Le meurtre d'une âme. Daniel Lesueur
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Elle se détourna, tandis qu'un tremblement l'agitait à l'idée du souterrain tout proche.
«Heureusement,» se dit-elle, «aucune trace n'y peut conduire. Que nous avons bien fait de ne point passer par là!... Mais si l'Italien, qui a la clef, avait l'imprudence d'entr'ouvrir seulement la porte, il pourrait être aperçu par ce sac de choucroute.»
Cette idée cassait les membres de la Louison. Une faiblesse la rabattit sur sa chaise. Aussi faillit-elle s'évanouir d'émoi quand soudain un coup discret fut frappé à sa porte. Quelque chose d'insinuant et de suppliant dans cet appel lui fit imaginer que le soldat de Garibaldi, assez fou pour être sorti de son refuge, lui demandait asile. Elle retrouva la force de s'élancer. Elle ouvrit...
Le colonel prussien pénétra sans façon dans la chambre.
—«Fulez-fus donner moi une allumette? Mon cigare il s'est édeint,» dit-il.
—«Il y en a là, sur le poêle... Prenez-en vous-même, puisque tout vous appartient ici,» répliqua-t-elle, farouche.
Elle avait fait trois pas en arrière et se tenait toute droite, blanche comme la petite chemise de la layette, qu'elle gardait entre les doigts.
—«Tute m'appartient?...» reprit l'Allemand. «Ah! je le futrais»!... Il s'avança, les mains agitées, les yeux luisants. «Je futrais que le plus cholie chose ici m'appartiendrait...»
Impossible de se tromper sur le sens de ses paroles et la violence de son désir.
—«Si c'est de moi que vous parlez, vous ne m'aurez pas!...» cria Louise éperdue, cherchant autour d'elle une issue ou une arme. Mais elle se reprit et d'une voix plaintive: «Vous ne ferez pas cela!... Vous ne serez pas lâche avec une femme, vous, un militaire!...» supplia-t-elle. «Vous êtes un officier, vous ne vous conduirez pas comme une bête fauve!...»
Le visage enflammé du Prussien pâlit un peu. Il hésita, puis il partit d'un gros rire.
—«Mais non... mais non... pas une bête fauve. Un homme amoureux... voilà tout. Fus êtes charmante quand fus êtes encolérée ainsi. Fus êtes plus cholie, safez-fus, que la demoiselle du château.»
Il pensait la flatter, elle, une inférieure, par cette comparaison. Mais elle s'indigna d'entendre toucher à Armande.
—«La demoiselle du château!... Il n'y a pas une femme dans toute l'Allemagne qui vaille seulement son petit doigt.»
La gaieté du colonel brandebourgeois s'épanouit.
—«Gut!... Gut!...» répétait-il en s'esclaffant. «Ces Françaises, elles ont de l'esprit! Des vrais petits diables!... Savez-vous une chose, mademoiselle?...
—Appelez-moi «madame». Je suis mariée.
—Ah!» fit l'Allemand soudain refroidi, avec un regard involontaire vers une porte du fond.
—«Oh! n'ayez pas peur, mon mari n'est pas là... Il est allé se battre contre vous autres,» reprit la femme du garde avec une véritable dignité.
—«Ça, c'est la guerre,» dit l'officier, en haussant les épaules. «Et alors, cette betite, elle aime son mari?...» ajouta-t-il en voulant lui prendre le menton.
Elle eut un haut-le-corps en arrière.
—«Oui, je l'aime, mon mari,» déclara-t-elle avec force.
—«Bah!... il s'amuse avec les filles des villages où il passe.
—Tant mieux!» s'écria-t-elle dans une espèce de rire sanglotant, «car ça prouverait qu'il n'est pas mort.»
L'officier allemand la considéra d'un air moins brutal. Soit qu'en lui un peu de pitié se fût émue, soit que l'attitude de cette femme, sa défensive résolue, sa tristesse, eussent tempéré momentanément l'effervescence passionnée qui l'avait amené là.
—«Allons,» fit-il d'un ton bon enfant, «si vous êtes chentille, on s'en occupera, de votre mari. On pourrait peut-être vous en faire avoir des nouvelles.»
Louise joignit les mains.
—«Oh! monsieur l'officier... Vous voudriez bien?» demanda-t-elle.
—«Barpleu!...»
Elle eut la candeur de croire que l'existence de ce mari, révélée au colonel prussien, détournerait à jamais celui-ci de son entreprise galante. Et la candeur non moins grande de penser qu'il pouvait découvrir le sort d'un pauvre pioupiou français dans cette mêlée formidable de deux peuples.
—«Je vais vous écrire son nom... son régiment, monsieur l'officier... le temps de trouver du papier, une plume...»
Elle devenait empressée, presque souriante, les yeux adoucis.
La tentation, chez l'homme, se réveilla plus aiguë. Seulement il doutait de réussir par la force. Il eut recours à l'astuce.
—«Vous m'apporterez les renseignements ce soir, au château,» dit-il. «Je ne puis pas attendre.»
Louise se retourna, les bras tombés.
—«Mais oui,» reprit-il, en fixant sur elle un regard plus explicite sans doute qu'il ne voulait. «Venez au château vers neuf heures, après dîner... Je vous promets de m'occuper de votre mari. S'il se trouve en Allemagne, je veillerai à ce qu'il soit bien traité et mis en liberté le plus tôt possible.»
Elle demeurait figée.
—«Vous entendez, la cholie prunette?
—Oui, monsieur l'officier.
—Et vous viendrez?»
Elle fit un effort:
—«Oui... monsieur l'officier.»
Quand il fut parti, non sans lui avoir envoyé un baiser du pas de la porte, avec sa lourde galanterie germanique, Louise resta douloureusement pensive.
«Si c'était vrai... S'il me donnait des nouvelles de mon Lucien. S'il empêchait qu'on le maltraite, là-bas, dans les forteresses de son maudit pays...» Un frisson la parcourut toute. «Oh! ce serait payer la chose trop cher! quelle abomination!»
Elle