Corysandre. Hector Malot
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—Je n'ai jamais vu d'aussi beaux cheveux blonds.
—Il n'y a plus de blondes.
—Au moins il n'y en a plus de ce blond; il y a des blondes châtain, des blondes cendré, il n'y a plus de blondes pures, de ce blond de moissons mûries par le soleil; c'est ce qu'on peut appeler la sincérité du blond.
—C'est déjà quelque chose d'avoir de la sincérité dans les cheveux.
—Ce serait peu, mais elle paraît en avoir ailleurs: ainsi dans son front si pur, dans ses yeux naïfs, et son regard limpide, dans sa bouche innocente, dans son attitude modeste. Naïve, douce, modeste et admirablement belle d'une beauté qui s'impose par l'éclat et la majesté, voilà une réunion qui est rare. Maintenant a-t-elle cette sincérité dans le coeur et dans l'esprit? Cela, je l'ignore, elle ne dit rien ou presque rien: et sous ce rapport il est difficile de la juger; je ne parle que de ce j'ai vu, et ce que j'ai vu, ce qui m'a frappé, ce qui m'a ébloui c'est sa beauté, c'est cette chevelure blonde, ces yeux bruns sous un sourcil pâle, ce teint d'une blancheur veloutée, enfin c'est, comme disaient nos pères, ce port de reine bien curieux vraiment, bien extraordinaire chez une jeune fille qui n'a pas dix-huit ans.
—En a-t-elle même dix-sept?
—La mère dit dix-huit.
—On a vu des mères vieillir leurs filles pour s'en débarrasser plus vite.
—La mère est encore fort bien.
—Un peu empâtée.
—Une créole.
—Est-elle créole?
—Elle en a l'air.
—Elle a même l'air plus que créole.
—C'est peut-être une octoroon.
—Qu'est-ce que c'est que ça, une octoroon?
—C'est la descendante d'un blanc et d'une négresse arrivée à la huitième génération; chez elle le sang noir a si bien disparu qu'il n'en reste plus trace, même pour l'oeil exercé d'un créole; ni la paume de sa main, ni ses ongles ne disent plus rien de son origine.
C'était cette belle Corysandre qui, lorsque les salons s'étaient fermés à Paris, était venue avec sa mère passer la saison à Bade.
Et là on avait parlé d'elle comme on en avait parlé à Paris, car s'il est des gens qui passent partout inaperçus, il en est d'autres qui ne peuvent faire un pas sans provoquer le tapage et la curiosité.
Cependant, leur installation fort modeste dans un petit chalet des allées de Lichtenthal n'avait rien du faste insolent de quelques étrangers qui semblent n'être venus à Bade que pour y trouver le plaisir de dépenser leur argent avec ostentation: trois domestiques noirs, un homme et deux femmes; une calèche louée au mois; il n'y avait certes pas là de quoi forcer l'attention; avec cela un cercle de relations assez banal, une loge au théâtre, une heure de station à la musique, une promenade rapide dans les salons de la Conversation sans jamais risquer un florin à la table de la roulette, tous les matins la messe à l'église catholique, c'était tout.
Il était impossible de mener une vie plus simple et cependant...
Cependant toutes les fois que madame de Barizel et sa fille se montraient quelque part, il n'y avait plus d'yeux que pour elles ou tout au moins pour Corysandre, et instantanément c'était d'elles qu'on s'occupait.
—Pourquoi parle-t-on tant d'elle, même dans les journaux?
—Notre temps est celui de la réclame; tout finit par se placer avec des annonces bien faites et souvent répétées: la mère s'entoure de journalistes.
S'il n'était pas rigoureusement exact de dire que madame de Barizel recherchait les journalistes, au moins était-ce vrai en partie et particulièrement pour un correspondant de journaux français et américains nommé Leplaquet.
Ancien médecin dans la marine de l'État, ancien directeur d'un journal français à Bâton-Rouge, Leplaquet était bien réellement le commensal de madame de Barizel et en quelque sorte son homme d'affaires, au moins pour certaines affaires. On disait et il le racontait lui-même, qu'il l'avait connue en Amérique, où il avait été son ami et plus encore l'ami de M. de Barizel; à propos de cette liaison ancienne il était même plein d'histoires plus ou moins intéressantes qu'il contait volontiers, même sans qu'on les lui demandât, et dans lesquelles la grosse fortune et la haute situation de son ami le comte de Barizel, un type d'honneur et d'intrépidité, remplissaient toujours une place considérable; en Amérique, où lui Leplaquet, était un personnage, il n'avait connu que des personnages, et parmi les plus élevés, son bon ami Barizel.
Ces histoires, on les écoutait parce qu'elles étaient généralement bien dites et avec une verve méridionale qui s'imposait; mais on les eût peut-être mieux accueillies et avec plus de confiance si le conteur avait été plus sympathique. Malheureusement ce n'était pas le cas de Leplaquet, qui, avec sa face plate, son front bas, ses yeux fuyants, son air sombre, son attitude hésitante, inspirait plutôt la défiance que la sympathie, la répulsion que l'attraction.
D'autre part, le trop d'empressement qu'il mettait à les conter à tout propos et souvent hors de propos leur nuisait aussi: on s'étonnait que cet homme qui, ordinairement, disait du mal de tout le monde, cherchât si obstinément les occasions de dire du bien de la seule madame de Barizel.
De même on cherchait aussi pourquoi il déployait tant de zèle à racoler des convives pour les dîners de madame de Barizel.
Bien entendu, c'était dans son monde qu'il les prenait, ces convives, parmi les artistes, les musiciens, les peintres, les sculpteurs, surtout parmi les journalistes, ses confrères, français ou étrangers; il suffisait, qu'on tînt une plume, quelle qu'elle fût, pour être invité par lui chez madame de Barizel.
Bien que des invitations de ce genre fussent assez fréquentes à Bade, où plus d'une femme en vue employait ses amis à l'enrôlement d'une petite cour composée de gens qui avaient un nom, la persistance et l'activité que Leplaquet apportait à ces enrôlements étaient si grandes qu'elles ne pouvaient pas ne pas provoquer un certain étonnement. C'était à croire qu'il guettait ceux qu'il pouvait inviter, car dès qu'ils arrivaient et à leurs premiers pas dans Bade, il sautait sur eux et les enveloppait.
Le lendemain, l'invité de Leplaquet s'asseyait à la droite de la comtesse de Barizel, qui se montrait une femme supérieure dans l'art de chatouiller la vanité littéraire de son convive, dont la veille elle ne connaissait même pas le nom, lui répétant avec une grâce pleine de charme la leçon qu'elle avait apprise de Leplaquet; et le surlendemain, au sortir du lit, de bonne heure, encore sous l'influence des beaux yeux de Corysandre, les oreilles encore chaudes des compliments de la comtesse, il envoyait à son journal une correspondance consacrée à la gloire des Barizel.
III
Une maison hospitalière: comme l'était celle de madame de Barizel devait s'ouvrir facilement pour le prince Savine.