Lélia. George Sand

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Lélia - George Sand

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de moi un homme heureux, un poëte aux idées riantes, aux vives inspirations; avec un mot par jour, avec un sourire chaque soir, tu m’aurais fait grand, tu m’aurais conservé jeune. Au lieu de cela, tu n’as cherché qu’à me flétrir et à me décourager. Tout en disant que tu voulais garder en moi le feu sacré, tu l’as éteint jusqu’à la dernière étincelle; tu le rallumais méchamment afin d’en surprendre l’éruption et d’en étouffer la flamme. Maintenant, je renonce à l’amour, je renonce à la vie: es-tu contente? Adieu!

      Minuit approche. Je vais... où tu ne viendras pas, Lélia! car il est impossible que nous ayons le même avenir. Nous n’adorons pas la même puissance, nous n’habiterons pas les mêmes cieux...

       Table des matières

      Minuit sonna: Trenmor entra chez Sténio, il le trouva pensif, assis auprès du feu. Le temps était froid et sombre; la bise sifflait d’une voix aiguë sous les lambris vides et sonores. Il y avait sur une table, devant Sténio, une coupe remplie jusqu’aux bords, que Trenmor renversa en l’effleurant de son manteau.

      «Il faut que vous veniez avec moi auprès de Lélia, lui dit-il d’un air grave mais paisible; Lélia veut vous voir. Je pense que son heure est venue et qu’elle va mourir.»

      Elle était couchée sur un sofa; ses joues avaient un reflet bleu, ses yeux semblaient s’être retirés sous l’arc profond de ses sourcils. Un grand pli traversait son front, ordinairement si poli et si blanc; mais sa voix était pleine et assurée, et le sourire du dédain errait, comme de coutume, sur ses lèvres mobiles.

      Il y avait auprès d’elle le joli docteur Kreyssneifetter, un charmant homme tout jeune, blond, vermeil, au sourire nonchalant, à la main blanche, au parler doucereux et protecteur. Le joli docteur Kreyssneifetter tenait familièrement une main de Lélia dans les siennes, et, de temps eu temps, il interrogeait le mouvement de l’artère; puis il passait son autre main dans les belles boucles de sa chevelure, artistement relevée en pointe sur le sommet de son noble crâne.

      «Ce n’est rien, disait-il avec un aimable sourire, rien du tout. C’est le choléra, le choléra-morbus, la chose la plus commune du monde dans ce temps-ci, et la maladie la mieux connue. Rassurez-vous, mon bel ange! vous avez le choléra, une maladie qui tue en deux heures ceux qui ont la faiblesse de s’en effrayer, mais qui n’est point dangereuse pour les esprits fermes comme les nôtres. Ne vous effrayez donc pas, aimable étrangère! Nous sommes ici deux qui ne craignons pas le choléra, vous et moi défions le choléra! Faisons peur à ce vilain spectre, à ce hideux monstre qui fait dresser les cheveux au genre humain. Raillons le choléra! c’est la seule manière de le traiter.

      —Mais, dit Trenmor, si l’on essayait le punch du docteur Magendie?

      —Pourquoi pas le punch du docteur Magendie, dit le joli docteur Kreyssneifetter, si le malade n’a point de répugnance pour le punch?

      —J’ai ouï dire, reprit Lélia avec un sang-froid caustique, qu’il était fort contraire. Essayons plutôt les adoucissants.

      —Essayons les adoucissants, si vous croyez à la vertu des adoucissants, dit le joli docteur Kreyssneifetter.

      —Mais que conseilleriez-vous selon votre conscience? dit Sténio.»

      A ce mot de conscience, le docteur Kreyssneifetter jeta un regard de compassion moqueuse au jeune poëte; puis il se remit parfaitement, et dit d’un air grave:

      «Ma conscience m’ordonne de ne rien ordonner du tout, et de ne me mêler en rien de cette maladie.

      —C’est fort bien, docteur, dit Lélia. Alors, comme il se fait tard, bonsoir! N’interrompez pas plus longtemps votre précieux sommeil.

      —Oh! ne faites pas attention, reprit-il; je suis bien ici, je me plais à suivre les progrès du mal. J’étudie, j’aime mon métier de passion, et je sacrifie volontiers mes plaisirs et mon repos; je sacrifierais ma vie, s’il le fallait, pour le bien de l’humanité.

      —Quel est donc votre métier, docteur Kreyssneifetter? demanda Trenmor.

      —Je console et j’encourage, répondit le docteur: c’est ma vocation. L’étude m’a révélé toute l’importance des maladies dont l’homme est assiégé. Je la constate, je l’observe, j’assiste au dénouement, et je profite de mes observations.

      —Pour ordonnancer les précautions du système hygiénique applicable à votre aimable personne? dit Lélia.

      —Je crois peu à l’influence d’un système quelconque, dit le docteur; nous naissons tous avec le principe d’une mort plus ou moins prochaine. Nos efforts pour retarder le terme ne font souvent que le hâter. Le mieux est de n’y pas penser, et de l’attendre en oubliant qu’il doit venir.

      —Vous êtes très-philosophe,» dit Lélia en prenant du tabac dans la boîte d’or du docteur.

      Mais elle eut une convulsion et tomba mourante dans les bras de Sténio.

      «Allons, ma belle enfant, dit le docteur imberbe, un peu de courage! Si vous vous affectez de votre état le moins du monde, vous êtes perdue. Mais vous ne courez pas plus de risque que moi si vous gardez le même sang froid.»

      Lélia se releva sur un coude, et, le regardant avec ses yeux éteints par la souffrance, elle trouva encore la force de sourire avec ironie.

      «Pauvre docteur, lui dit-elle, je voudrais te voir à ma place!

      —Merci, pensa le docteur.

      —Vous disiez donc que vous ne croyez pas à l’influence des remèdes: vous ne croyez donc pas à la médecine? dit-elle.

      —Pardon; l’étude de l’anatomie et la connaissance du corps humain avec ses altérations et ses infirmités, c’est là une science positive.

      —Oui, dit Lélia, que vous cultivez comme un art d’agrément.—Mes amis, dit-elle en tournant le dos au docteur, allez me chercher un prêtre, je vois que le médecin m’abandonne.»

      Trenmor courut chercher le prêtre. Sténio voulut jeter le médecin par-dessus le balcon.

      «Laisse-le tranquille, lui dit Lélia; il m’amuse. Donne-lui un livre et mène-le dans mon cabinet devant une glace, afin qu’il s’occupe. Quand je sentirai le courage m’abandonner, je le ferai appeler afin qu’il me donne des conseils de stoïcisme et que je meure en riant de l’homme et de sa science.»

      Le prêtre arriva. C’était le grand et beau prêtre irlandais de la chapelle de Sainte-Laure. Il s’approcha, austère et lent. Son visage inspirait un respect religieux; son regard calme et profond, qui semblait réfléchir le ciel, eût suffi pour donner la foi. Lélia, brisée par la souffrance, avait caché son visage sous son bras contracté, enlacé de ses cheveux noirs.

      «Ma sœur!» dit le prêtre d’une voix pleine et fervente.

      Lélia

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