Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune. H. de Graffigny
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—A moi, Wassili, à moi, cria-t-il.
Le domestique entra, suivi du gardawoï qui fit signe à M. de Flammermont de quitter la chambre.
Et comme le comte faisait la sourde oreille déclarant qu'il n'abandonnerait pas Séléna dans l'état où elle se trouvait.
--- Partez, monsieur le comte, partez, fit le domestique... cet homme est capable de nous enfermer tous trois ici... et alors qui donc s'occuperait de faire remettre en liberté mon pauvre maître?
Gontran, éperdu, porta à ses lèvres la main inerte de la jeune fille, puis il sortit précipitamment, dégringola quatre à quatre l'escalier et se lança comme un fou dans la rue, bousculant sans pitié les curieux massés devant la petite maison.
Dans le laboratoire, l'interrogatoire se terminait: le juge Mileradowich y mettait toute l'âpreté possible, enserrant l'accusé dans un réseau de questions insidieuses et à double entente, furieux déjà de voir le comte de Flammermont lui échapper et craignant de voir avorter cette superbe affaire dont il avait déjà supputé les bénéfices, comme on a pu le voir au commencement de ce chapitre.
Le vieux savant ne répondait que par quelques paroles brèves et saccadées et encore seulement lorsque les demandes devenaient plus incisives, plus venimeuses.
A la fin, la patience échappa à Ossipoff qui s'écria:
—Mon collègue, M. Sharp, secrétaire perpétuel de l'Institut des sciences, comprend bien pourquoi votre accusation est ridicule et pourquoi je ne suis ni un assassin ni un agent soudoyé par les sociétés secrètes.
Sharp se leva et mit la main sur son cœur.
—Dieu m'est témoin, dit-il d'une voix larmoyante, que je remplis ici un devoir bien pénible et qu'il m'est douloureux... très douloureux d'avoir à analyser les travaux d'un ancien collègue. Mais ayant été, à mon corps défendant, désigné comme expert, par M. le grand maître de la police, j'ai dû, bien malgré moi, étudier vos cahiers et me rendre compte par l'examen de votre laboratoire du genre de travaux auxquels vous vous livrez.
Ossipoff tressaillit et demanda:
—Et vos investigations?...
—...m'ont fait découvrir certains indices que je n'ai pu faire autrement que de communiquer à M. le juge... Pour moi, comme pour tous les savants qui pourront examiner votre laboratoire et vos livres, il est indiscutable—et vous-même l'avez avoué—que vous fabriquiez un explosif terrible... dans quel but? je l'ignore et je laisse à la justice le soin de bâtir des hypothèses dont je ne veux pas connaître la valeur, désirant me renfermer strictement dans mon rôle d'expert.
Ossipoff se laissa prendre au ton plein de sincérité dont ces paroles furent prononcées, et il revint complètement sur les mauvaises pensées qui un moment lui avaient traversé l'esprit, touchant M. Sharp.
Et puis, qu'allait-il arriver, s'il ne pouvait prouver son innocence des méfaits dont on l'accusait?
Et ses chers projets d'exploration céleste, si longtemps caressés, à la réussite desquels il avait consacré une partie de sa vie, y devait-il donc renoncer pour toujours?
Et sa fille, sa chère Séléna, devait-il abandonner pour jamais l'espoir de la serrer dans ses bras?
Il résolut alors de s'ouvrir en partie à son collègue afin d'avoir au moins, auprès de la justice, un avocat convaincu de la réalité de ses assertions.
—Monsieur le juge, dit-il d'une voix quelque peu tremblante, je vous demande la permission d'entretenir quelques instants, seul à seul, M. Sharp.
Mileradowich se tourna vers l'expert dont le masque était demeuré impassible à ces paroles.
—Vous avez entendu le prisonnier? dit-il.
—Oui.
—Consentez-vous?
Sharp inclina la tête.
Le juge fit signe aux argousins de se retirer et lui-même se levant de son siège, se dirigea vers la porte, suivi de son greffier.
—Je vous accorde dix minutes d'entretien, dit-il à Ossipoff d'un ton rauque.
Puis se tournant vers l'expert:
—Quant à vous, mon cher, je vous recommande la plus grande prudence; ces gens-là sont fort dangereux.
Le secrétaire perpétuel sourit d'un air singulier et le juge sortit.
Demeurés seuls, les deux savants gardèrent le silence, se mesurant du regard, cherchant à deviner mutuellement les pensées qui s'agitaient en eux.
Ce fut Mickhaïl qui parla le premier:
—En vérité, mon cher Sharp, s'écria-t-il avec un élan qu'il ne put contenir, comment pouvez-vous me croire coupable, moi que vous connaissez depuis de si longues années?
—Eh! mon cher Ossipoff, riposta le secrétaire perpétuel, il ne m'appartient pas de porter sur vous un jugement quel qu'il soit... ce faisant, j'outrepasserais la mission qui m'a été confiée.
—Mais il ne vous est pas défendu d'interpréter dans un sens qui me soit favorable le résultat de vos investigations.
Sharp se rapprocha de l'accusé.
—Je ne demande pas mieux, dit-il, mais il faut que vous m'y aidiez.
—Comment cela? demanda Ossipoff surpris.
—Cette poudre qui forme contre vous la base de la plus terrible accusation qui puisse être suspendue sur la tête d'un Russe, cette poudre, quelle en est la formule exacte?
Il avait prononcé cette phrase d'une voix haletante, dont les mots sifflaient à travers ses dents serrées et il avait posé ses mains sur les épaules d'Ossipoff, le regardant avec anxiété, guettant la réponse qui allait lui être faite.
Saisi d'un pressentiment, le prisonnier se recula et répliqua:
—Mais cette formule, vous l'avez trouvée sur mon registre.
—Non pas, elle est incomplète... je me connais assez en chimie pour comprendre que l'un des agents constitutifs de cette sélénite n'est pas indiqué.
—Que vous importe?
—Il m'importe, grommela Sharp, que si vous voulez sauver votre tête, il me faut donner cette formule tout entière.
—Et si je refuse...
—La potence vous enverra voir dans la lune si j'y suis, ricana Sharp.
—Misérable! s'écria Ossipoff, dis donc franchement que tout ce qui m'arrive est ton œuvre et que tu veux voler le fruit de tous mes travaux.
—Cette