Aventures extraordinaires d'un savant russe: Le Soleil et les petites planètes. H. de Graffigny
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L'ingénieur l'interrompit d'un geste bref.
—Perdu, dit-il, et pourquoi cela?
Gontran, comme mû par un ressort, se redressa.
—Que signifie? balbutia-t-il d'une voix tremblante.
—Que je considère ton bonheur comme compromis, mais non perdu.
Le comte lui saisit les mains.
—Parle, fit-il avec angoisse, aurais-tu quelque espoir... quelque projet?...
—De l'espoir! non; mais, en tout cas, je n'ai aucune désespérance: je suis furieux, j'enrage, j'étranglerais Sharp avec une jouissance infinie; mais, en ce qui concerne Mlle Ossipoff, si j'étais à ta place, je ne me désolerais qu'après avoir retrouvé son cadavre.
—Le retrouver, murmura Gontran, penses-tu que cela soit possible?
—Eh! riposta l'ingénieur avec un haussement d'épaules plein de fatuité, peut-il y avoir quelque chose d'impossible à des hommes comme nous?
Et, tout heureux de voir Gontran sorti de la torpeur première dans laquelle l'avait plongé la disparition de sa fiancée, il s'écria:
—Allons! sursum corda[1]!... Que ce malheur, loin de nous abattre, nous mette, au contraire, le diable au corps pour nous faire sortir triomphants de la lutte gigantesque que nous avons entamée contre l'Infini.
Un gémissement retentit derrière l'ingénieur et la voix douloureuse d'Ossipoff se fit entendre:
—Hélas! il ne s'agit pas, pour nous, de lutter contre l'Infini, mais bien contre notre propre nature. Que parlez-vous, M. Fricoulet, de courir à la poursuite de Sharp, alors que, dans quelques heures, nous ne serons plus que des cadavres?
Le jeune ingénieur ne put retenir un mouvement de surprise.
—Comment, fit-il, vous aussi, vous vous laissez abattre?
Puis tout à coup se redressant, il s'écria d'une voix vibrante, enthousiasmé par la difficulté même des obstacles qu'il s'agissait de vaincre:
—Eh bien! puisque vous son père, vous son fiancé, vous l'abandonnez, c'est moi qui irai au secours de Mlle Séléna.
Gontran saisit la main de son ami et la serra énergiquement.
—Dispose de moi, Fricoulet, prononça-t-il d'une voix ferme; ce que tu me diras de faire, je le ferai; partout où tu iras, j'irai, car en vérité, j'ai honte de mon abattement et de ma désespérance!
—Mais, insensés que vous êtes, exclama le vieillard, ne songez-vous donc pas qu'en s'emparant de notre obus, ce misérable nous a ravi, non pas seulement le moyen de quitter le sol lunaire, mais encore le moyen d'y pouvoir subsister?
Gontran devint tout pâle.
—Que voulez-vous dire? balbutia-t-il.
—Que nous n'avons plus qu'à mourir de faim; il ne nous reste plus ni vivres, ni eau, ni air...
—Allons donc! riposta M. de Flammermont, les Sélénites trouvent bien moyen de vivre.
—Parce que les aliments dont ils font usage contiennent les principes nutritifs nécessaires à leur organisme.
—Mais qui vous prouve que notre estomac ne s'accommoderait pas, lui aussi...?
Le vieillard lui coupa la parole, d'un geste désespéré.
—Eh! dit-il, croyez-vous que j'aie attendu jusqu'à aujourd'hui pour m'en assurer?... L'analyse chimique m'a démontré que nous ne saurions nous plier à l'alimentation lunarienne.
Ces paroles furent accueillies par un gémissement et un cri de rage, le premier poussé par Gontran, le second échappé des lèvres de Fricoulet.
Les trois hommes se regardèrent pendant quelques instants, silencieux et atterrés.
La situation était en effet terrible: lutter contre l'impossible était encore à la hauteur de leur audace, mais lutter contre la faim...
Ce fut l'ingénieur qui reprit le premier la parole.
—Mourir de faim! exclama-t-il, avoir fait plus de quatre-vingt-dix mille lieues pour venir mourir de faim sur la lune! En vérité, ce serait stupide, et si les bons astronomes terriens apprenaient jamais cela, ils en éclateraient de rire devant leurs télescopes.
Et il se mit à arpenter furieusement la salle de long en large.
—Stupide tant que tu voudras, riposta M. de Flammermont, la réalité n'en est pas moins là qui nous montre un garde-manger absolument vide.
—Il nous reste, il est vrai, la ressource de danser devant, reprit l'ingénieur; mais encore qu'hygiénique, je ne sache pas que la danse ait été jamais considérée comme un exercice réconfortant.
Puis, après un moment:
—Voyons, nous sommes ici trois auxquels, cela est indéniable, aucun des secrets de la science moderne n'est inconnu, et nous ne trouverions pas le moyen de nous sustenter dans le monde que nous avons atteint!... cela est absolument invraisemblable.
Gontran hocha la tête.
—Tu en parles à ton aise, fit-il; inventer un système de locomotion qui vous fasse franchir des millions de lieues à cheval sur un rayon lumineux ou dans un courant électrique! parcourir l'immensité planétaire! visiter le soleil et les étoiles! ce n'est rien... mais inventer un gigot ou un beefsteak sans avoir sous la main la matière première, c'est à dire un mouton ou un bœuf! cela, je le déclare au-dessus de mes forces.
Fricoulet claqua ses doigts avec impatience.
—Ma parole! exclama-t-il, tu me ferais croire que tu es aussi bourgeois que tous les bourgeois qui s'empressent aux tables des bouillons Duval ou des restaurants à trente-deux sous du Palais-Royal. Comment, tu en es encore à croire que le gigot et la côtelette sont indispensables à l'existence de l'homme?
Il agita désespérément ses bras dans l'espace et s'écria:
—Que diront les gens du xxe siècle, quand ils liront qu'à l'époque éclairée que nous prétendons être, on croyait encore à des machines semblables.
Ce disant, il s'était tourné vers Ossipoff comme pour lui demander son approbation.
Mais le vieillard n'avait pas entendu un seul mot de ce qui venait de se dire entre les deux amis.
Accroupi