Le Rêve. Emile Zola

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Le Rêve - Emile Zola страница 3

Автор:
Серия:
Издательство:
Le Rêve - Emile Zola

Скачать книгу

nouée à son menton. Ils la crurent infirme du bras droit, tellement elle le serrait immobile, sur sa poitrine.

      —Rassure-toi, nous ne voulons pas te faire du mal.... D'où viens-tu? qui es-tu? À mesure qu'on lui parlait, elle s'effarait davantage, tournant la tête, comme si quelqu'un était derrière elle, pour la battre. Elle examina la cuisine d'un coup d'œil furtif, les dalles, les poutres, les ustensiles brillants; puis, son regard, par les deux fenêtres irrégulières, laissées dans l'ancienne baie, alla au-dehors, fouilla le jardin jusqu'aux arbres de l'évêché, dont les silhouettes blanches dominaient le mur du fond, parut s'étonner de retrouver là, à gauche, le long d'une allée, la cathédrale, avec les fenêtres romanes des chapelles de son abside. Et elle eut de nouveau un grand frisson, sous la chaleur du fourneau qui commençait à la pénétrer; et elle ramena son regard par terre, ne bougeant plus.

      —Est-ce que tu es de Beaumont?... Qui est ton père?

      Devant son silence, Hubert s'imagina qu'elle avait peut-être la gorge trop serrée pour répondre.

      —Au lieu de la questionner, dit-il, nous ferions mieux de lui servir une bonne tasse de café au lait bien chaud.

      C'était si raisonnable, que, tout de suite, Hubertine donna sa propre tasse. Pendant qu'elle lui coupait deux grosses tartines, l'enfant se défiait, reculait toujours; mais le tourment de la faim fut le plus fort, elle mangea et but goulûment. Pour ne pas la gêner, le ménage se taisait, ému de voir sa petite main trembler, au point de manquer sa bouche. Et elle ne se servait que de sa main gauche, son bras droit demeurait obstinément collé à son corps. Quand elle eut finir elle faillit casser la tasse, qu'elle rattrapa du coude, maladroite, avec un geste d'estropiée.

      —Tu es donc blessée au bras? lui demanda Hubertine. N'aie pas peur, montre un peu, ma mignonne.

      Mais, comme elle la touchait, l'enfant, violente, se leva, se débattit; et, dans la lutte, elle écarta le bras. Un livret cartonné, qu'elle cachait sur sa peau même, glissa par une déchirure de son corsage. Elle voulut le reprendre, resta les deux poings tordus de colère, en voyant que ces inconnus l'ouvraient et le lisaient.

      C'était un livret d'élève, délivré par l'Administration des Enfants assistés du département de la Seine. À la première page, au-dessous d'un médaillon de saint Vincent de Paul, il y avait, imprimées, les formules: nom de l'élève, et un simple trait à l'encre remplissait le blanc; puis, aux prénoms, ceux d'Angélique. Marie; aux dates, née le 22 janvier! 85!, admise le 23 du même mois, sous le numéro matricule! 634. Ainsi, père et mère inconnus, aucun papier, pas même un extrait de naissance, rien que ce livret d'une froideur administrative, avec sa couverture de toile rose pâle. Personne au monde et un écrou, l'abandon numéroté et classé. —Oh! une enfant trouvée! s'écria Hubertine.

      Angélique, alors, parla, dans une crise folle d'emportement.

      —Je vaux mieux que tous les autres, oui! je suis meilleure, meilleure, meilleure.... Jamais je n'ai rien volé aux autres, et ils me volent tout.... Rendez-moi ce que vous m'avez volé.

      Un tel orgueil impuissant, une telle passion d'être la plus forte soulevaient son corps de petite femme, que les Hubert en demeurèrent saisis. Ils ne reconnaissaient plus la gamine blonde, aux yeux couleur de violette, au long col d'une grâce de lis. Les yeux étaient devenus noirs dans la face méchante, le cou sensuel s'était gonflé d'un flot de sang. Maintenant qu'elle avait chaud, elle de dressait et sifflait, ainsi qu'une couleuvre ramassée sur la neige.

      —Tu es donc mauvaise? dit doucement le brodeur. C'est pour ton bien, si nous voulons savoir qui tu es.

      Et, par-dessus l'épaule de sa femme, il parcourait le livret, que feuilletait celle-ci. À la page 2, se trouvait le nom de la nourrice. «L'enfant Angélique, Marie, a été confiée le 25 janvier 1851 à la nourrice Françoise, femme du sieur Hamelin, profession de cultivateur, demeurant commune de Soulanges, arrondissement de Nevers; laquelle nourrice a reçu, au moment du départ, le premier mois de nourriture, plus un trousseau.» Suivait un certificat de baptême, signé par l'aumônier de l'hospice des Enfants assistés; puis, des certificats de médecins, au départ et à l'arrivée de l'enfant. Les paiements des mois, tous les trimestres, emplissaient plus loin les colonnes de quatre pages, où revenait chaque fois la signature illisible du percepteur.

      —Comment, Nevers! demanda Hubertine, c'est près de Nevers que tu as été élevée?

      Angélique, rouge de ne pouvoir les empêcher de lire, était retombée dans son silence farouche. Mais la colère lui desserra les lèvres, elle parla de sa nourrice.

      —Ah! bien sûr que maman Nini vous aurait battus. Elle me défendait, elle, quoique tout de même elle m'allongeât des claques.

      —Ah! bien sûr que je n'étais pas si malheureuse, là-bas, avec les bêtes....

      Sa voix s'étranglait, elle continuait, en phrases coupées, incohérentes, à parler des prés où elle conduisait la Rousse, du grand chemin où l'on jouait, des galettes qu'on faisait cuire, d'un gros chien qui l'avait mordue.

      Hubert l'interrompit, lisant tout haut:

      —«En cas de maladie grave ou de mauvais traitements, le sous-inspecteur est autorisé à changer les enfants de nourrice.» Au-dessous, il y avait que l'enfant Angélique, Marie, avait été confiée, le 20 juin! 860, à Thérèse, femme de Louis Franchomme, tous les deux fleuristes, demeurant à Paris.

      —Bon! je comprends, dit Hubertine. Tu as été malade, on t'a ramenée à Paris.

      Mais ce n'était pas encore ça, les Hubert ne surent toute l'histoire que lorsqu'ils l'eurent tirée d'Angélique, morceau à morceau. Louis Franchomme, qui était le cousin de maman Nini, avait dû retourner vivre un mois dans son village, afin de se remettre d'une fièvre; et c'était alors que sa femme Thérèse, se prenant d'une grande tendresse pour l'enfant, avait obtenu de l'emmener à Paris, où elle s'engageait à lui apprendre l'état de fleuriste. Trois mois plus tard, son mari mourait, elle se trouvait obligée, très souffrante elle-même, de se retirer chez son frère, le tanneur Rabier, établi à Beaumont. Elle y était morte dans les premiers jours de décembre, en confiant à sa belle-sœur la petite, qui, depuis ce temps, injuriée, battue, souffrait le martyre.

      —Les Rabier, murmura Hubert, les Rabier, oui, oui! des tanneurs, au bord du Ligneul, dans la ville basse. Le mari boit, la femme a une mauvaise conduite.

      —Ils me traitaient d'enfant de la borne, poursuivit Angélique, révoltée, enragée de fierté souffrante. Ils disaient que le ruisseau était assez bon pour une bâtarde. Quand elle m'avait rouée de coups, la femme me mettait de la pâtée par terre, comme à son chat; et encore je me couchais sans manger souvent....

      Ah! je me serais tuée à la fin!...

      Elle eut un geste de furieux désespoir.

      —Le matin de la Noël, hier, ils ont bu, ils se sont jetés sur moi, en menaçant de me faire sauter les yeux avec le pouce, histoire de rire. Et puis, ça n'a pas marché, ils ont fini par se battre, à si grands coups de poing, que je les ai crus morts, tombés tous les deux en travers de la chambre.... Depuis longtemps, j'avais résolu de me sauver. Mais je voulais mon livre. Maman Nini me le montrait des fois, en disant: «Tu vois, c'est tout ce que tu possèdes, car, si tu n'avais pas ça, tu n'aurais rien.» Et je savais où ils le cachaient, depuis la mort de maman Thérèse, dans le tiroir du haut de la commode.... Alors, je les ai enjambés, j'ai pris le livre, j'ai couru en le serrant sous mon bras, contre ma peau. Il était trop grand,

Скачать книгу