Le capitaine Pamphile. Alexandre Dumas
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Et Thierry, soulevant le parchemin, introduisit dans l'espace réservé à l'air, une si grande quantité de mouches auxquelles il manquait une aile, qu'il était évident qu'il avait consacré sa matinée à les prendre et son après-midi à les mutiler. Nous crûmes que Mademoiselle Camargo en avait pour six autres mois: l'un de nous alla même jusqu'à émettre cette opinion.
—Erreur, répondit Thierry; dans un quart d'heure, il n'y en aura plus une seule.
Le moins incrédule de nous laissa échapper un geste de doute. Thierry, fort d'un premier succès, reporta mademoiselle Camargo à sa place habituelle, sans même daigner nous répondre.
Il n'avait point encore repris sa place, lorsque la porte s'ouvrit, et que le maître du café voisin entra, portant un plateau sur lequel étaient un théière, un sucrier et des tasses. Il était immédiatement suivi de deux garçons qui portaient, dans une manne d'osier, un pain de munition, une brioche, une salade et une multitude de petits gâteaux de toutes les formes, de toutes les espèces.
Ce pain de munition était pour Tom, la brioche pour Jacques, la salade pour Gazelle, et les petits gâteaux pour nous. On commença par servir les bêtes, puis on dit aux gens qu'ils étaient libres de se servir eux-mêmes comme ils l'entendaient: ce qui me paraît, sauf meilleur avis, être la meilleure manière de faire les honneurs de chez soi.
Il y eut un instant de désordre apparent pendant lequel chacun s'accommoda à sa fantaisie et selon sa convenance. Tom emporta en grognant son pain dans sa niche; Jacques se réfugia, avec sa brioche, derrière les bustes de Malagutti et de Rata; Gazelle tira lentement la salade sous la table; quant à nous, nous primes, ainsi que cela se pratique assez généralement, une tasse de la main gauche et un gâteau de la main droite, et vice versa.
Au bout de dix minutes, il n'y avait plus ni thé ni gâteaux.
On sonna, en conséquence, le maître du café, qui reparut avec ses acolytes.
—D'autres! dit Decamps.
Le maître de café sortit à reculons et en s'inclinant pour obéir à cette injonction.
—Maintenant, messieurs, dit Flers en regardant Thierry d'un air goguenard et Decamps d'un air respectueux, en attendant que mademoiselle Camargo ait soupé et que l'on nous apporte d'autres gâteaux, je crois qu'il serait bon de remplir l'intermède par la lecture du manuscrit de Jadin. Il traite des premières années de Jacques Ier, que nous avons tous l'honneur de connaître assez particulièrement, et auquel nous portons un intérêt trop cordial pour que les moindres détails recueillis sur lui n'acquièrent pas une grande importance à nos yeux. Dixit.
Chacun s'inclina en signe de consentement; une ou deux personnes battirent même des mains.
—Jacques, mon ami, dit Fau, lequel, en sa qualité de précepteur, était celui de nous tous qui était le plus intime avec le héros de cette histoire, vous voyez qu'on parle de vous: venez ici.
Et, immédiatement après ces deux mots, il fit entendre un sifflement particulier si connu de Jacques, que l'intelligent animal ne fit qu'un bond de sa planche sur l'épaule de celui qui lui adressait la parole.
—Bien, Jacques; c'est très beau d'être obéissant, surtout lorsqu'on a ses bajoues pleines de brioches. Saluez ces messieurs.
Jacques porta la main à son front à la manière des militaires.
—Et, si votre ami Jadin, qui va lire votre histoire, tenait sur votre compte quelques propos calomnieux, dites-lui que c'est un menteur.
Jacques hocha la tête de haut en bas, en signe d'intelligence parfaite.
C'est que Jacques et Fau étaient véritablement liés d'une amitié harmonique. C'était, de la part de l'animal surtout, une affection comme on n'en trouve plus chez les hommes; et à quoi cela tenait-il? Il faut l'avouer, à la honte de l'espèce simiane, ce n'était pas en ornant son esprit comme Fénelon avait fait pour le grand dauphin, c'était en flattant ses vices, comme l'avait fait Catherine à l'égard de Henri III, que le précepteur avait acquis sur l'élève cette déplorable influence. Ainsi Jacques, en arrivant à Paris, n'était qu'un amateur de bon vin: Fau en avait fait un ivrogne; ce n'était qu'un sybarite à la manière d'Alcibiade: Fau en avait fait un cynique de l'école de Diogène; il n'était que recherché, comme Lucullus: Fau l'avait rendu gourmand comme Grimod de la Reynière. Il est vrai qu'il avait gagné à cette corruption morale une foule d'agréments physiques qui en faisaient un animal très distingué. Il connaissait sa main droite de sa main gauche, faisait le mort pendant dix minutes, dansait sur la corde comme madame Saqui, allait à la chasse un fusil sous le bras et une carnassière sur le dos, montrait son port d'armes au garde champêtre et son derrière aux gendarmes. Bref, c'était un charmant mauvais sujet, qui n'avait eu que le tort de naître sous la Restauration au lieu de naître sous la Régence.
Aussi, Fau frappait-il à la porte de la rue, Jacques tressaillait; montait-il l'escalier, Jacques le sentait venir. Alors il jetait de petits cris de joie, sautait sur ses pattes de derrière comme un kangourou; et, quand Fau ouvrait la porte, il s'élançait dans ses bras, comme on le fait encore au Théâtre-Français dans le drame des Deux Frères. Bref, tout ce qui était à Jacques était à Fau, et il se serait ôté la brioche de la bouche pour la lui offrir.
—Messieurs, dit Jadin, si vous voulez vous asseoir et allumer les pipes et les cigares, je suis prêt.
Chacun obéit. Jadin toussa, ouvrit le manuscrit, et lut ce qui suit:
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