Les enfants du capitaine Grant. Jules Verne
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Читать онлайн книгу Les enfants du capitaine Grant - Jules Verne страница 27
«Ah! Je les tiens, dit une voix, —la voix de Paganel.
—Et que tenez-vous? demanda Glenarvan.
—Mes lunettes, parbleu! C’est bien le moins qu’on perde ses lunettes dans une pareille bagarre!
—Vous n’êtes pas blessé?…
—Non, un peu piétiné. Mais par qui?
—Par ceci», répondit le major, en traînant après lui l’animal qu’il avait abattu.
Chacun se hâta de regagner la cahute, et à la lueur du foyer on examina le «coup de fusil» de Mac Nabbs.
C’était une jolie bête, ressemblant à un petit chameau sans bosse; elle avait la tête fine, le corps aplati, les jambes longues et grêles, le poil fin, le pelage café au lait, et le dessous du ventre tacheté de blanc. À peine Paganel l’eut-il regardée, qu’il s’écria:
«C’est un guanaque!
—Qu’est-ce que c’est qu’un guanaque? demanda Glenarvan.
—Une bête qui se mange, répondit Paganel.
—Et c’est bon?
—Savoureux. Un mets de l’olympe. Je savais bien que nous aurions de la viande fraîche pour souper. Et quelle viande! Mais qui va découper l’animal?
—Moi, dit Wilson.
—Bien, je me charge de le faire griller, répliqua Paganel.
—Vous êtes donc cuisinier, Monsieur Paganel? dit Robert.
—Parbleu, mon garçon, puisque je suis français! Dans un français il y a toujours un cuisinier.»
Cinq minutes après, Paganel déposa de larges tranches de venaison sur les charbons produits par la racine de llaretta. Dix minutes plus tard, il servit à ses compagnons cette viande fort appétissante sous le nom de «filets de guanaque».
Personne ne fit de façons, et chacun y mordit à pleines dents.
Mais, à la grande stupéfaction du géographe, une grimace générale, accompagnée d’un «pouah» unanime, accueillit la première bouchée.
«C’est horrible! dit l’un.
—Ce n’est pas mangeable!» répliqua l’autre.
Le pauvre savant, quoi qu’il en eût, dut convenir que cette grillade ne pouvait être acceptée, même par des affamés. On commençait donc à lui lancer quelques plaisanteries, qu’il entendait parfaitement, du reste, et à dauber son «mets de l’olympe»; lui-même cherchait la raison pour laquelle cette chair de guanaque, véritablement bonne et très estimée, était devenue détestable entre ses mains, quand une réflexion subite traversa son cerveau.
«J’y suis, s’écria-t-il! Eh parbleu! J’y suis, j’ai trouvé!
—Est-ce que c’est de la viande trop avancée? demanda tranquillement Mac Nabbs.
—Non, major intolérant, mais de la viande qui a trop marché!
Comment ai-je pu oublier cela?
—Que voulez-vous dire? Monsieur Paganel, demanda Tom Austin.
—Je veux dire que le guanaque n’est bon que lorsqu’il a été tué au repos; si on le chasse longtemps, s’il fournit une longue course, sa chair n’est plus mangeable. Je puis donc affirmer au goût que cet animal venait de loin, et par conséquent le troupeau tout entier.
—Vous êtes certain de ce fait? dit Glenarvan.
—Absolument certain.
—Mais quel événement, quel phénomène a pu effrayer ainsi ces animaux et les chasser à l’heure où ils devraient être paisiblement endormis dans leur gîte?
—À cela, mon cher Glenarvan, dit Paganel, il m’est impossible de vous répondre. Si vous m’en croyez, allons dormir sans en chercher plus long. Pour mon compte, je meurs de sommeil. Dormons-nous, major?
—Dormons, Paganel.»
Sur ce, chacun s’enveloppa de son poncho, le feu fut ravivé pour la nuit, et bientôt dans tous les tons et sur tous les rythmes s’élevèrent des ronflements formidables, au milieu desquels la basse du savant géographe soutenait l’édifice harmonique.
Seul, Glenarvan ne dormit pas. De secrètes inquiétudes le tenaient dans un état de fatigante insomnie. Il songeait involontairement à ce troupeau fuyant dans une direction commune, à son effarement inexplicable. Les guanaques ne pouvaient être poursuivis par des bêtes fauves.
À cette hauteur, il n’y en a guère, et de chasseurs encore moins. Quelle terreur les précipitait donc vers les abîmes de l’Antuco, et quelle en était la cause? Glenarvan avait le pressentiment d’un danger prochain.
Cependant, sous l’influence d’un demi-assoupissement, ses idées se modifièrent peu à peu, et les craintes firent place à l’espérance. Il se vit au lendemain, dans la plaine des Andes. Là devaient commencer véritablement ses recherches, et le succès n’était peut-être pas loin. Il songea au capitaine Grant, à ses deux matelots délivrés d’un dur esclavage.
Ces images passaient rapidement devant son esprit, à chaque instant distrait par un pétillement du feu, une étincelle crépitant dans l’air, une flamme vivement oxygénée qui éclairait la face endormie de ses compagnons, et agitait quelque ombre fuyante sur les murs de la casucha. Puis, ses pressentiments revenaient avec plus d’intensité. Il écoutait vaguement les bruits extérieurs, difficiles à expliquer sur ces cimes solitaires?
À un certain moment, il crut surprendre des grondements éloignés, sourds, menaçants, comme les roulements d’un tonnerre qui ne viendrait pas du ciel. Or, ces grondements ne pouvaient appartenir qu’à un orage déchaîné sur les flancs de la montagne, à quelques milles pieds au-dessous de son sommet.
Glenarvan voulut constater le fait, et sortit.
La lune se levait alors. L’atmosphère était limpide et calme. Pas un nuage, ni en haut, ni en bas. Çà et là, quelques reflets mobiles des flammes de l’Antuco. Nul orage, nul éclair. Au zénith étincelaient des milliers d’étoiles. Pourtant les grondements duraient toujours: ils semblaient se rapprocher et courir à travers la chaîne des Andes. Glenarvan rentra plus inquiet, se demandant quel rapport existait entre ces ronflements souterrains et la fuite des guanaques. Y avait-il là un effet et une cause? Il regarda sa montre, qui marquait deux heures du matin.
Cependant, n’ayant point la certitude d’un danger immédiat, il n’éveilla pas ses compagnons, que la fatigue tenait pesamment endormis, et il tomba lui-même dans une lourde somnolence qui dura plusieurs heures.
Tout d’un coup, de violents fracas le remirent sur pied. C’était un assourdissant vacarme, comparable au bruit saccadé que feraient d’innombrables caissons d’artillerie roulant sur un pavé sonore.