Les cotillons célèbres. Emile Gaboriau

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Les cotillons célèbres - Emile Gaboriau

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mie, de si effrayant? Cette prédiction ne s'est-elle pas déjà accomplie, au moins en partie?

      Agnès Sorel secoua tristement la tête, quelques larmes brillèrent dans ses beaux yeux.

      —Que vous a-t-on donc dit encore, ma mie? demanda vivement le roi.

      —On ne m'a dit que cela, Sire; mais si l'oracle ne me trompe pas, je vous supplie de me permettre de me retirer à la cour du roi d'Angleterre afin de remplir ma destinée.

      —Et pourquoi, s'il vous plaît, à la cour du roi d'Angleterre? dit-il d'une voix étranglée par la colère.

      —C'est certainement lui, continua Agnès, que regarde la prédiction; puisque vous êtes à la veille de perdre votre royaume et que Henri va bientôt le réunir au sien, il est assurément un plus grand monarque que vous.

      «Ces paroles, dit Brantôme, piquèrent si fort le coeur du roi qu'il se mit à pleurer de rage,» et courut s'enfermer dans son appartement.

      Effrayée, non de la colère, mais de la douleur de son amant, Agnès Sorel essaya de le revoir; elle voulait le consoler sans doute ou pleurer avec lui. Charles VII s'obstina à ne recevoir personne. Mais le lendemain le château était plein de mouvement et de bruit, le roi faisait ses préparatifs de départ. Agnès venait enfin de réussir.

      Plus tard, se souvenant de cette anecdote charmante, François Ier écrivit les vers suivants au-dessus d'un portrait de la dame de beauté:

      Ici dessous, des belles gist l'élite,

       Car de louanges sa beauté plus mérite,

       La cause étant de France recouvrer,

       Que tout cela qu'en cloistre peut ouvrer

       Close nonain, ni en désert ermite.

      Peu de jours après la venue si opportune de l'astrologue, une foule immense de peuple se pressait tout le long de la rampe rapide qui, des bords de la Vienne, conduit au royal château de Chinon. Depuis le matin tous les habitants de la ville et des bourgs des environs étaient sur pied, impatients de voir défiler le cortège de Charles VII, qui se décidait enfin à aller chasser les Anglais. La cour du château était trop étroite pour les gens d'armes, les pages, les écuyers, les chevaux; la brise agitait les oriflammes, les armures étincelaient au soleil.

      Enfin, sur le perron, entouré de ses familiers, apparut Charles VII; la reine, quelques nobles dames et les demoiselles d'honneur, l'accompagnaient. Aux mille cris de joie qui l'accueillirent, le roi répondit par son cri de guerre «sus à l'Anglais.» Il prit alors congé de la reine, puis, s'approchant d'Agnès, «toute rougissante de honte:»

      —Belle amie, murmura-t-il, souvenez-vous que c'est à vos pieds que je viendrai déposer ma couronne reconquise.

      «Dès ce moment, dit un témoin oculaire, il parut à tous évident que, véritablement, la demoiselle de Fromenteau était la mie du roi.»

      Tandis qu'Agnès, interdite, courbait la tête sous les regards dirigés vers elle, Charles VII s'élança à cheval; d'un dernier geste il salua les dames et demoiselles réunies sur les marches du perron, et, prenant la tête du cortège, il disparut bientôt sous la voûte étroite de la porte du château de Chinon.

      Les premiers jours de solitude furent bien tristes pour la dame de beauté; elle aimait le roi, et la séparation, après tant de douces journées «passées en amoureux discours» lui semblait cruelle. Mais plus que son amant elle aimait «l'honneur et son pays.»

      Loin de Charles VII d'ailleurs, Agnès se trouvait seule avec sa faute, et l'amour chez elle n'étouffa jamais le remords. Pour cette femme dévouée, les satisfactions de la puissance et de l'amour-propre étaient bien peu de chose, une douce parole, un tendre regard du roi, étaient son unique ambition. Sous les grands respects des courtisans il lui semblait toujours voir percer un secret mépris, et ce nom de concubine royale que donnait le peuple à l'amie du roi lui faisait verser bien des larmes.

      La situation d'Agnès éloignée du roi n'était pas sans périls; elle avait des ennemis, et des ennemis puissants. Elle avait contrarié la politique de plus d'un et ne l'ignorait pas; mais ses dangers personnels étaient la moindre de ses préoccupations. Pour la défendre elle avait la reine dont elle resta toujours l'amie; elle avait aussi un serviteur fidèle, dévoué jusqu'à la mort, protecteur qu'en partant lui avait donné le roi, Étienne Chevalier.

      L'amitié qui toujours unit l'épouse et la favorite de Charles VII a donné lieu à bien des commentaires. Quelques chroniqueurs ont supposé que la reine ignorait l'intimité des relations d'Agnès et du roi, mais cette supposition est inadmissible. Marie d'Anjou savait parfaitement qu'Agnès régnait en souveraine sur le coeur du roi, et peut-être en secret en était-elle jalouse; mais reine, avant d'être femme, elle comprit qu'il était de son intérêt, sinon de son devoir, de protéger de toutes ses forces cette favorite qui n'usait de son empire que pour le bien de l'État.

      Quant au bon Étienne Chevalier, contrôleur des finances, nul plus que lui n'aima et n'admira la dame de beauté; sur un signe d'elle, il se fût précipité sans hésiter dans le brasier de «messire Satanas.» Cette grande passion, cet absolu dévouement, ont pu faire croire qu'Étienne Chevalier partageait au moins avec le roi le coeur de la belle Agnès, mais rien ne prouve cependant qu'il ait été autre chose qu'un ami.

      Quelques rébus galants, quelques légendes naïves, viendraient à peine à l'appui de cette assertion. Étienne Chevalier avait l'amitié fort expansive, voilà tout. Servant fidèle d'une dame, il portait ses couleurs. Fier de son dévouement désintéressé, il tenait à honneur de l'apprendre par ses devises à l'univers entier.

      Armé chevalier par le roi, qui, en lui donnant l'accolade, lui avait dit: «Chevalier désormais seras de fait comme de nom,» l'ami d'Agnès Sorel fit peindre sur son écu cet amoureux hiéroglyphe:

      Le mot tant, une aile d'oiseau, le mot vaut, une selle de cheval, les mots pour qui je, et enfin un mors de bride.

      Ce qui voulait dire:

      Tant elle vaut, celle pour qui je meurs.

      Plus tard, sur la porte de sa maison, à Paris, rue de la Verrerie, Étienne Chevalier fit graver, en grandes lettres antiques, au milieu de feuilles d'or entrelacées, ce rébus dont tout le mérite consistait à rappeler le nom de Sorel ou Surelle:

      Rien sur L n'a regard.

      Cependant, les soucis de la guerre ne faisaient point oublier à Charles VII sa gentille amie; au moindre instant de répit, il accourait, tantôt à Loches, tantôt à Chinon, séjour favori d'Agnès Sorel. Chaque jour, le roi se plaisait à enrichir celle qu'il aimait. Déjà il lui avait donné le duché de Penthièvre; il lui faisait construire une maison à Loches. On voit encore, en cette ville, le logis qu'occupa la dame de beauté; il est relié maintenant au spacieux château que fit plus tard bâtir Louis XI. A l'occident est une tour carrée, dans laquelle, dit la chronique du pays, le roi enfermait sa mie, lorsqu'il allait à la chasse.

      C'est vers cette époque qu'Agnès commit l'imprudence d'introduire à la cour son ancienne ennemie d'enfance, cette Antoinette de Maignelais, dont la jalousie l'avait réduite à chercher un refuge près d'Isabelle de Lorraine.

      Depuis longtemps, Antoinette enviait le sort d'Agnès à la cour de France; maintes fois

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