Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune. H. de Graffigny

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Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune - H. de Graffigny

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de la brute dont elle n'a malheureusement gardé que trop souvent les regrettables instincts; et je suis heureux de constater que vous considérez la lune comme une province annexée à cette terre où nous sommes condamnés à ramper... Quant à moi, je le déclare bien haut, la lune deviendra tôt ou tard une de nos colonies célestes.

      —Mais... interrompit Gontran, avec un geste de dénégation.

      —Vous vous êtes dit sans doute, poursuivit Ossipoff, que cette colonie serait peut-être bien difficile à fonder, vu que la science n'a jusqu'à présent imaginé aucun moyen de locomotion pour quitter notre globe terraqué et franchir une centaine de mille lieues à travers le vide!

      —Il est vrai, fit le jeune homme en ayant toutes les peines du monde à conserver son sérieux.

      —Puis, vous pensez aussi que le pays que l'on coloniserait est affreux et forme un séjour des plus tristes et cela parce que le télescope ne nous y fait apercevoir que des rochers se considérant dans un éternel silence et qu'éclaire, pendant 354 heures de suite, un soleil implacable dont aucun nuage ne vient adoucir l'intensité.

      Le comte de Flammermont écoutait, immobile, de peur que le moindre geste ne fût interprété par son interlocuteur comme une contradiction aux théories qui lui étaient chères.

      Ossipoff poursuivit:

      —A cela, je vous réponds que je pense, comme Airy et bien d'autres astronomes et cosmographes, qu'il ne faut pas se hâter de conclure en prenant comme base ce que nos lunettes imparfaites nous permettent de distinguer... le plus puissant télescope, en effet, nous fait apercevoir du sol de la lune juste ce que nous en apercevrions si nous planions en ballon à cent lieues au-dessus de lui.

      Le vieillard eut un mouvement d'épaules plein de commisération.

      —Or, je vous le demande, ajouta-t-il, que peut-on voir à cent lieues de distance? des objets ayant plusieurs centaines de mètres de hauteur ou de largeur; ainsi les pyramides d'Égypte transportées dans la lune demeureraient invisibles pour nos plus puissants appareils d'optique! et on vient nous objecter que la lune est un astre mort, inhabité et inhabitable parce que nous la voyons de trop loin pour distinguer ses villes, ses habitants, ses végétaux et ses animaux!... mais c'est insensé!

      —Il est vrai, cependant,... commença le diplomate.

      Ossipoff lui coupa la parole.

      —Oh! je vous vois venir, répliqua-t-il en le menaçant de son index... vous allez me dire que si la lune peut être habitée par des êtres créés exprès pour vivre heureux dans un monde qui n'a ni nuages, ni eau, il ne s'ensuit pas que cette planète soit habitable pour des hommes comme nous; en un mot que transporté là-bas, rien ne prouve que vous y puissiez vivre, parce que pour cela il faudrait que votre conformation, en harmonie avec les forces en action sur la terre, fût encore, par le plus grand des hasards, en harmonie avec les éléments existant sur notre satellite.

      Gontran allait répondre lorsque, se sentant tirer en arrière par le pan de sa redingote, il comprit que Séléna lui recommandait le silence et il se tut.

      —A cela, poursuivit le savant, je répondrai avec Hansen que la lune a la forme d'un œuf, dont le petit bout regarde la terre et dont le centre de gravité est placé à soixante kilomètres du point central intérieur de l'hémisphère qui nous est inconnu; or, s'il existe une atmosphère et des liquides dans notre satellite, comme j'en suis convaincu, ils doivent s'être trouvés attirés dans cet hémisphère, n'ayant pu demeurer longtemps dans celui que nous voyons par suite de l'attraction de la terre et de l'existence de ce centre de gravité.

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      Ici, Ossipoff fit une pause, regardant victorieusement le jeune homme, espérant sans doute une marque d'approbation qui, d'ailleurs, ne se fit pas attendre.

      —Voilà qui est parlé! s'écria chaleureusement M. de Flammermont, vos déductions sont justes, illustre maître, et, quant à moi, j'ai toujours pensé, contrairement à l'opinion générale, qu'il devait y avoir des habitants dans la lune et qu'il se pourrait fort bien que l'homme terrestre s'y acclimatât.

      Et il ajouta en souriant:

      —Mais comme on n'ira jamais y essayer...

      —Qu'en savez-vous? s'écria Ossipoff en se croisant les bras et en regardant le comte d'un air de défi. Est-ce la distance qui vous effraye? Belle affaire, en vérité, que les quatre-vingt-seize mille lieues qui nous séparent de la lune! Une misère en comparaison des millions et des millions de lieues qui servent de cirque au système solaire!... Est-ce, au contraire, le moyen de franchir ces quatre-vingt-seize mille lieues qui vous arrête? Mais songez que l'humanité terrestre est jeune sur son globe et, si vous tenez compte de la marche constante du progrès, vous admettrez bien qu'un jour la science et l'industrie fourniront à nos descendants le procédé véritable d'abandonner notre mondicule pour visiter, non seulement la lune—qui sera tôt envahie par des légions d'émigrants,—mais encore le système solaire tout entier. Le vieillard s'était levé et, debout devant Gontran ébahi, il parlait d'une voix vibrante, comme inspiré.

      —Et ce jour-là, ajouta-t-il d'un ton mystérieux, ce jour-là luira peut-être plus tôt qu'on ne pense.

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      D'un pas rapide, Ossipoff alla à sa bibliothèque, l'ouvrit, et, étendant la main vers les volumes empilés sur les rayons:

      —Je possède, dit-il, tous les voyages imaginaires écrits depuis l'antiquité et qui ont les astres pour objet, et il semble que la lune ait été le rendez-vous de tous les conteurs et de tous les pseudo-voyageurs... Voici, par exemple, l'Histoire véritable écrite par Lucien de Samosate, cinq cents ans avant notre ère; la Face qu'on voit dans la lune, de Plutarque; l'Homme dans la lune, de Goodwin, un Anglais qui imagine de se faire traîner jusqu'à notre planète par un attelage de grands cygnes... Si nous arrivons à ce que j'appellerai la période moderne, je vous citerai entre autres ouvrages: l'Histoire des États et Empires de la Lune et du Soleil, de l'un de vos compatriotes, Cyrano de Bergerac; Les Découvertes dans la lune, de l'Américain Locke; les Voyages à la lune, d'Edgard Poë, du docteur Cathelineau, et bien d'autres encore qu'il est inutile de vous citer, mais qui sont là, côte à côte, se reposant des nombreuses fatigues auxquelles je les ai soumis... Chaque voyageur, poussé par son imagination, a adopté un mode particulier de locomotion... mais il faut avouer qu'ils sont tous le moins scientifiques possible.

      Le comte de Flammermont, qui avait religieusement écouté cette longue tirade, la voyant finie, se leva.

      —Monsieur Ossipoff, dit-il d'un ton grave, je désirerais vous poser une question.

      —Parlez.

      —Le charme de votre conversation est tel, monsieur, dit le jeune homme, et j'éprouve un tel contentement à entendre discuter des sujets que vous avez bien voulu effleurer devant moi, que j'avais totalement oublié le but de ma visite. C'est là un crime de lèse-galanterie dont je demande pardon à mademoiselle Séléna...

      Et, s'inclinant sérieusement devant le vieillard:

      —Monsieur Ossipoff, dit-il d'une voix grave, j'ai l'honneur...

      Le savant étendit la main.

      —Je

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