Ghislaine. Hector Malot

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Ghislaine - Hector Malot страница 4

Автор:
Серия:
Издательство:
Ghislaine - Hector Malot

Скачать книгу

abandonné leur vieil hôtel du quartier du Temple pour faire bâtir celui-là, ils avaient en vue le confortable et l'agrément plus que la richesse de l'architecture ou de la décoration, et leur but a été atteint: il y a de plus belles, de plus somptueuses demeures dans ce quartier, il n'y en a pas de mieux ensoleillée l'hiver et de plus discrètement ombragée l'été, de plus agréable à habiter, avec de la lumière, de l'air, de l'espace, de plus tranquille, où l'on soit mieux chez soi.

      Quand Ghislaine et son oncle revinrent de la justice de paix, ils n'entrèrent pas dans l'hôtel.

      —Si nous faisions une promenade dans le jardin, proposa M. de Chambrais.

      Ghislaine savait ce que cela voulait dire; c'était le moyen que son oncle employait lorsqu'il voulait l'entretenir en particulier, en se tenant à distance de lady Cappadoce et de ses oreilles toujours aux aguets: le temps était doux, le ciel radieux, le jardin se montrait tout lumineux et tout parfumé des fleurs de mai avec les reflets rouges des rhododendrons épanouis qui éclairaient les murs, les oiseaux chantaient dans les massifs; ce désir de promenade devait donc paraître tout naturel sans qu'on eût à lui chercher des explications de mystère ou de secret, mais précisément rien ne paraissait naturel à la curiosité de lady Cappadoce, et tout lui était mystères qu'elle voulait pénétrer.

      Pourquoi se serait-on caché d'elle? Ne devait-elle pas connaître tout ce qui touchait son élève? Si à chaque instant elle affirmait bien haut «qu'elle n'était pas de la famille,» en réalité, elle estimait que Ghislaine était sa fille. Ce n'est pas en gouvernante qu'elle l'avait élevée, c'était en mère. Une Cappadoce n'est pas gouvernante. Si le malheur des temps l'avait obligée, à la mort de son mari, officier dans l'armée anglaise, à accepter de diriger l'éducation de cette enfant, elle n'avait pas pour cela cessé d'être une lady, et c'était en lady qu'elle voulait être traitée, le malheur n'avait point abattu sa fierté, au contraire; les Cappadoce valaient bien les Chambrais sans doute, et même, en remontant dans les âges, il était facile de prouver qu'ils valaient mieux.

      Quand elle vit le comte et Ghislaine se diriger vers le jardin, elle fit quelques pas en avant pour se rattacher à eux:

      —Que faisons-nous ce soir? demanda-t-elle, restons-nous à Paris, ou partons-nous pour Chambrais?

      —Mon oncle, c'est à vous que la question s'adresse, dit Ghislaine; si vous me faites le plaisir de rester à dîner je couche ici, sinon je retourne à Chambrais.

      Le comte parut embarrassé, Il y avait tant de tendresse dans l'accent de ces quelques mots, qu'il comprit qu'il allait la peiner s'il n'acceptait pas cette invitation; mais d'autre part il sentait que ce serait un si cruel désappointement pour lui de ne pas rejoindre le duc de Charmont, qu'il ne savait quel parti prendre.

      —C'est que Charmont m'a demandé de dîner avec lui, dit-il enfin.

      Le regard que sa nièce attacha sur lui l'arrêta.

      —Je ne lui ai pas promis, reprit-il vivement, parce que je pensais bien que tu voudrais me garder; et cependant il a beaucoup insisté, il s'agit pour lui d'une décision grave à prendre.

      —Il faut y aller, mon oncle.

      —Si tu le veux....

      —Nous partirons pour Chambrais à cinq heures, dit Ghislaine en se tournant vers lady Cappadoce.

      —Comme tu dois revenir à Paris très prochainement pour la reddition du compte de tutelle, nous dînerons ensemble ce jour-là, je te le promets.

      Satisfait de cet arrangement qui, selon lui, conciliait tout, M. de Chambrais passa son bras sous celui de sa nièce, et l'emmena dans le jardin. Penché vers elle, en lui effleurant les cheveux de sa barbe à la Henri IV qui commençait à grisonner, il avait l'air d'un grand frère qui s'entretient avec sa petite soeur bien plus que d'un tuteur ou d'un oncle. Et en réalité, c'était un frère qu'il avait toujours été pour elle, en frère qu'il l'aimait, en frère qu'il l'avait toujours traitée sans pouvoir jamais s'élever à la dignité d'oncle ou de tuteur. Tuteur, pouvait-on l'être quand pour la jeunesse du corps, de l'esprit et du coeur on n'avait pas trente ans? Il eût voulu jouer dans la vie les Bartolo, que pour son élégance et sa désinvolture, pour sa souplesse, son entrain, on eût bien plutôt vu en lui Almaviva, un peu marqué peut-être, mais à coup sûr un vainqueur.

      —Et maintenant, mignonne, dit-il lorsqu'ils furent à l'abri des oreilles curieuses, que comptes-tu faire?

      —Comment cela, mon oncle?

      —Je veux dire: maintenant que tu es émancipée, comment veux-tu arranger ta vie?

      —Est-ce que cette émancipation m'a métamorphosée d'un coup de baguette magique?

      —Certainement.

      —Je suis autre aujourd'hui que je n'étais hier, cet après-midi que je n'étais ce matin?

      —Sans doute.

      —Je ne le sens pas du tout, même quand vous me le dites.

      —Tu as la volonté, la liberté; et je te demande comment tu veux en user.

      —Mais simplement en continuant la semaine prochaine ce que j'ai fait la semaine dernière: demain, M. Lavalette viendra à Chambrais et me fera une conférence de littérature sur le Chatterton d'Alfred de Vigny; après-demain, je viendrai à Paris et je travaillerai de une heure à trois, dans l'atelier de M. Casparis, à mon groupe de chiens qui avance; vendredi, c'est le jour de M. Nicétas; nous ferons de la musique d'accompagnement.

      —C'est le grand jour, celui-là; tu aimes mieux Mozart qu'Alfred de Vigny, et M. Nicétas que M. Lavalette.

      —Je vous assure que M. Lavalette est très intéressant, il sait tout et il vous fait tout comprendre.

      —Cependant tu préfères le jour de M. Nicétas.

      —Je reconnais que la musique est ma grande joie.

      —Pendant que j'ai encore une certaine autorité sur toi....

      —Mais vous aurez toujours toute autorité sur moi, mon oncle.

      —Enfin, laisse-moi te dire, ma chère enfant, que tu te donnes trop entièrement à la musique. Plusieurs fois, je t'ai adressé des observations à ce sujet. Aujourd'hui, j'y reviens et j'insiste, car tu m'inquiètes.

      —Vous n'aimez pas la musique!

      —Tu te trompes; j'aime la musique comme distraction, je ne l'aime pas comme occupation, et ce que je te reproche, c'est de ne pas t'en tenir à la simple distraction. Il en est d'elle comme des parfums; respirer un parfum par hasard, est agréable; vivre dans une atmosphère chargée de parfums, est aussi désagréable que dangereux. Tandis que la pratique des autres arts fortifie, celle de la musique poussée à l'excès affaiblit. Quand tu as modelé pendant deux ou trois heures dans l'atelier de Casparis, tu sors de ce travail allègre et vaillante; quand, pendant deux heures, tu as fait de la musique avec M. Nicétas, tu sors de cette séance les nerfs tendus, l'esprit alangui, le coeur troublé. On dit et l'on répète que la musique est le plus immatériel des arts; c'est le contraire qui est vrai: il est le plus matériel de tous. Il semble qu'elle agisse à l'égard de certaines parties de notre organisme en frappant dessus, comme les marteaux dans un piano frappent sur les cordes. Nos cordes à nous, ce sont les nerfs. Sous ces vibrations

Скачать книгу