Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune. H. de Graffigny
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Читать онлайн книгу Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune - H. de Graffigny страница 20
—Et ceci, poursuivit Mileradowich furieux en mettant sous le nez du vieux savant une feuille de papier noircie de chiffres et de noms, qu'est-ce que c'est que cela?
—Dame, répliqua l'accusé avec beaucoup de sang-froid, vous savez lire comme moi.
—Jupiter... Mars... Saturne... Sirius et un tas d'autres noms bizarres, exclama le juge, nierez-vous que ce soient des pseudonymes sous lesquels se cachent les conspirateurs les plus dangereux?
Ahuri, Ossipoff demeura muet un bon moment, puis, désignant Sharp:
—Avez-vous demandé à M. Sharp ce qu'il pensait de la théorie que vous venez d'émettre? fit-il railleusement.
—M. Sharp partage mes sentiments à ce sujet, répondit vivement Mileradowich.
Le secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences fit un tel bond, que les énormes lunettes de fer qu'il portait à califourchon sur son nez sautèrent sur la table.
—Permettez, dit-il, permettez, je ne vous ai point dit cela.
Le visage apoplectique de Mileradowich s'empourpra davantage.
—Comment, s'écria-t-il indigné en se croisant les bras sur la poitrine, que m'avez-vous donc répondu lorsque je vous ai montré cette liste?
—Que c'étaient là des noms d'étoiles et de planètes.
—Cela est vrai... mais que vous ai-je répondu, moi?
—Autant que je puis me rappeler, vous m'avez répondu que ces noms d'astres devaient servir à désigner des complices de M. Ossipoff.
La face du juge s'illumina triomphalement.
—Et à cela, qu'avez-vous ajouté? demanda-t-il.
—Rien, répliqua Sharp en dissimulant un sourire narquois.
—Donc, vous partagiez mon opinion.
—Ah! mais, permettez, exclama le secrétaire perpétuel, je suis ici pour vous donner mon avis, quand vous me le demandez, mais nullement pour vous faire un cours d'astronomie. Vous ignorez ce que sont Mars... Saturne... etc., c'est votre droit... mais ne me faites pas passer pour un imbécile.
Cela dit, il tira de la poche de sa redingote un vaste mouchoir à carreaux multicolores, avec lequel il se mit à nettoyer méticuleusement les verres de ses lunettes.
Mileradowich haussa les épaules.
—Je puis, dit-il un peu vexé, ne pas connaître un mot d'astronomie mais, sauf le respect que je vous dois, très honoré monsieur Sharp, vous ne savez point tous les tours qu'emploient les gredins pour échapper à la police.
Et s'adressant à Ossipoff:
—Vos précautions étaient bien prises, dit-il, mais vous êtes pincé; et, dans votre intérêt, je ne saurais trop vous conseiller d'entrer dans la voie des aveux.
Il pencha son buste sur la table, avançant vers le savant sa face enluminée et baissant la voix, il lui dit d'un ton de confidence:
—Tenez, le sort qui vous attend est aussi certain que nous sommes M. Sharp et moi d'honnêtes gens, tandis que vous n'êtes qu'un gredin... si vous persistez à nier, vous serez pendu... Eh bien! en regard de chacun de ces noms d'étoiles, mettez-moi le nom de vos complices, et je m'engage à faire commuer votre peine en bannissement.
—Vraiment, monsieur le juge, riposta Ossipoff, vous parlez à merveille et l'on voit que la trahison ne vous coûterait guère, à vous.
Les lunettes de M. Sharp brillèrent d'un vif éclat, et Mileradowich s'écria furieux:
—Greffier, écrivez que l'accusé a des complices et qu'il refuse de les nommer.
-Eh! par l'excellente raison que je n'en ai pas. Maintenant, si cela peut vous faire plaisir, inscrivez: Uranus, Neptune, Bételgeuse, Capella... mais je vous préviens que ce sont des étoiles.
Derrière ses lunettes, M. Sharp plissa ses paupières, laissant filtrer à travers ses cils abaissés un regard aigu:
—Qu'aviez-vous donc à vous occuper autant des étoiles, demanda-t-il de son ton glacial, et que peut-il y avoir de commun entre l'astronomie et la balistique?
Ossipoff se tourna vers son collègue et, malgré le sentiment de prévention que lui inspiraient l'attitude et le langage de M. Sharp, il allait peut-être se laisser aller à quelque confidence sur le projet gigantesque dont il s'était ouvert à Gontran de Flammermont, lorsque dans la pièce voisine, un vacarme épouvantable retentit; c'était comme un bruit de lutte auquel se mêlaient des vociférations en langue russe et des jurons français fortement accentués.
M. Sharp regarda le juge d'instruction criminelle, lequel se pencha vers le greffier pour lui ordonner d'aller voir ce qui se passait.
Le petit bonhomme crasseux et chafouin déposa son porte-plume, repoussa son tabouret et, d'un pas lent, se dirigea vers la porte.
Mais à peine l'eut-il ouverte qu'un groupe se précipita tumultueusement dans la pièce, au grand ébahissement de M. Sharp, mais à la grande frayeur du gros Mileradowich qui se leva précipitamment pour mettre entre lui et les nouveaux arrivants toute la largeur de la table.
Quant à Mickhaïl Ossipoff, maintenu immobile sur son siège par les gardawoï préposés à sa garde, il reconnut, dans ceux qui venaient d'envahir le laboratoire, Gontran de Flammermont qui, bien qu'il eût les mains liées derrière le dos, secouait énergiquement quatre hommes de police suspendus à ses vêtements, ainsi que fait un sanglier des chiens qui le coiffent.
—Où est-il ce juge? s'écria le jeune Français d'une voix tonnante, où est-il?... qu'il se montre s'il existe!
Voyant le prisonnier solidement contenu par ses gardiens, Mileradowich reprit un peu d'assurance et répondit d'une voix mal affermie:
—Vous demandez un juge, monsieur? me voici.
Le comte de Flammermont, entraînant les gardawoï, s'élança jusqu'à la table derrière laquelle Mileradowich s'était retranché.
—Ah! c'est vous le juge, exclama-t-il, les lèvres tremblantes de colère et les regards étincelants, c'est par vos ordres que j'ai été traité comme un malfaiteur et qu'encore, à l'heure actuelle, je suis ligotté comme un gibier de potence!... Eh bien! puisque c'est vous le juge, je vous requiers de me faire remettre en liberté séance tenante... chaque minute qui s'écoule aggrave votre cas, je vous en préviens, comme aussi je vous avertis qu'en sortant d'ici je ferai adresser, par l'intermédiaire de mon ambassadeur, des observations à votre gouvernement...
Abasourdi par ce flot de paroles, ému par l'assurance du jeune homme, Mileradowich se taisait.
Le comte poursuivit d'un ton plus calme: