Port-Tarascon: Dernières aventures de l'illustre Tartarin. Alphonse Daudet
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Mais enfin qu'étaient devenus les tarasconnais?
Notre break roulait sur le cours, dans l'ombre tiède des platanes espaçant leurs troncs blancs et lisses, où plus une cigale ne chantait: envolées aussi les cigales! Et devant la maison de Tartarin, toutes ses persiennes fermées, aveugle et muette comme ses voisines, contre le mur bas du fameux jardinet, plus une caisse de cirage, plus un petit décrotteur pour vous crier: «Cira, moussu?»
L'un de nous dit: «Il y a peut être le choléra.»
À Tarascon, en effet, quand vient une épidémie, l'habitant déménage et campe sous des tentes à bonne distance de la ville, jusqu'à ce que le mauvais air soit passé.
Sur ce mot de choléra, dont tous les provençaux ont une peur farouche, le cocher enleva ses bêtes, et quelques minutes après nous stoppions à l'escalier de la gare, perchée tout en haut du grand viaduc qui longe et domine la ville.
Ici nous retrouvions la vie, des voix humaines, des visages. Dans l'entrecroisement des rails, les trains se succédaient sans relâche, montée, descente, haltaient avec des claquements de portières, des appels de station.
«Tarascon, cinq minutes d'arrêt…, changement de voiture pour
Nîmes, Montpellier, Cette…»
Tout de suite Mistral courut au commissaire de surveillance, vieux serviteur qui n'a pas quitté sa gare depuis trente-cinq ans:
«Eh! bé, maître Picard… Et les Tarasconnais? Où sont-ils? Qu'en avez-vous fait?»
L'autre, tout surpris de notre étonnement:
«Comment!… Vous ne savez pas? D'où sortez-vous donc?… Vous ne lisez donc rien?…Ils lui ont fait pourtant assez de réclame, à leur île de Port-Tarascon… Eh! oui, mon bon…Partis, les Tarasconnais… Partis coloniser, l'illustre Tartarin en tête… Et tout emporté avec eux, déménagé jusqu'à la tarasque!»
Il s'interrompit pour donner des ordres, s'activer le long de la voie, tandis qu'à nos pieds dans le couchant, nous regardions monter les tours, les clochers et clochetons de la ville abandonnée, ses vieux remparts dorés par le soleil d'un superbe ton de croustade et donnant l'idée exact d'un pâté de bécasses dont il ne resterait plus que la croûte.
«Et dites-moi, monsieur Picard», demanda Mistral au commissaire qui revenait vers nous avec un bon sourire, pas autrement inquiet de savoir Tarascon sur les chemins…
«Y a-t-il longtemps de cette émigration?
— Six mois.
— Et l'on a pas de leurs nouvelles?
— Aucune.»
Pécaïre! Quelque temps après nous en avions des nouvelles, détaillées, précises, assez pour me permettre de vous conter l'exode de ce vaillant petit peuple à la suite de son héros, et les formidables mésaventures qui les assaillirent.
* * *
Pascal a dit: «Il faut de l'agréable et du réel; mais il faut que cet agréable soit lui-même pris du vrai.» J'ai tâché de me conformer à sa doctrine dans cette histoire de Port-Tarascon.
Mon récit est pris du vrai, fait avec des lettres d'émigrants, le «mémorial» du jeune secrétaire de Tartarin, des dépositions empruntées à la _Gazette des Tribunaux; _et quand vous rencontrerez ça et là, quelque tarasconnade par trop extravagante, que le crique me croque si elle est de mon invention[2]!
LIVRE PREMIER
Chapitre I
Doléances de Tarascon contre l'état des choses. — Les boeufs, les Pères blancs. —Un tarasconnais au pays. — Siège et reddition de l'abbaye de Pampérigouste.
«Franquebalme, mon bon…, Je ne suis pas content de la France!…
Nos gouvernants nous font de tout.»
Proférées un soir par Tartarin devant la cheminée du cercle, avec le geste et l'accent qu'on imagine, ces paroles mémorables résument bien ce qui se pensait et disait à Tarascon-sur-Rhône deux ou trois mois avant l'émigration. Le Tarasconnais en général ne s'occupe pas de politique: indolent de nature, indifférent à tout ce qui ne l'atteint pas localement, il tient pour l'état de choses, comme il dit. Pas moins, depuis quelque temps, on lui reprochait un tas de choses, à l'état de choses!
«Nos gouvernants nous font de tout!» disait Tartarin.
Dans ce «de tout» il y avait d'abord l'interdiction des courses de taureaux.
Vous connaissez sans doute l'histoire de ce Tarasconnais très mauvais chrétien et garnement de la pire espèce, lequel après sa mort s'étant introduit au Paradis par surprise, pendant que saint Pierre avait le dos tourné, n'en voulait plus sortir, malgré les supplications du divin porte-clefs. Alors, que fit le grand saint Pierre? Il envoya toute une volée d'anges clamer devant le ciel autant qu'ils auraient de voix:
«Té! té!… les boeufs!… Té! té!… les boeufs!…» qui est le cri des courses tarasconnaises. Oyant cela, le bandit change de figure:
«Vous avez donc des courses, par ici, grand saint Pierre?
— Des courses?… je crois bien magnifiques, mon bon.
— Où donc çà?… où se font-elles, ces courses?
— Devant le Paradis… Il y a du large, tu penses.
Du coup le Tarasconnais se précipite dehors pour voir, et les portes du ciel se referment sur lui à tout jamais.
Si je rappelle ici cette légende aussi vieille que les bancs du tour-de-ville, c'est afin d'indiquer la passion des gens de Tarascon pour les courses de taureaux et la colère où les mit la suppression de ce genre d'exercice.
Après, vint l'ordre d'expulser les Pères-Blancs de fermer leur joli couvent de Pampérigouste, perché sur une collinette toute grise de thym et de lavande installé là depuis des siècles aux portes de la ville, d'où l'on aperçoit, entre les pins, la dentelle de ses clochetons carillonnant dans les brises claires du matin avec le chant des alouettes, au crépuscule avec le cri mélancolique des courlis.
Les Tarasconnais les aimaient beaucoup, leurs Pères-Blancs, doux, bons, inoffensifs, et qui savaient tirer des herbes parfumées dont la montagnette est couverte un si excellent élixir; ils les aimaient pareillement pour leurs pâtés d'hirondelles et leurs délicieux pains-poires[3], qui sont des coings enveloppés d'une pâte fine et dorée, d'où le nom de Pampérigouste[4] donné à l'abbaye.
Aussi quand l'ordre officiel d'avoir à quitter leur couvent fut envoyé aux Pères et que ceux-ci refusèrent de sortir, quinze cents à deux mille Tarasconnais du commun, portefaix, décrotteurs, déchargeurs de bateaux du Rhône, ce que nous appelons la rafataille, vinrent s'enfermer dans Pampérigouste avec les bons moines.
La bourgeoisie tarasconnaise, les messieurs du cercle, Tartarin en tête, pensaient bien aussi à soutenir la sainte