Le meurtre d'une âme. Daniel Lesueur

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Le meurtre d'une âme - Daniel Lesueur

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Cet après-midi, avant son départ, monsieur Michel viendra ici, chez toi. Moi, je l'y rejoindrai. Tu nous laisseras seuls... Pense donc que nous ne nous sommes pas vus à la lumière du jour depuis que nous nous sommes liés du plus éternel des liens. Oui, maintenant, tu peux être certaine de ce que tu avais sans doute deviné. Nous sommes des fiancés, Louise...» Armande rougit et ajouta plus bas: «Des époux.»

      —Mademoiselle,» dit Louise, «ma maison est la vôtre, comme tout ce qui m'appartient, et comme ma vie elle-même, s'il vous la faut. Mais n'est-ce pas bien imprudent de vous rencontrer ici?...

      —Cinq minutes seulement, Louise!... Pas plus. Le temps de voir ses chers yeux à la face du ciel, d'y lire mon bonheur et ses serments.

      —Mademoiselle, ne vous ai-je pas dit que le chef prussien était venu rôder par ici?

      —Une seule fois, n'est-ce pas? Avant-hier?...

      —Oui.

      —Il n'a pas reparu?

      —Non.

      —Eh bien! il n'y a guère de chance pour qu'il dirige encore sa promenade de ce côté,» fit Mlle de Solgrès. «Le dégel a tellement détrempé ces allées éloignées du parc!...»

      Une invincible réserve empêcha Louise d'en expliquer davantage à la jeune châtelaine. Après tout, c'est vrai, le colonel allemand paraissait oublier son caprice. Et ce caprice révoltait trop l'honnête paysanne pour qu'il ne lui répugnât pas d'en parler.

      —«De toutes façons,» reprit-elle, «je ferai le guet, et monsieur Michel disparaîtrait à la moindre alerte. Il se cacherait dans ma chambre du fond. Ces chacals n'ont pas fouillé ma pauvre petite bicoque. Ils ne s'en aviseront pas aujourd'hui.

      —Voilà ce que tu feras, Louise. A trois heures, tu t'avanceras jusqu'à la crête du ravin. Monsieur Michel entr'ouvrira la porte de fer. Si tu te mets à chanter, il rentrera immédiatement et ne bougera plus. Si tu lui fais signe qu'il peut venir, il te suivra chez toi. Je m'y trouverai ou j'arriverai aussitôt. Une demi-heure plus tard, nous nous serons dit adieu, et il sera loin. Est-ce entendu?

      —Comptez sur moi, mademoiselle.

      —D'ailleurs,» ajouta encore Armande, «le seul danger serait que les Prussiens le surprissent quand il sortira du souterrain. Dans le parc ou chez toi, s'ils l'aperçoivent un instant, cela ne peut pas leur porter ombrage. Il marche comme tout le monde, à présent, sa blessure n'éveillera donc pas les soupçons. Il n'a pas d'arme sur lui... Lors de sa récente arrestation, on lui a pris son revolver. Quant à la lettre, elle est fixée dans la tige de son autre botte, et parfaitement dissimulée sous ce morceau de cuir que tu nous as procuré toi-même...»

      Louise hocha la tête.

      —«On le trouverait bien jeune pour ne pas être au régiment...

      —Il est étranger.

      —Un trop beau monsieur pour les vêtements qu'il porte... Les Prussiens ne le prendraient pas pour un gars du pays.

      —Tu m'épouvantes!... Mais c'est qu'il en rencontrera, des Prussiens, par les routes.

      —Vous savez bien, mademoiselle, qu'il marchera surtout la nuit. Ayez bon espoir. Tours n'est pas si loin. Pourvu seulement qu'avec tant de retard, sa mission ne soit pas devenue inutile!»

      Inutile ou non, Michel Occana était bien résolu à l'accomplir. Il s'agissait de la France, deux fois aimée désormais, puisque c'était la patrie d'Armande. Et il s'agissait d'un ordre donné par Garibaldi, son chef adoré, son dieu. Aussi quand le jeune homme sortit du souterrain, quand il aperçut la silhouette attentive de la Louison, et reconnut le signal rassurant, ce fut dans un élan de joie héroïque qu'il bondit sur la pente du ravin, en atteignit le bord et salua le soleil,—un frileux soleil d'hiver,—qui lui sembla radieux comme la liberté, la gloire et l'amour, pour lesquels battait son cœur.

      —«Prenez garde, monsieur,» observa Louise, «votre jambe n'est peut-être pas bien solide.»

      Il sourit. Et devant le charme de ce sourire, prise un peu, elle aussi, à cette grâce virile du bel Italien, la paysanne comprit le doux égarement de sa jeune maîtresse.

      —«Monsieur,» dit-elle timidement, «mademoiselle de Solgrès est la meilleure des créatures du bon Dieu.

      —Elle en sera la plus heureuse, s'il ne tient qu'à moi,» s'écria Michel avec une sincérité d'accent qui lui valut immédiatement la confiance de Louison.

      —«N'est-elle pas encore là?» dit-il avec un vif regard dès qu'on eut atteint le seuil de la maison du garde.

      —«Oh! soyez tranquille, elle ne tardera pas,» répliqua la rustique confidente, non sans une intention de finesse.

      Comme son hôte allait et venait dans la chambre d'un pas impatient, elle lui dit:

      —«Asseyez-vous dans ce coin sombre. Mieux vaut ne pas attirer l'attention, si quelque indiscret venait à passer.»

      Puis, pour lui faire perdre la notion des minutes, elle étala devant lui le contenu d'un bissac préparé à son intention, lui montrant qu'elles avaient pensé à tout, avec Mademoiselle, et qu'il y avait du vieux cognac dans la gourde, du jambon exquis entre les tranches de pain, et des tablettes au sublimé pour fabriquer instantanément une solution antiseptique.

      —«Comment se fait-il qu'Armande ne vienne pas?» murmura le jeune homme, qu'un brusque pressentiment venait d'étreindre.

      La Louison s'approcha de la fenêtre... Mais aussitôt, d'un mouvement effaré, elle se rejeta en arrière.

      —«Cachez-vous!... Mon Dieu!... Cachez-vous!... Les voilà!...» souffla-t-elle.

      En même temps, preste et résolue, elle ouvrait une porte, poussait Michel vers l'intérieur.

      —«Là... derrière les rideaux du lit... Ne remuez pas... N'avancez pas... La porte est vitrée... Soyez tranquille... Je les éloignerai... Ils ne viennent pas pour vous.»

      Après un premier instant d'effroi, Louise, en effet, qui avait reconnu le colonel faisait cette réflexion:

      «Cet enragé-là n'a que sa marotte en tête. Il va me conter son boniment... Je lui promettrai tout ce qu'il voudra pour le faire partir. Nous verrons bien ensuite.»

      Elle ne se trompait pas. Bien qu'elle eût aperçu—ou cru apercevoir, dans son saisissement—plusieurs casques à pointe, l'officier supérieur prussien apparut seul,—d'ailleurs, sans avoir pris la peine de frapper.

      «Voilà donc,» pensait Louise, «pourquoi Mademoiselle ne se montrait pas. Elle aura vu ce coco-là sortir du château et s'enfoncer dans le parc... Elle n'aura pas voulu lui donner l'éveil. Mais quel sang elle doit se faire si elle s'est aperçue qu'il venait ici!...»

      La paysanne se préoccupait des autres plus que d'elle-même. Trop femme d'ailleurs, malgré sa rusticité, pour ne pas supposer qu'elle allait faire tout ce qu'elle voudrait d'un homme aveuglé par le désir. Pourtant, aux premiers mots de l'Allemand, elle se sentit panteler de terreur.

      —«Eh pien, la pelle,» jargonna-t-il, «on s'est donc moqué de moi l'autre jour?... On a donc

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