Aventures extraordinaires d'un savant russe: La lune. H. de Graffigny
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Celle-ci se leva, prit le samovar qui fumait en ronronnant sur le poêle et versa le liquide ambré et odorant dans trois tasses de fine porcelaine du Japon.
Puis, s'approchant, une tasse à la main, de Gontran, qui la suivait de l'œil, muet et comme en extase, elle murmura:
—Ne restez point ainsi sans rien dire, n'attendez pas que mon père vous pose une question embarrassante... allez au-devant.
Fort embarrassé, Gontran réfléchit quelques instants, puis, enfin, après avoir absorbé gravement une gorgée de thé, il dit non sans une certaine désinvolture:
—Mon Dieu! du moment que certains considèrent la lune comme un monde habitable pour des hommes de même espèce que nous, il est tout naturel qu'elle ait toujours été l'objet des rêves et des aspirations des voyageurs célestes.
Ce qui m'étonne, c'est qu'on n'ait point plutôt pensé à visiter les étoiles mystérieuses qui scintillent si poétiquement dans la nuit transparente.
Ossipoff sursauta sur son siège et Séléna se mordit les lèvres.
Gontran, lui, inconscient de ce qu'il venait de dire, promenait ses regards de l'un à l'autre, cherchant à deviner sur leur visage l'énormité de ses paroles.
—Si vous réfléchissiez, répliqua le vieillard d'un ton quelque peu dédaigneux, et si vous revoyiez, par la pensée, les distances colossales où gravitent,—je ne parle pas des étoiles,—mais les planètes du système solaire, vous comprendriez la difficulté d'aller jusque dans ces mondes lointains... et d'abord la lune, qui tourne en vingt-sept jours et demi autour de nous est la première étape, la première station d'un voyage céleste.
Le comte de Flammermont, tout penaud, baissait la tête, fixant avec obstination la peau d'ours qui couvrait le plancher, comme s'il eût espéré y trouver une idée géniale.
—Eh! parbleu! monsieur Ossipoff, fit-il, je n'ignore pas les distances immenses qui séparent les astres du ciel et la disposition de l'univers n'a, comme bien vous pensez, rien d'inconnu pour moi.
Et il ajouta d'un ton emphatique, en se penchant un peu en arrière pour mieux saisir ce que Séléna lui chuchotait tout bas à l'oreille:
—Qui ne sait que le soleil est immobile au centre de notre système et qu'il soutient les mondes sur le puissant réseau de son attraction!
Et s'emballant devant les hochements de tête approbateurs d'Ossipoff, sentant la nécessité de faire disparaître complètement la mauvaise impression produite par la malencontreuse phrase de tout à l'heure, il poursuivit:
—Ces mondes... ces mondes... c'est d'abord...
—C'est d'abord?... demanda le vieillard.
—Ces mondes, répéta Gontran en se penchant en arrière à perdre équilibre, c'est d'abord...
Mais Séléna demeurant muette,—pour quelle cause il l'ignorait,—il ne pouvait faire autrement que de l'imiter.
Surpris de ce silence, Ossipoff regardait le jeune homme, assailli tout à coup par des doutes touchant les connaissances cosmographiques de celui qui aspirait à devenir son gendre.
—Eh bien! demanda-t-il avec une sorte d'étonnement impatienté... ces mondes...
Le comte de Flammermont tressaillit comme sortant d'un rêve et répondit en désignant Séléna qui s'approchait de son père, une tasse de thé à la main:
—Excusez-moi, mon cher monsieur Ossipoff, si je suis descendu de l'immensité où je m'étais élevé avec vous; mais n'ai-je point sous les yeux ici même, chez vous, une image des phénomènes célestes: cette étoile de beauté gravitant autour de ce soleil de science!
La jeune fille devint toute rose de contentement; quant à Ossipoff, son front se dérida et, flatté dans son amour paternel et dans son orgueil de savant, il adressa à Gontran un regard reconnaissant.
Par une habile manœuvre, la jeune fille était passée derrière le fauteuil de son père sur lequel elle s'accouda quelques secondes.
—Mais, pour en revenir à notre conversation, reprit le vieillard, vous disiez donc?
Le corps ployé en deux, les coudes sur les genoux, il avait plongé la tête dans ses mains, les yeux fermés, concentrant toute son attention sur ce qu'allait répondre Gontran.
Celui-ci haussait désespérément les épaules en regardant Séléna.
Soudain celle-ci sourit radieusement, comme si une idée géniale lui eût subitement traversé l'esprit. Sans bruit, elle s'écarta du fauteuil, se retourna vers le mur que couvrait un immense tableau noir destiné aux calculs algébriques du savant, et saisissant un morceau de craie, dessina au milieu du tableau une circonférence sur laquelle elle inscrivit en lettres apparentes le mot: Soleil.
A côté, une circonférence un peu plus grande apparut avec ce mot: Mercure.
Aussitôt, le jeune homme s'écria avec assurance en suivant du coin de l'œil la mimique explicative de Séléna:
—Le premier de ces mondes que nous rencontrons en partant du soleil, c'est Mercure...
—... Qui tourne autour du soleil en quatre-vingt-huit jours... C'est bien cela, ajouta Ossipoff.
Séléna continuait à écrire et Gontran, les yeux fixés sur le tableau sauveur, poursuivit emphatiquement:
—Après Mercure, c'est Vénus, jeune sœur de la Terre...
—... Dont l'année compte deux cent quatre-vingt jours, en effet, et dont la distance au Soleil est de vingt-six millions de lieues, comme vous le dites fort bien... Ensuite, n'est-ce pas? c'est notre Terre...
—A cent quarante-huit millions de kilomètres, ajouta Gontran en lisant ce nombre qui venait d'apparaître en chiffres énormes sur le coin du tableau.
—Ensuite, nous trouvons?...
—Mars, se hâta de dire le jeune comte, Mars, distant de cinquante-deux millions de lieues, et enfin... Jupiter... le colossal, le monstrueux Jupiter.
Il n'avait pas hésité à attribuer ces épithètes à la planète qu'il venait de nommer à cause de la grande circonférence par laquelle Séléna la représentait sur le tableau.
Le vieux savant avait brusquement relevé la tête, et lestement la jeune fille avait repris sa place, accoudée au dossier du fauteuil.
—Oui, fit Ossipoff d'une voix vibrante, vous avez raison de qualifier de monstrueux un astre qui égale treize cents terres comme la nôtre et dont le diamètre n'est pas