La Force. Paul Adam
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу La Force - Paul Adam страница 12
«Pourquoi nous marier,
Quand les femmes des autres,
Pour être aussi les nôtres
Se font si peu prier?
Pourquoi nous marier?
Que les chiens sont heureux!
Contre les murs ils p…,
Deux à deux ils s'unissent.
Sans qu'on médise d'eux,
Que les chiens sont heureux!»
Elle s'acheva cependant parmi des murmures, la chansonnette de ce vieillard, ancien ami de Jean-Jacques. En l'honneur de Rousseau, la compagnie tolérait ce cynisme polisson du retour à la nature. Gâteux et le jabot plein de sauces, il haussait la tremblerie de ses mains jusque les repentirs de sa voisine où dégouttait l'«huile antique». Héricourt supporta mal qu'Aurélie ne cessât de faire retentir sa joie aiguë.
Elle portait une robe de mousseline rosée, venue jusque, la gorge mal contenue dans les deux poches d'un corsage en velours brun. Autour du col un ruban écarlate, à la victime, affichait ses opinions thermidoriennes, la solidarisant avec les guillotinées.
Cette prétention de mettre à table les souvenirs des exécutions terroristes déplut au soldat. Il trouvait Aurélie, le soir, agitée, sans grâce. À travers le lorgnon de merveilleuse aidant sa réelle myopie, elle dévisageait les femmes et les hommes. Ses paroles visaient à la travestir en ci-devant que la Révolution ruina.
—Buonapa.té a donné sa pa.ôle d'honneu de nous rendre la fo.êt de
Blassans. On l'a promis encô.e à Mme de Coislin, à la princesse de
Guéménée pour ses bois de Lorient, et à la ma.quise de Créqui!…
—Talleyrand tient bureau de promesse! ricana quelqu'un.
—Oui, Môssieu, rue d'Anjou, à l'hôtel de C.équy. Le suisse vous indique les heû de guichet.
Et d'éclater de rire, comme si elle avait énoncé la chose la, plus spirituelle du monde.
Depuis qu'il possédait le vice de Zulma, Bernard sentait décroître son sentiment. Cette poitrine, il la touchait identique. Ces lèvres, il les savourait pareilles. Ces bras, il les liait à son cou, pour une douceur semblable. Ce corps, il le connaissait que révélait tant la mousseline rose tendue contre une seule chemise de percale à fleur de peau. Maintenant il apercevait mille défauts imprévus. Praxi-Blassans expliquait-il les raisons profondes de la catastrophe imminente, Aurélie lui coupait le discours en criant à tue-tête: «Avez-vous lu Pigault?—Faut lî Pigault, mon c.er!» Ou bien si Cavrois pour excuser les audaces de Talleyrand louait cet esprit génial qui jugeait sainement les hommes et les Etats, l'enfant s'occupait tout à coup des camées suspendus aux oreilles de son voisin et lui demandait le nom de l'orfèvre qui les restaurait dans une rue de Rome. Sa voix de tête décrivait le char d'Apollon dont le relief se détachait en blanc sur l'agate. Elle vantait la délicatesse de l'artisan.
«Les proclamations sont déjà tout imprimées, rue Christine, chez Demonville… Allez-y voir. Vous demanderez de ma part le citoyen Bouzu, qui tient l'état de prote. Regnault a signé le bon à tirer. Bouzu le montre à qui veut, annonçait Cavrois vainquant les cris de sa belle-sœur.—Cela serait plaisant.—Quelles balivernes. C'est le millième complot que les nouvellistes imaginent.—Tout le monde veut jeter les avocats à la rivière, Bouzu comme vous et moi!—Le général Lefebvre a promis le concours de la division de Paris.—À d'autres!—Les Anciens sont convoqués pour sept heures, aux Tuileries.—La bonne histoire!—Mais cela prouve l'invraisemblance.—A-t-on oublié ceux de Fructidor.—Ils voteront la translation à Saint-Cloud.—Les généraux feront cortège à Buonaparté.—Ou Buonaparté aux Anciens.—Morbleu, Mossieur, voici enfin le sabre qui va racler l'ordure.—La crasse tient bon.—Bernadotte marcherait à l'encontre.—Et l'argent.—Oui, l'argent?—L'argent?—Il a pillé l'Italie.—Il a trouvé deux millions chez les fournisseurs.—Bah! il leur a promis la guerre?—Mon père a envoyé trente mille livres! dit étourdiment Aurélie…»
Un silence suivit. L'ami gâteux de Jean-Jacques essaya d'entonner une autre chansonnette gaillarde. Sa face cadavéreuse et riante bavait sur la haute cravate de mousseline soulevant les bajoues fripées. Il commença:
Lubin dit à Colette:
Prends ma houlette,
Ma petite houlette…
On l'interrompit; on protestait. Il se rassit de coin, en secouant la tête, comme si tout lui semblait absurde.
Il railla ces gens qui prêtaient une attention majeure aux imminences des complots. Il en avait tant vu depuis Louis le Bien-Aimé et la Fête de la Fédération. Il haussa les épaules, battit une marche avec sa tabatière contre son assiette au fond de laquelle un centaure peint tirait de l'arc. «Vous me la baillez belle tous!…Est-ce qu'Augereau a pris le pouvoir après Fructidor? ni ce petit Corse, après Vendémiaire? La liberté épouvante la tyrannie!» Il tapa du poing, et le vin sauta de sa coupe jusque ses manchettes de dentelles…
On se levait de table. On quitta les sièges romains en acajou raidi et terminés par des serpents de cuivre, les bouillottes à trois lumières sous leurs abat-jour de tôle verte et, sur le marbre de la table, les fruits amoncelés dans la claire-voie des corbeilles de Pomone en faïence dorée.
Bernard abandonna toujours avec soulagement ces agapes qui, commencées vers quatre heures, duraient jusqu'à sept, aux chandelles.
Il souffrait le dépit d'avoir admiré Aurélie, et de la concevoir maintenant presque égale à cette Zulma, si vulgaire depuis qu'elle abdiquait toute hypocrisie, en venant ranimer le feu de la chambre.
L'impatience, visible encore sur les traits du mari, le confirma dans ses remarques. Praxi-Blassans commençait-il un discours que l'on écoutait attentivement à cause de beaux aperçus sur les manigances des diplomaties, sa femme se plaignait haut de sa denture qui la faisait souffrir soudain. Et toutes de s'empresser pour extraire de leurs réticules des sels britanniques, pour agiter les plumes de