Sapho. Alphonse Daudet

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Sapho - Alphonse Daudet

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eux, elle se leva, mit sa robe à tâtons, tordit ses cheveux en hâte: «Reste là… je reviens…» Elle rentrait au bout dun moment avec une énorme brassée de fleurs des champs inondées de rosée. «Maintenant dormons…» dit-elle en éparpillant sur le lit cette odorante fraîcheur de la flore matinale qui ravivait latmosphère autour deux. Et jamais elle ne lui avait paru si jolie quà cette entrée de grange, riant dans le petit jour, avec ses légers cheveux tout envolés et ses herbes folles.

      Une autre fois, ils déjeunaient à Ville-dAvray devant létang. Un matin dautomne enveloppait de brume leau calme, la rouille des bois en face deux; et seuls dans le petit jardin du restaurant, ils sembrassaient en mangeant des ablettes. Tout à coup, dun pavillon rustique branché dans le platane au pied duquel leur table était mise, une voix forte et narquoise appela: «Dites donc, les autres, quand vous aurez fini de vous bécoter…» Et la face de lion, la moustache rousse du sculpteur Caoudal se penchait dans lembrasure en rondins du chalet.

      — Jai bien envie de descendre déjeuner avec vous… Je mennuie comme un hibou dans mon arbre…

      Fanny ne répondait pas, visiblement gênée de la rencontre; lui, au contraire, accepta bien vite, curieux de lartiste célèbre, flatté de lavoir à sa table.

      Caoudal, très coquet dans une apparence négligée, mais où tout était calculé depuis la cravate en crêpe de chine blanc pour éclaircir un teint sabré de rides et de couperoses, jusquau veston serré sur la taille encore svelte et les muscles en saillie, Caoudal lui parut plus vieux quau bal de Déchelette.

      Mais ce qui le surprit et même lembarrassait un peu, ce fut le ton dintimité du sculpteur avec sa maîtresse. Il lappelait Fanny, la tutoyait.

      — Tu sais, lui disait-il en installant son couvert sur leur nappe, je suis veuf depuis quinze jours. Maria est partie avec Morateur. Ça ma laissé assez tranquille les premiers temps… Mais ce matin, en entrant à latelier, je me suis senti faignant comme tout… Impossible de travailler… Alors jai lâché mon groupe et je suis venu déjeuner à la campagne. Fichue idée, quand on est seul… Un peu plus je larmoyais dans ma gibelotte…

      Puis regardant le Provençal dont la barbe follette et les cheveux bouclés avaient le ton du sauternes dans les verres:

      — Est-ce beau, la jeunesse!… Pas de danger quon le lâche, celui-là… Et ce quil y a de plus fort, cest que ça se gagne… Elle a lair aussi jeune que lui…

      — Malhonnête!… fit-elle en riant; et son rire sonnait bien la séduction sans âge, la jeunesse de la femme qui aime et veut se faire aimer.

      «Étonnante… Étonnante…» murmurait Caoudal, qui lexaminait tout en mangeant, avec un pli de tristesse et denvie grimaçant au coin de sa bouche.

      — Dis donc, Fanny, te rappelles-tu un déjeuner ici… cest loin, dam!… nous étions Ezano, Dejoie, toute la bande… tu es tombée dans létang. On ta habillée en homme, avec la tunique du garde- pêche. Ça tallait richement bien…

      — Rappelle plus… fit-elle froidement, et sans mentir; car ces créatures changeantes et de hasard ne sont jamais quà lheure présente de leur amour. Nulle mémoire de ce qui précéda, nulle crainte de ce qui peut venir.

      Caoudal, au contraire, tout au passé, dévidait à coups de sauternes ses exploits de robuste jeunesse, damour et de beuverie, parties de campagne, bals à lOpéra, charges datelier, batailles et conquêtes. Mais, en se tournant vers eux avec léclair remonté à ses yeux de toutes les flammes quil remuait, il saperçut quils ne lécoutaient guère, occupés à égrener des raisins aux lèvres lun de lautre.

      — Est-ce assez rasant ce que je vous raconte là… Mais si, mais si, je vous assomme… Ah! nom dun chien… Cest bête dêtre vieux…

      Il se leva, jeta sa serviette

      — Pour moi, le déjeuner, père Langlois… cria-t-il vers le restaurant.

      Il séloigna tristement, traînant les pieds, comme rongé dun mal incurable. Longtemps les amoureux suivirent sa longue taille qui se voûtait sous les feuilles couleur dor.

      «Pauvre Caoudal!… cest vrai quil se tasse…» murmura Fanny dun ton de douce commisération; et comme Gaussin sindignait que cette Maria, une fille, un modèle, pût samuser des souffrances dun Caoudal et préférer au grand artiste… qui?… Morateur, un petit peintre sans talent, nayant pour lui que sa jeunesse, elle se mit à rire: «Ah! innocent… innocent…» et lui renversant la tête à deux mains sur ses genoux, elle le humait, le respirait, dans les yeux, dans les cheveux, partout, comme un bouquet.

      Le soir de ce jour-là, Jean pour la première fois coucha chez sa maîtresse qui le tourmentait à ce sujet depuis trois mois:

      — Mais enfin, pourquoi ne veux-tu pas?

      — Je ne sais… ça me gêne.

      — Puisque je te dis que je suis libre, que je suis seule…

      Et la fatigue de la partie de campagne aidant, elle lentraîna rue de lArcade, tout près de la gare. À lentresol dune maison bourgeoise dapparence honnête et cossue, une vieille servante en bonnet paysan, lair revêche, vint leur ouvrir.

      — Cest Machaume… Bonjour Machaume… dit Fanny lui sautant au cou. Tu sais, le voilà mon aimé, mon roi… je lamène… Vite, allume tout, fais la maison belle…

      Jean resta seul dans un tout petit salon aux fenêtres cintrées et basses, drapées de la même soie bleue banale qui couvrait les divans et quelques meubles laqués. Aux murs trois ou quatre paysages égayaient et aéraient létoffe; tous portaient un mot de dédicace: «À Fanny Legrand», «À ma chère Fanny…».

      Sur la cheminée, un marbre demi-grandeur de la Sapho de Caoudal, dont le bronze est partout, et que Gaussin dès sa petite enfance avait vu dans le cabinet de travail de père. Et à la lueur de lunique bougie posée près du socle, il saperçut de la ressemblance, affinée et comme rajeunissante, de cette oeuvre dart avec sa maîtresse. ces lignes du profil, ce mouvement de taille sous la draperie, cette rondeur filante des bras noués autour des genoux lui étaient connus, intimes; son oeil les savourait avec le souvenir de sensations plus tendres.

      Fanny, le trouvant en contemplation devant le marbre, lui dit dun air dégagé: «Il y a quelque chose de moi, nest ce pas?… le modèle de Caoudal me ressemblait…» Et tout de suite elle lemmena dans sa chambre, où Machaume en rechignant installait deux couverts sur un guéridon; tous les flambeaux allumés, jusquaux bras de larmoire à glace, un beau feu de bois, gai comme un premier feu, flambant sous le pare-étincelles, la chambre dune femme qui shabille pour le bal.

      — Jai voulu souper là, dit-elle en riant… nous serons plus vite au lit.

      Jamais Jean navait vu dameublement aussi coquet. Les lampes Louis XVI, les mousselines claires des chambres de sa mère et de ses soeurs ne donnaient pas la moindre idée de ce nid ouaté, capitonné, où les boiseries se cachaient sous des satins tendres, où le lit nétait quun divan plus large que les autres, étalé au fond sur des fourrures blanches.

      Délicieuse, cette caresse de lumière, de chaleur, de reflets bleus allongés dans les glaces biseautées, après leur course à travers champs, londée quils avaient reçue, la boue des chemins creux sous le jour qui tombait. Mais ce qui lempêchait de déguster en vrai provincial ce confort de rencontre, cétait la mauvaise

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