Le meurtre d'une âme. Daniel Lesueur
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—«Vous faut-il des preuves?» prononça l'Italien avec une ardeur captivante. «Nous les avons battus, les Allemands... Vous entendez... Nous les avons battus!... Nous avons sauvé Dijon après une lutte de trois jours. Riccioti Garibaldi,—le fils de Giuseppe, vous savez?...—a pris un drapeau allemand, celui du 8e poméranien. Oui... un drapeau... Le premier de cette guerre... [1] Est-ce que vous me croyez, madame?...»
[1] Ce fut le seul.
Il ne douta pas qu'elle ne le crût. Le visage ingrat d'Armande resplendit d'émotion et d'enthousiasme jusqu'à en être transfiguré. Peu éloquente, elle ne trouvait pas de paroles. Elle dit seulement, d'une intonation profonde:
—«C'est bien... C'est bien!...» Puis elle ajouta vivement: «N'y avait-il que des Italiens?...
—Nous étions très peu des nôtres, madame... Mais les Français avaient nos chefs,» fit le volontaire avec orgueil.
Elle s'assombrit, puis demanda:
—«Et maintenant... vous essayez de gagner Tours, paraît-il?...
—J'ai une mission pour monsieur Gambetta.
—Il faut que vous arriviez,» dit-elle.
—«Après ce que j'ai passé, madame, j'arriverai, j'en suis certain,» affirma l'Italien avec un crâne sourire.
Armande regarda la botte fendue, les linges ensanglantés de sa jambe.
—«Vous êtes blessé?
—Bah! ce n'est rien. Avec un jour de repos ici, puisque vous le permettez, et un bon pansement, je pourrai continuer ma route.
—Mais qu'avez-vous?» s'inquiéta la jeune fille, avec un mouvement comme pour examiner le membre blessé.
—«Oh! madame... Je ne permettrai pas...»
Il voulut alors sauter du lit. Mais en posant le pied à terre, il ne put retenir une exclamation de douleur.
—«Je sais panser les plaies. Vous allez me montrer la vôtre,» déclara énergiquement Mlle de Solgrès.
Louise Bellard intervint alors:
—«Est-ce bien prudent de rester ici, mademoiselle?...»
A ce mot de «mademoiselle», le volontaire de Garibaldi jeta un regard étonné sur la personne qu'à sa décision, son énergie, son visage accentué, il avait prise pour une femme.
—«N'êtes-vous pas la maîtresse de ce domaine?
—Presque. Je suis la fille des maîtres. En ce moment j'ai toute autorité ici.» Mais aussitôt, comme surprise elle-même de sa docilité à satisfaire la curiosité de ce garçon, elle interrogea d'un ton brusque: «Votre nom?... Vous ne me l'avez pas dit.
—Michel Occana,» répondit l'Italien.
Ses lèvres se refermèrent, d'un pli résolu, comme dans la volonté bien arrêtée de n'en pas dire davantage.
Pourtant ce n'était pas l'heure ni le lieu des questions approfondies, et Mlle de Solgrès ne songeait guère à en poser. Se doutait-elle que, de cette poignée d'hommes amenés par Garibaldi sous le drapeau de la France, il n'en était guère d'entraînés par le seul enthousiasme chevaleresque. Le goût des combats et de l'aventure, l'ambition, le regret de quelque amour ou l'embarras de quelque sottise, avaient plus ou moins déterminé ces jeunes gens. Qui sait si celui-ci n'espérait pas, par l'éclat du présent, effacer quelque faute du passé? Si Armande eut confusément une idée de ce genre, ce lui fut une raison pour suspendre plutôt que pour pousser l'interrogatoire. La délicatesse cachée sous ses âpres manières respectait le secret de son hôte. D'autant que cet hôte était un brave et risquait sa vie pour la France. Elle regarda soucieusement Louise, et lui dit:
—«Si nous le cachions dans le souterrain?...
—Les Prussiens sont donc tout près d'ici?» demanda Michel.
—«Ils sont chez nous, dans le château.»
L'Italien pâlit. Mais on put voir que ce n'était pas de crainte pour lui-même. Il eut une crispation convulsive de la main contre sa poitrine, comme pour protéger un objet caché, et il murmura:
—«Diavolo! On la pincerait plus facilement aujourd'hui que la dernière fois.
—Ah!...» chuchota Armande, «la lettre de Garibaldi?... »
Le volontaire inclina la tête.
—«Ne venez-vous pas d'échapper aux Prussiens?
—Oui.
—Comment ne vous l'ont-ils pas prise?
—Elle était collée dans ma botte, sous un double cuir de la tige. Ils n'ont pas pensé à chercher là. Mais quand j'ai fui, une sentinelle a tiré sur moi. La satanée balle est entrée dans le mollet, juste à la bonne place. Quelle déveine, hein!... Il a fallu couper le cuir, sortir le papier pour qu'il ne fût pas abîmé par le sang. Rasé dans un fossé, j'y suis parvenu. Mais maintenant le message est dans ma poche, à la portée du premier qui me fouillera.
—Important... ce papier?...
—Tout un plan de campagne... Et quel plan!... Paris délivré... Aussi sûr que cette lampe brille, mademoiselle.»
Armande frémissait, les mains jointes, les yeux agrandis et fulgurants.
—«Je vous cacherai... Je vous guérirai... Il faut... il faut que vous rejoigniez Gambetta.»
L'Italien glissa la main dans son veston, hésita, regarda du côté de Louise, l'air sombre.
—«Cette femme n'a pas d'amoureux, pas de mari à qui bavarder?...»
Un sanglot, un cri lui répondirent:
—«Mon mari est soldat. Il fait son devoir, s'il vit encore.»
Alors Michel Occana sortit le pli, le montra aux deux femmes. Et ces trois êtres, si différents de destinée comme d'origine, leurs fronts tout proches, penchés sur la chose sacrée, dans le cercle pâle de la petite lampe, formaient un tableau étrange. La chambre à coucher de cette maison de garde, avec ses humbles élégances, faisait un décor ingénu et paisible à leur colloque tragique. Au dehors s'étendait l'infini silence de la neige.
Le soldat déguisé de Garibaldi tendait une enveloppe qu'entamait un petit cercle à l'un des angles et que souillaient des taches rougeâtres. Sur l'une des faces une main héroïque avait écrit:
«A Monsieur Léon Gambetta, ministre de la guerre.»
—«Comment arriverez-vous à Tours,» demanda Mlle de Solgrès avec désespoir, «si vous avez une balle dans la jambe?»
Le bel Italien