous puissiez avoir une place séparée? Veuillez nous excuser si nous avons profité de l’espace, mais dans ce train, habituellement, il n’y a jamais personne.» Ceci étant dit, elle fut sur le point de se lever, comme pour montrer qu’elle était sérieuse.

       «Non, non, Madame – répondit-il poliment – ne vous dérangez pas, je vous en prie. Je vais m’installer sur ce siège libre, si vous le permettez.»

      Il avait appris qu’il fallait toujours répondre avec courtoisie à la courtoisie, par bienveillance.

      La femme, simplette et rubiconde, sourit, tout en se rasseyant.

      Pendant ce temps, tout le monde l’observait: il y avait sept personnes. Ou plutôt six pour être exact, parce qu’à sa grande surprise il remarqua que le septième – pourtant assis et bien élevé – était un grand chien au pelage doré. Lui aussi cependant le regardait de la même manière que les autres: il avait vraiment, outre sa posture, quelque chose d’humain.

      Sentant tous les regards posés sur lui, Asdrubale esquissa un sourire et inclina légèrement la tête en guise de salutation.

      Tous répondirent de la même façon, y compris le chien: ça alors, quel drôle d’effet. Il s’agissait vraiment de la dernière soirée la plus étrange de toute sa vie, pensa-t-il, cela ne faisait aucun doute.

      Après avoir plié son manteau, il se pencha pour le ranger sur le porte-bagages situé en hauteur et s’assit près de la fenêtre. À la dérobée, il observa tous les passagers, à commencer par la femme rondelette, juste en face de lui. À bien les regarder, ils étaient tout à fait ordinaires: l’un d’eux était un homme âgé, absorbé par un vieux journal. Il y avait aussi un jeune homme élégant, à l’air suffisant mais en même temps courtois. Un jeune garçon, tout juste adolescent, maigrichon. Une jeune femme, la trentaine, à la mine fatiguée et au regard triste, et enfin une vieille dame qui semblait absente, ailleurs, ou peut-être n’était-ce qu’une impression.

      Personne n’avait prêté attention à ce discret tour d’horizon, pensa-t-il, jusqu’à ce qu’il croise les yeux du chien. Ce dernier le fixait avec insistance, et avait bien sûr remarqué son examen minutieux: son regard semblait presque réprobateur.

      Oh, mince alors, il était seulement en train de se laisser impressionner. Toute cette émotion, à laquelle s’ajoutait sans doute la fatigue, la marche, le train inattendu, et tout le reste. C’était sûrement ça. Et il ne s’agissait que d’un chien. Un peu humain dans son regard, oui, mais il restait néanmoins un quadrupède privé de parole.

      Il regarda au dehors, et vit la lumière du quai s’éloigner peu à peu: le train s’était mis en marche à présent. Sur le quai, aucune trace du guichetier chef de gare: de lui, on avait seulement entendu, peu de temps avant, le triple coup de sifflet austère et précis. Eh bien, il devait sûrement s’en être retourné à son poste.

      Asdrubale s’installa tranquillement, tout en regardant autour de lui.

      Posé sur lui, cependant, il sentait encore le regard du chien. Il n’osa pas vérifier, et continua de se répéter que ce n’était qu’une impression.

      Et le voilà ici, à présent. S’étant volontairement dirigé vers l’inconnu, pour le dernier soir de la dernière fois qu’il faisait chaque chose: quelle émotion! La seule possible, désormais, mais plus que suffisante. Toujours mieux que le contraire, ou que le vide qui engourdissait son esprit. Durant ces journées alors rongées par la fatigue, ces soirées maussades, ces nuits vides et remplies de silence, ces matinées interminables, tourmentées par la tristesse à la lumière du matin qu’il supportait à contrecoeur avec sa sourde indifférence. Rien.

      Rien à quoi rêver, rien à désirer, rien à espérer et rien à imaginer.

      Rien était un mot difficile à comprendre. Comment décrire quelque chose qui non seulement n’existe pas mais qui surtout n’est pas?

      Un mot capable à lui seul de bloquer les pensées dans un cercle vicieux, à bien y réfléchir.

      Et pourtant il le ressentait, le «rien», à l’intérieur de lui-même.

      Comment puis-je ressentir, se disait-il, quelque chose qui n’est pas?

       Néanmoins, il existe bel et bien et absorbe tout ce qui l’entoure: la lumière, la couleur, la musique et la vie.

      Un gouffre sans fond et sans forme, qui engloutit tout, qui anéantit, qui détruit.

      Mais désormais ce n’était plus un problème, heureusement.

      Il poussa un soupir de soulagement: depuis qu’il savait qu’il faisait les choses pour la dernière fois, tout avait disparu depuis un moment. Tout ceci avait presque débuté comme un jeu.

      Mais très vite, ce jeu était devenu un moyen de fuir, il avait finalement guidé ses pas, jusqu’à ce qu’il arrive à cette soirée étrange, dans ce train bizarre.

      Il était donc occupé à contempler l’obscurité défiler derrière la vitre, quand il entendit une voix qui le fit légèrement tressaillir.

      «Billets,

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