La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Madame d' Aulnoy

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La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle - Madame d' Aulnoy

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à nos maux, nous fûmes, mon frère et moi, trouver mesdemoiselles de Messignac; nous nous jetâmes à leurs pieds, nous leur dîmes ce qui peut persuader des cœurs déjà prévenus, nous leur donnâmes notre foi et des promesses signées de notre sang; enfin, l'amour acheva de les vaincre, elles consentirent à leur enlèvement. Il ne nous fut pas malaisé de prendre des mesures justes, et notre voyage avait été heureux jusqu'à notre arrivée céans; mais il y a deux jours, entrant dans cette maison, la première personne qui se présenta à nous, ce fut Don Diègue. Il était impatient de notre retour, et, pour se tirer de peine, il venait nous quérir lui-même. Que devînmes-nous à cette vue? Il nous fit arrêter comme des criminels, et oubliant que mesdemoiselles de Messignac étaient les filles de son meilleur ami et personnes de qualité, il les chargea d'injures et les accabla de reproches après qu'il eut appris d'un de mes gens que nous avions résolu d'aller incognito jusqu'à Madrid, chez des parents que nous y avons, pour attendre en ce lieu que nous eussions une entière liberté de déclarer notre mariage. Il nous enferma dans une chambre proche de la sienne, et nous y étions lorsque ces demoiselles sont venues cette nuit, au clair de la lune, tousser sous nos fenêtres. Nous les avons entendues et nous y sommes courus. Elles nous ont fait voir leurs lettres et nous cherchions quelque chose pour les tirer, quand mon oncle a été averti de ce qui se passait. Il est descendu sans bruit avec tous ses gens, et à nos yeux il a outragé ces aimables personnes. Dans l'excès de notre désespoir, nos forces ont sans doute augmenté, nous avons enfoncé les portes que l'on avait fermées sur nous et nous courions pour les secourir, lorsque imprudemment, madame, nous sommes entrés dans votre chambre.

      «Le cavalier se tut en cet endroit; je trouvai qu'il avait raconté sa petite histoire avec esprit. Je le remerciai, et j'offris à ces demoiselles mes soins et ceux de mes amis pour apaiser leur famille. Elles les acceptèrent et m'en témoignèrent beaucoup de reconnaissance.»

      Quelques dames de la ville, qui me sont venues voir, veulent m'arrêter; elles me proposent d'aller chez des religieuses dont le couvent est au haut de la côte. Elles m'offrent de m'y faire entrer, et me disent que la vue de ce lieu n'a point de bornes, que l'on découvre tout à la fois la mer, des vaisseaux, des villes, des bois et des campagnes; elles vantent fort la voix, la beauté et les agréments de ces religieuses. Ajoutez à cela que le mauvais temps est augmenté d'une telle manière, et que la neige est tombée en si grande abondance, que personne ne me conseille de me mettre en chemin.

      J'ai balancé un peu, mais l'impatience que j'ai de me rendre à Madrid l'emporte sur toutes ces considérations, et je pars demain; j'ai reçu de mon banquier l'argent dont j'avais besoin. Il ne faut pas, au reste, que j'oublie de vous dire que les habitants de cette ville ont un privilége assez particulier, et dont aussi ils se vantent beaucoup. C'est que, lorsqu'ils traitent de quelques affaires avec le roi d'Espagne, et que c'est directement avec lui, il est obligé de leur parler la tête découverte; on ne m'en a pu dire la raison[10].

      On m'a avertie qu'il faut faire une grosse provision pour ne pas mourir de faim en quelques endroits par où nous devons passer. Comme les jambons et les langues de porc sont en réputation dans le pays, j'en ai fait prendre une bonne quantité, et, à l'égard du reste, nous n'avons rien oublié[11]. Cependant c'est aujourd'hui le jour du courrier, je ne veux pas laisser passer cette occasion de vous donner de mes nouvelles, ma chère cousine, et de vous assurer de toute ma tendresse.

      A Saint-Sébastien, ce 20 février 1679.

       Table des matières

      Je reprends sans compliment la suite de mon voyage, ma chère cousine. En sortant de Saint-Sébastien, nous entrâmes dans un chemin fort rude qui aboutit à des montagnes si affreuses et si escarpées, que l'on ne peut les monter qu'en grimpant; on les appelle sierra de San Andrian. Elles ne montrent que des précipices et des rochers, sur lesquels un amant désespéré se tuerait à coup sûr, pour peu qu'il en eût envie. Des pins d'une hauteur extraordinaire couronnent la cime de ces montagnes: tant que la vue peut s'étendre, on ne voit que des déserts coupés de ruisseaux plus clairs que du cristal. Vers le haut du mont San Andrian, on trouve un rocher fort élevé qui semble avoir été mis au milieu du chemin pour enfermer le passage, et séparer ainsi la Biscaye de la Vieille-Castille.

      Un long et pénible travail a percé cette masse de pierre en façon de voûte: on marche quarante ou cinquante pas dessous, sans recevoir de jour que par les ouvertures qui sont à chaque entrée. Elles sont fermées par de grandes portes. On trouve sous cette voûte une hôtellerie que l'on abandonne l'hiver à cause des neiges. On y voit aussi une petite chapelle de saint Adrian et plusieurs cavernes où, d'ordinaire, les voleurs se retirent; de sorte qu'il est dangereux d'y passer sans être en état de se défendre. Lorsque nous eûmes traversé le roc, nous montâmes encore un peu pour arriver jusqu'au sommet de la montagne, que l'on tient la plus haute des Pyrénées; elle est toute couverte de grands bois de hêtre. Il n'a jamais été une si belle solitude; les ruisseaux y coulent comme dans les vallons; la vue n'est bornée que par la faiblesse des yeux; l'ombre et le silence y règnent, et les échos répondent de tous côtés. Nous commençâmes ensuite à descendre autant que nous avions monté: l'on voit en quelques endroits des petites plaines peu fertiles, beaucoup de sable et, de temps en temps, des montagnes couvertes de gros rochers. Ce n'est pas sans raison, qu'en passant si proche l'on appréhende qu'il ne s'en détache quelqu'un dont on serait assurément écrasé, car on en voit qui sont tombés du sommet et qui se sont arrêtés dans la pente sur d'autres rochers; et ceux-là, ne trouvant rien en leur chemin, feraient mal passer le temps aux voyageurs. Je faisais toutes ces réflexions à mon aise, car j'étais seule dans ma litière avec mon enfant, et la conversation d'une petite fille n'est pas d'un grand secours. Une rivière, nommée Urrola, assez grosse, mais qui était beaucoup augmentée par les torrents et les neiges fondues, coule le long du chemin et forme d'espace en espace des nappes d'eau et des cascades qui tombent avec un bruit et une impétuosité sans pareille; cela donne beaucoup de plaisir à la vue.

      On ne trouve pas là ces beaux châteaux qui bordent la Loire, et qui font dire aux voyageurs que c'est le pays des fées. Il n'y a, sur ces montagnes, que des cabanes de bergers et quelques petits hameaux si reculés, que pour y arriver, il faut les chercher longtemps; cependant tous ces objets naturels, quoique affreux, ne laissent pas que d'avoir quelque chose de très-beau. Les neiges étaient si hautes, que nous avions toujours vingt hommes qui nous frayaient les chemins avec des pelles. Vous allez peut-être croire qu'il m'en coûtait beaucoup: mais les ordres sont si bien établis et si bien observés, que les habitants d'un village sont obligés de venir au-devant des voyageurs, et de les conduire jusqu'à ce qu'on trouve les habitants d'un autre village; et comme l'on n'a aucun engagement de leur rien donner, la plus petite libéralité les satisfait. On ajoute à ce premier soin celui de sonner les cloches sans cesse, pour avertir les voyageurs des lieux où ils peuvent faire retraite dans un si mauvais temps; il est très-rare d'en voir un pareil dans ce pays; et l'on m'assura que, depuis quarante ans, les neiges n'y avaient pas été si hautes que nous les trouvions: ainsi on les regardait comme une espèce de prodige, et il se passe beaucoup d'hivers sans qu'il gèle dans cette province.

      Notre troupe était si grosse, que nous l'aurions bien disputé à ces fameuses caravanes qui vont à la Mecque; car, sans compter mon train et celui de Don Fernand de Tolède, il se joignit à nous, proche de Saint-Sébastien, trois chevaliers avec leurs gens qui revenaient d'une commanderie de Saint-Jacques. Ils étaient deux de cet ordre et un de celui d'Alcantara. Ceux-là portaient leurs croix rouges, faites en forme d'épée brodée, sur l'épaule, et celui d'Alcantara en avait une verte: un des deux premiers est d'Andalousie, l'autre de Galice, et le troisième de Catalogne. Ils sont d'une naissance distinguée: celui d'Andalousie se nomme Don Estève de Carvajal; celui de Galice s'appelle Don Sanche de Sarmiento; et celui de Catalogne, Don Frédéric de Cardonne. Ils sont bien faits et savent fort

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