Cadio. George Sand
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REBEC. Il y a trois mois qu'on aurait dû le faire! On vit ici dans les transes, et, si les brigands avaient voulu... Ah! la République est bien négligente!
HENRI. Oui! elle te loge dans un château fortifié, elle t'y donne les clefs d'une cave exquise, un lit de dentelle et de duvet, et elle oublie de t'attribuer une garde d'honneur pour que tu puisses y dormir tranquille; c'est impardonnable!
REBEC. Vous vous moquez de moi?
HENRI. Ça se pourrait bien. Allons, va préparer cette chambre parfumée pour mon capitaine. Il n'a pas volé un bon gîte et une bonne nuit, celui-là!
REBEC. Eh bien, et vous?
HENRI. Je dormirai sur une chaise. Je suis ici en pays conquis; mais je respecte le passé, moi, et je ne l'oublierai pas en me gobergeant dans le lit de mon oncle...
REBEC. Mais votre ancienne chambre!
HENRI. Assez de politesses, tu m'ennuies. Va enlever tes draps et tes nippes. Dépêchons-nous!
REBEC. On y va, on y va, lieutenant; ne vous impatientez pas.
HENRI, à un cavalier qui entre avec la valise du capitaine. Va faire le lit, camarade. Par ici. Tu sortiras de l'autre côté. (Rebec sort, suivi du soldat.)
SCÈNE IV.--HENRI, le capitaine RAVAUD.
LE CAPITAINE, (homme distingué, à la figure douce.) Eh bien, mon jeune lieutenant, comment va ce pauvre coeur ému?
HENRI. Bien, mon capitaine. Je n'ai reçu ici aucune mauvaise nouvelle de ma famille. Espérons que mon oncle mettra en temps utile les femmes en sûreté; quant à lui et à ses amis, ils font comme nous, ils courent les chances de la guerre.
LE CAPITAINE. Sommes-nous seuls? J'ai quelque chose à vous dire.
HENRI, (allant fermer la porte de côté.) Oui, Capitaine; à présent, vous pouvez parler.
LE CAPITAINE, (s'asseyant.) Voyons, Henri, nous allons entrer en campagne et faire des choses terribles, je le crains!
HENRI. Vous plaisantez, capitaine, les choses terribles ne vous font pas peur.
LE CAPITAINE. Je vous demande pardon. La guerre civile entraîne des rigueurs que vous ne prévoyez pas, et, d'après les ordres que nos généraux reçoivent, je m'attends à tout. On veut en finir brusquement et sans retour avec la Vendée, et, pour les exaltés qui nous gouvernent à présent, tous les moyens sont bons. La Convention trouve les procès trop longs à instruire. Elle nous défendra peut-être de faire des prisonniers. Si elle entre dans cette voie, Dieu sait où elle s'arrêtera. Vous sentirez-vous la force d'aller jusqu'au bout?
HENRI. Est-ce une épreuve, mon capitaine? M'avez-vous amené ici, de préférence aux jeunes officiers mes camarades, pour voir si, en présence du manoir où j'ai passé mon enfance et où tout me rappelle les plus chers souvenirs de ma vie, je sentirai faiblir mon patriotisme?
LE CAPITAINE. Oui, mon cher enfant, je l'ai fait à dessein, non pour surprendre les secrets tourments de votre conscience, mais pour vous dire: Jamais homme de coeur n'a été mis à une épreuve plus cruelle. Certains devoirs dépassent les forces morales les mieux trempées, et ceux qu'on va vous imposer répugnent à la nature autant qu'à l'humanité. Vous allez peut-être vous trouver en face de vos parents, de vos amis...
HENRI. C'est possible, c'est prévu!
LE CAPITAINE. Avez-vous prévu la malédiction de votre famille, l'indignation de votre caste... et celle d'une personne... Vous étiez fiancé, m'avez-vous dit, à une parente...
HENRI. Ne parlons pas de ça, mon capitaine; ce serait le côté faible de la place. J'avais pour la petite cousine une amitié... c'était peut-être déjà de l'amour; mais elle n'en pouvait avoir pour moi: c'était une enfant, et Dieu sait que, depuis l'insurrection elle, doit me mépriser de tout son coeur!
LE CAPITAINE. Elle vous pardonnerait si... Voyons! admettons toutes les probabilités: que diriez-vous si j'avais sur moi, en ce moment, l'ordre de brûler le château de Sauvières?
HENRI, (se levant.) Cet ordre... l'avez-vous, capitaine? Oui, je le vois! vous l'avez.
LE CAPITAINE. Et vous devez commander l'exécution du mandat. On le veut ainsi.
HENRI. Diable! c'est dur.
LE CAPITAINE. Et cruel! j'en suis révolté. Écoutez, Henri, écoutez-moi bien. Je crois être un brave soldat et un honnête homme. Vous m'avez vu souriant en face de la mort. Eh bien, il y a un courage que je n'ai pas, c'est celui de faire des choses atroces. On l'exige de moi,--je suis résolu à désobéir.
HENRI. Vous?
LE CAPITAINE. Oui, car j'ai l'ordre aussi de brûler les chaumières et les forêts, de détruire les récoltes, de dévaster les champs, d'affamer le pays, de réduire les habitants au désespoir, et cela, dans tout le pays insurgé, sans pitié pour les enfants, les vieillards et les femmes.--Oui, c'est ainsi! On nous donne des généraux ineptes qui n'ont jamais vu le feu. Le civil s'arroge le droit de contrôler le civisme du militaire. Un démagogue ceint d'une écharpe renverse les plans d'un officier expérimenté. Le premier venu parmi ces brutes féroces a le pouvoir de mener de braves soldats à la boucherie, et, faisant le vil métier d'espion, il dénonce comme traître quiconque ose le contredire. Votre nom vous rend suspect à un de ces lâches, et c'est lui qui, à Puy-la-Guerche, m'a donné l'ordre exécrable de vous amener ici.--Et nous nous soumettrions à de pareils ordres? nous, des soldats français, des hommes, des philosophes! Non, quant à moi, jamais! Le jour où un commissaire du gouvernement viendra me dire que je suis suspect d'indulgence, je briserai mon épée et lui en jetterai les morceaux à la figure! (Henri est absorbé, la tête dans ses mains. Un silence.)
HENRI, (se levant.) Et après ça?
LE CAPITAINE. C'est la proscription ou la guillotine. J'en prendrai mon parti comme tant d'autres.
HENRI. La guillotine tranche les têtes, elle ne tranche pas les questions.
LE CAPITAINE. Elle délivre de la vie celui que l'on veut forcer à faire le mal.
HENRI. En le prenant comme ça, c'est un suicide, alors?
LE CAPITAINE. Je l'accepte.
HENRI. Un suicide est une lâcheté.
LE CAPITAINE, (tressaillant.) Une lâcheté?
HENRI. Oui, mon capitaine, toujours! Je ne suis pas un grand raisonneur, moi; mais on m'a appris ça ici dès mon enfance. L'homme qui se tue donne sa démission et se déclare inutile. On m'a dit aussi qu'un homme représentait toujours une force quelconque, et qu'il n'avait pas le droit de la supprimer, parce qu'il ne la tient pas de lui-même: c'est Dieu qui la lui a confiée. Il faut donc choisir entre ce qui est bien et ce qui est mal. Si la Révolution est un mal, il faut l'abandonner et se jeter résolûment dans le parti contraire.
LE CAPITAINE. Le parti royaliste? Jamais quant à moi! Il m'inspire des répugnances invincibles.