La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Madame d' Aulnoy

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La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle - Madame d' Aulnoy

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a plusieurs pièces de canon sur celui qui donne du côté de la mer, avec des bastions et des demi-lunes; elle est située dans une province de l'Espagne nommée Guipuscoa; les dehors en plaisent infiniment à cause que la mer, comme je viens de vous le dire, lui sert de canal. Les rues de cette ville sont longues et larges, pavées d'une grande pierre blanche qui est fort unie et toujours nette; les maisons en sont assez belles et les églises très-propres, avec des autels de bois chargés depuis la voûte jusqu'au bas, de petits tableaux grands comme la main. Les mines de fer et d'acier se trouvent très-facilement dans tout le pays, on y en voit de si pur, que l'on tient qu'il n'y en a point de pareil en Europe; c'est leur plus grand trafic. On y embarque des laines qui viennent de la Vieille-Castille et il s'y fait un gros commerce. Bilbao et Saint-Sébastien sont les deux ports les plus considérables que le roi d'Espagne ait sur l'Océan; le château est très-élevé et d'une médiocre défense. J'y ai pourtant vu d'assez belles pièces de canon et il y en a quantité le long des remparts; mais la garnison est si faible, que des femmes la battraient avec leurs quenouilles[8].

      Tout est aussi cher dans cette ville qu'à Paris; on y fait très-bonne chère, le poisson est excellent, et l'on me dit que les fruits y étaient d'un goût et d'une beauté admirables. Je descendis dans la meilleure hôtellerie, et quelque temps après que j'y fus, Don Fernand de Tolède m'envoya un gentilhomme savoir s'il pourrait me voir sans m'incommoder. Mon banquier, qui le connaissait et qui était pour lors dans ma chambre, me dit que c'était un Espagnol de grande qualité, neveu du duc d'Albe, qu'il venait de Flandre et qu'il allait à Madrid[9].

      Je le reçus avec l'honnêteté qui était due à sa naissance et j'y ajoutai bientôt des égards particuliers pour son propre mérite. C'est un cavalier qui est bien fait de sa personne, qui a de l'esprit et de la politesse; il est complaisant et agréable, il parle aussi bien français que moi; mais comme je sais l'espagnol et que je serais bien aise de le savoir encore mieux, nous ne parlâmes qu'en cette langue.

      Je restai très-satisfaite de ses manières; il me dit qu'il était venu en poste depuis Bruxelles et que si je le trouvais bon, il augmenterait mon train et serait de ma suite. Je crus qu'il raillait et je lui répondis en plaisantant; mais il ajouta que les chemins étaient si remplis de neige qu'effectivement il lui serait impossible d'aller en poste, qu'il pourrait bien faire sur des chevaux de plus grandes traites que s'il allait en litière, mais que l'honneur de m'accompagner, etc... Enfin, je connus qu'il était fort honnête et qu'il ne démentait point la galanterie naturelle aux cavaliers espagnols; je regardai comme un très-grand secours d'avoir un homme de cette qualité et du pays qui saurait se faire entendre et encore mieux obéir par les muletiers, qui ont des têtes de fer et des âmes de boue.

      Je lui dis que j'étais fort aise de l'avoir rencontré et que les fatigues du chemin me seraient bien adoucies par une aussi bonne compagnie que la sienne. Il commanda aussitôt son gentilhomme d'aller chercher une litière pour lui. Il était déjà tard, il prit congé de moi et je me couchai après avoir fort bien soupé; car, ma chère cousine, je ne suis pas une héroïne de roman, qui ne mange point.

      «Je commençais à peine à m'endormir, lorsque j'entendis quelqu'un parler français si proche de moi, que je crus d'abord que c'était dans ma chambre; mais ayant écouté avec plus d'attention, je connus que c'était dans une chambre qui n'était séparée de la mienne que par une cloison d'ais assez mal joints. J'ouvris mon rideau du côté de la ruelle, j'aperçus de la lumière au travers des planches, et je vis deux filles dont la plus âgée paraissait avoir dix-sept à dix-huit ans; ni l'une ni l'autre n'étaient pas de ces beautés sans défauts, mais elles avaient tant d'agréments, le son de la voix si beau et une si grande douceur sur le visage, que j'en fus charmée.

      »La plus jeune, qui semblait continuer la conversation, disait à l'autre: «Non, ma sœur, il n'y a point de remèdes à nos maux, il faut mourir ou les tirer des mains de cet indigne vieillard. Je suis résolue à tout, dit l'autre en poussant un profond soupir, m'en dût-il coûter la vie; qu'avons-nous à ménager? n'avons-nous pas tout sacrifié pour eux? Alors, faisant réflexion sur leurs infortunes, elles s'embrassèrent et se mirent à pleurer fort douloureusement, et après avoir consulté et dit encore quelques paroles dont je perdais la plus grande partie à cause de leurs sanglots, elles conclurent qu'il fallait qu'elles écrivissent; chacune le fit de son côté, et voici à peu près ce qu'elles se lurent l'une à l'autre:

      »Ne juge pas de mon amour et de ma douleur par mes paroles, je n'en sais point t'exprimer l'un et l'autre; mais souviens-toi que tu vas me perdre si tu ne te portes aux dernières extrémités contre celui qui nous persécute.

      »Il vient de me faire dire que si je tarde à partir, il nous fera arrêter. Juge par cet indigne traitement de ce qu'il mérite et souviens-toi que tu me dois tout, puisque tu me dois mon cœur.»

      »Il me semble que l'autre billet était en ces termes:

      «Si je pouvais assurer ton repos en perdant le mien, je t'aime assez pour t'en faire le sacrifice. Oui, je te fuirais si tu pouvais être heureux sans moi, mais je connais trop ton cœur pour t'en croire capable. Cependant tu restes aussi tranquille dans ta prison que si tu me voyais sans cesse; romps tes chaînes sans différer, punis l'ennemi de notre amour, mon cœur en sera la récompense.»

      «Après avoir fermé ces billets, elles sortirent ensemble, et je vous avoue que j'eus de l'inquiétude pour elles et beaucoup d'envie de savoir ce qui pouvait être arrivé à deux si jolies personnes. Cela m'empêcha de me rendormir et j'attendais qu'elles revinssent, quand tout d'un coup, l'on entendit un grand bruit dans la maison. Dans ce moment, je vis un vieillard qui entrait dans cette chambre, suivi de plusieurs valets; il tenait les cheveux d'une de ces belles filles tortillés autour de son bras et la tirait après lui comme une misérable victime; sa sœur n'était pas traitée avec moins de cruauté par ceux qui la menaient. «Perfides, leur disait-il, vous n'êtes pas contentes du tort irréparable que vous faites à mes neveux; vous voulez leur persuader d'être mes bourreaux: si je ne vous avais surprises avec ces billets séducteurs, qu'en pouvait-il arriver? Quelles suites funestes n'aurais-je pas eu lieu d'en craindre? Mais vous me paierez tout pour une bonne fois. Dès que le jour paraîtra, je vous ferai punir comme vous le méritez.»—«Ah! seigneur, dit celle des deux qu'il tenait encore, considérez que nous sommes des filles de qualité et que notre alliance ne peut vous déshonorer; que vos neveux nous ont donné leur foi et reçu la nôtre; que dans un âge si peu avancé nous avons tout quitté pour les suivre; que nous sommes étrangères et abandonnées de tout le monde. Que deviendrons-nous? Nous n'oserions retourner chez nos parents, et si vous voulez nous y contraindre ou nous mettre en prison, donnez-nous plutôt la mort tout d'un coup.» Les larmes qu'elle versait en abondance achevèrent de me toucher sensiblement, et si le vieillard avait été aussi attendri que moi, il leur aurait bientôt rendu le repos et la joie.

      »Mes femmes, qui avaient entendu un si grand bruit et si proche de ma chambre, se levèrent dans la crainte qu'il ne me fût arrivé quelque accident; je leur fis signe de s'approcher doucement et de regarder à travers les planches ce triste spectacle.

      »Nous écoutions ce qu'ils disaient, lorsque deux hommes, l'épée à la main, entrèrent dans ma chambre, dont mes femmes avaient laissé la porte ouverte; ils avaient le désespoir peint sur le visage et la fureur dans les yeux; j'en eus une si grande frayeur, que je ne vous la puis bien exprimer; ils se regardèrent sans rien dire, et ayant entendu la voix du vieillard, ils coururent de ce côté-là.

      »Je ne doutai point que ce fût les deux amants, et c'était eux, en effet, qui entrèrent comme deux lions dans cette chambre; ils inspirèrent une si grande terreur à ces marauds de valets, qu'il n'y en eut aucun qui osât s'approcher de son maître pour le défendre, quand ses neveux s'avancèrent vers lui et lui mirent l'épée sur la gorge. «Barbare, lui dirent-ils, pouvez-vous traiter ainsi des filles de qualité que nous devons épouser? Pour être notre tuteur, avez-vous droit d'être notre tyran? Et n'est-ce pas nous arracher la

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