Sapho. Alphonse Daudet

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Sapho - Alphonse Daudet

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et au premier rang, Déchelette, le maître du logis, fronçait sous un haut bonnet persan ses petits yeux, son nez kalmouck, sa barbe grisonnante, heureux de la gaieté des autres et samusant éperdument, sans quil y parût.

      Lingénieur Déchelette, une figure du Paris artiste dil y a dix ou douze ans, très bon, très riche, avec des velléités dart et cette libre allure, ce mépris de lopinion que donnent la vie de voyage et le célibat, avait alors lentreprise dune ligne ferrée de Tauris à Téhéran; et chaque année, pour se remettre de dix mois de fatigues, de nuits sous la tente, de galopades fiévreuses à travers sables et marais, il venait passer les grandes chaleurs dans cet hôtel de la rue de Rome, construit sur ses dessins, meublé en palais dété, où il réunissait des gens desprit et de jolies filles, demandant à la civilisation de lui donner en quelques semaines lessence de ce quelle a de montant et de savoureux.

      «Déchelette est arrivé.» Cétait la nouvelle des ateliers, sitôt quon avait vu se lever comme un rideau de théâtre limmense store de coutil sur la façade vitrée de lhôtel. Cela voulait dire que la fête commençait et quon allait en avoir pour deux mois de musiques et festins, danses et bombances, tranchant sur la torpeur silencieuse du quartier de lEurope à cette époque des villégiatures et des bains de mer.

      Personnellement, Déchelette nétait pour rien dans le bacchanal qui grondait chez lui nuit et jour. Ce noceur infatigable apportait au plaisir une frénésie à froid, un regard vague, souriant, comme hatschisché, mais dune tranquillité, dune lucidité imperturbables. Très fidèle ami, donnant sans compter, il avait pour les femmes un mépris dhomme dOrient, fait dindulgence et de politesse; et de celles qui venaient là, attirées par sa grande fortune et la fantaisie joyeuse du milieu, pas une ne pouvait se vanter davoir été sa maîtresse plus dun jour.

      «Un bon homme tout de même…» ajouta lÉgyptienne qui donnait à

       Gaussin ces renseignements. Sinterrompant tout à coup:

      — Voilà votre poète…

      — Où donc?

      — Devant vous… en marié de village…

      Le jeune homme eut un «Oh!» désappointé. Son poète! Ce gros homme, suant, luisant, étalant des grâces lourdes dans le faux-col à deux pointes et le gilet fleuri de Jeannot… Les grands cris désespérés du Livre de lAmour lui venaient à la mémoire, du livre quil ne lisait jamais sans un petit battement de fièvre; et tout haut, machinalement, il murmurait:

      Pour animer le marbre orgueilleux de ton corps, Ô Sapho, jai donné tout le sang de mes veines…

      Elle se retourna vivement, avec le cliquetis de sa parure barbare:

      — Que dites-vous là?

      Cétaient des vers de La Gournerie; il sétonnait quelle ne les connût pas.

      «Je naime pas les vers…» fit-elle dun ton bref; et elle restait debout, le sourcil froncé, regardant la danse et froissant nerveusement les belles grappes lilas qui pendaient devant elle. Puis, avec leffort dune décision qui lui coûtait: «Bonsoir…» et elle disparut.

      Le pauvre pifferaro resta tout saisi. «Quest-ce quelle a?… Que lui ai-je dit?…» Il chercha, ne trouva rien, sinon quil ferait bien daller se coucher. Il ramassa mélancoliquement sa cornemuse et rentra dans le bal, moins troublé du départ de lÉgyptienne que de toute cette foule quil devait traverser pour gagner la porte.

      Le sentiment de son obscurité parmi tant dillustrations le rendait plus timide encore. Maintenant on ne dansait plus; quelques couples çà et là, acharnés aux dernières mesures dune valse qui mourait, et parmi eux Caoudal, superbe et gigantesque, tourbillonnant la tête haute avec une petite tricoteuse, coiffe au vent, quil enlevait sur ses bras roux.

      Par le grand vitrage du fond large ouvert, entraient des bouffées dair matinales et blanchissantes, agitant les feuilles des palmiers, couchant les flammes des bougies comme pour les éteindre. Une lanterne en papier prit feu, des bobèches éclatèrent, et tout autour de la salle, les domestiques installaient des petites tables rondes comme aux terrasses des cafés. On soupait toujours ainsi par quatre ou cinq chez Déchelette; et les sympathies en ce moment se cherchaient, se groupaient.

      Cétaient des cris, des appels féroces, le «Pil… ouit» du faubourg répondant au «You you you you» en crécelle des filles dOrient, et des colloques à voix basse, et des rires voluptueux de femmes quon entraînait dune caresse.

      Gaussin profitait du tumulte pour se glisser vers la sortie, quand son ami létudiant larrêta, ruisselant, les yeux en boule, une bouteille sous chaque bras: «Mais où êtes-vous donc?… Je vous cherche partout… jai une table, des femmes, la petite Bachellery des Bouffes… En Japonaise, savez bien… Elle menvoie vous chercher. Venez vite…» et il repartit en courant.

      Le pifferaro avait soif; puis livresse du bal le tentait, et le minois de la petite actrice qui de loin lui faisait des signes. Mais une voix sérieuse et douce murmura près de son oreille: «Ny va pas…»

      Celle de tout à lheure était là, tout contre lui, lentraînant dehors, et il la suivit sans hésiter. Pourquoi? Ce nétait pas lattrait de cette femme; il lavait à peine regardée, et lautre là-bas qui lappelait, dressant les couteaux dacier de sa chevelure, lui plaisait bien davantage. Mais il obéissait à une volonté supérieure à la sienne, à la violence impétueuse dun désir.

      Ny va pas!…

      Et subitement ils se trouvèrent tous deux sur le trottoir de la rue de Rome. Des fiacres attendaient dans le matin blême. Des balayeurs, des ouvriers allant au travail regardaient cette maison de fête grondante et débordante, ce couple travesti, un Mardi Gras en plein été.

      «Chez vous, ou chez moi?…» demanda-t-elle. Sans bien sexpliquer pourquoi, il pensa que chez lui ce serait mieux, donna son adresse lointaine au cocher; et pendant la route qui fut longue ils parlèrent peu. Seulement elle tenait une de ses mains entre les siennes quil sentait très petites et glacées; et, sans le froid de cette étreinte nerveuse, il aurait pu croire quelle dormait, renversée au fond du fiacre, avec le reflet glissant du store bleu sur la figure.

      On sarrêta rue Jacob, devant un hôtel détudiants. Quatre étages à monter, cétait haut et dur.» Voulez-vous que je vous porte?…» dit-il en riant, mais tout bas, à cause de la maison endormie. Elle lenveloppa dun lent regard, méprisant et tendre, un regard dexpérience qui le jaugeait et clairement disait: «Pauvre petit…»

      Alors lui, dun bel élan, bien de son âge et de son Midi, la prit, lemporta comme un enfant, car il était solide et découplé avec sa peau blonde de demoiselle, et il monta le premier étage dune haleine, heureux de ce poids que deux beaux bras, frais et nus, lui nouaient au cou.

      Le second étage fut plus long, sans agrément. La femme sabandonnait, se faisait plus lourde à mesure. Le fer de ses pendeloques, qui dabord le caressait dun chatouillement, entrait peu à peu et cruellement dans sa chair.

      Au troisième, il râlait comme un déménageur de piano; le souffle lui manquait, pendant quelle murmurait, ravie, la paupière allongée: «Oh! mami, que cest bon… quon est bien…» Et les dernières marches, quil grimpait une à une, lui semblaient dun escalier géant dont les murs, la rampe, les étroites fenêtres tournaient en une interminable spirale. Ce nétait plus une femme quil portait, mais quelque chose de lourd, dhorrible, qui létouffait, et quà tout moment il était tenté de lâcher, de jeter avec colère, au risque dun écrasement brutal.

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