Les enfants du capitaine Grant. Jules Verne

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Les enfants du capitaine Grant - Jules Verne

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et indiquant sa droite. J’ajouterai qu’en tenant compte du temps écoulé depuis sa disparition, l’enfant doit être tombé sur la partie de la montagne comprise entre le sol et deux milles de hauteur. C’est là qu’il faut le chercher, en nous partageant les différentes zones, et c’est là que nous le retrouverons.»

      Pas une parole ne fut ajoutée. Les six hommes, gravissant les pentes de la cordillère, s’échelonnèrent sur sa croupe à diverses hauteurs et commencèrent leur exploration. Ils se maintenaient constamment à droite de la ligne de descente, fouillant les moindres fissures, descendant au fond des précipices comblés en partie par les débris du massif, et plus d’un en sortit les vêtements en lambeaux, les pieds et les mains ensanglantés, après avoir exposé sa vie. Toute cette portion des Andes, sauf quelques plateaux inaccessibles, fut scrupuleusement fouillée pendant de longues heures, sans qu’aucun de ces braves gens songeât à prendre du repos. Vaines recherches.

      L’enfant avait trouvé non seulement la mort dans la montagne, mais aussi un tombeau dont la pierre, faite de quelque roc énorme, s’était à jamais refermée sur lui.

      Vers une heure, Glenarvan et ses compagnons, brisés, anéantis, se retrouvaient au fond de la vallée.

      Glenarvan était en proie à une douleur violente; il parlait à peine, et de ses lèvres sortaient ces seuls mots entrecoupés de soupirs:

      «Je ne m’en irai pas! Je ne m’en irai pas!»

      Chacun comprit cette obstination devenue une idée fixe, et la respecta.

      «Attendons, dit Paganel au major et à Tom Austin. Prenons quelque repos, et réparons nos forces. Nous en avons besoin, soit pour recommencer nos recherches, soit pour continuer notre route.

      —Oui, répondit Mac Nabbs, et restons, puisque Edward veut demeurer! Il espère. Mais qu’espère-t-il?

      —Dieu le sait, dit Tom Austin.

      —Pauvre Robert!» répondit Paganel en s’essuyant les yeux.

      Les arbres poussaient en grand nombre dans la vallée.

      Le major choisit un groupe de hauts caroubiers, sous lesquels il fit établir un campement provisoire.

      Quelques couvertures, les armes, un peu de viande séchée et du riz, voilà ce qui restait aux voyageurs. Un rio coulait non loin, qui fournit une eau encore troublée par l’avalanche. Mulrady alluma du feu sur l’herbe, et bientôt il offrit à son maître une boisson chaude et réconfortante. Mais Glenarvan la refusa et demeura étendu sur son poncho dans une profonde prostration.

      La journée se passa ainsi. La nuit vint, calme et tranquille comme la nuit précédente. Pendant que ses compagnons demeuraient immobiles, quoique inassoupis, Glenarvan remonta les pentes de la cordillère. Il prêtait l’oreille, espérant toujours qu’un dernier appel parviendrait jusqu’à lui. Il s’aventura loin, haut, seul, collant son oreille contre terre, écoutant et comprimant les battements de son cœur, appelant d’une voix désespérée.

      Pendant toute la nuit, le pauvre lord erra dans la montagne. Tantôt Paganel, tantôt le major le suivaient, prêts à lui porter secours sur les crêtes glissantes et au bord des gouffres où l’entraînait son inutile imprudence. Mais ses derniers efforts furent stériles, et à ces cris mille fois jetés de «Robert! Robert!» l’écho seul répondit en répétant ce nom regretté.

      Le jour se leva. Il fallut aller chercher Glenarvan sur les plateaux éloignés, et, malgré lui, le ramener au campement. Son désespoir était affreux. Qui eût osé lui parler de départ et lui proposer de quitter cette vallée funeste? Cependant, les vivres manquaient. Non loin devaient se rencontrer les guides argentins annoncés par le muletier, et les chevaux nécessaires à la traversée des pampas. Revenir sur ses pas offrait plus de difficultés que marcher en avant. D’ailleurs, c’était à l’océan Atlantique que rendez-vous avait été donné au Duncan. Toutes les raisons graves ne permettaient pas un plus long retard, et, dans l’intérêt de tous, l’heure de partir ne pouvait être reculée.

      Ce fut Mac Nabbs qui tenta d’arracher Glenarvan à sa douleur. Longtemps il parla sans que son ami parût l’entendre. Glenarvan secouait la tête.

      Quelques mots, cependant, entr’ouvrirent ses lèvres.

      «Partir? dit-il.

      —Oui! Partir.

      —Encore une heure!

      —Oui, encore une heure», répondit le digne major.

      Et, l’heure écoulée, Glenarvan demanda en grâce qu’une autre heure lui fût accordée. On eût dit un condamné implorant une prolongation d’existence.

      Ce fut ainsi jusqu’à midi environ. Alors Mac Nabbs, de l’avis de tous, n’hésita plus, et dit à Glenarvan qu’il fallait partir, et que d’une prompte résolution dépendait la vie de ses compagnons.

      «Oui! oui! répondit Glenarvan. Partons! partons!»

      Mais, en parlant ainsi, ses yeux se détournaient de Mac Nabbs; son regard fixait un point noir dans les airs. Soudain, sa main se leva et demeura immobile comme si elle eût été pétrifiée.

      «Là! Là, dit-il, voyez! Voyez!»

      Tous les regards se portèrent vers le ciel, et dans la direction si impérieusement indiquée. En ce moment, le point noir grossissait visiblement. C’était un oiseau qui planait à une hauteur incommensurable.

      «Un condor, dit Paganel.

      —Oui, un condor, répondit Glenarvan. Qui sait? Il vient! Il descend! Attendons!»

      Qu’espérait Glenarvan? Sa raison s’égarait-elle?

      «Qui sait?» avait-il dit.

      Paganel ne s’était pas trompé. Le condor devenait plus visible d’instants en instants. Ce magnifique oiseau, jadis révéré des incas, est le roi des Andes méridionales. Dans ces régions, il atteint un développement extraordinaire.

      Sa force est prodigieuse, et souvent il précipite des bœufs au fond des gouffres. Il s’attaque aux moutons, aux chevaux, aux jeunes veaux errants par les plaines, et les enlève dans ses serres à de grandes hauteurs. Il n’est pas rare qu’il plane à vingt mille pieds au-dessus du sol, c’est-à-dire à cette limite que l’homme ne peut pas franchir. De là, invisible aux meilleures vues, ce roi des airs promène un regard perçant sur les régions terrestres, et distingue les plus faibles objets avec une puissance de vision qui fait l’étonnement des naturalistes.

      Qu’avait donc vu ce condor? Un cadavre, celui de Robert Grant!» Qui sait?» répétait Glenarvan, sans le perdre du regard. L’énorme oiseau s’approchait, tantôt planant, tantôt tombant avec la vitesse des corps inertes abandonnés dans l’espace. Bientôt il décrivit des cercles d’un large rayon, à moins de cent toises du sol. On le distinguait parfaitement. Il mesurait plus de quinze pieds d’envergure. Ses ailes puissantes le portaient sur le fluide aérien presque sans battre, car c’est le propre des grands oiseaux de voler avec un calme majestueux, tandis que pour les soutenir dans l’air il faut aux insectes mille coups d’ailes par seconde.

      Le major et Wilson avaient saisi leur carabine, Glenarvan les arrêta d’un geste. Le condor enlaçait dans les

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