Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau
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Tout en dissimulant son intime pensée, chacun cherche à pénétrer celle du voisin, et s’efforce, si elle est opposée, de ramener cet adversaire à son opinion, non en la lui découvrant franchement et sans ambages, mais en appelant son attention sur les mots graves ou futiles qui l’ont fixée.
L’énorme portée d’un seul mot justifie cette hésitation.
Les hommes qui ont entre les mains la liberté et la vie des autres hommes, qui d’un trait de plume peuvent briser une existence, sentent, bien plus durement qu’on ne croit, le fardeau de leur responsabilité. Sentir ce fardeau partagé leur procure un ineffable soulagement.
Voilà pour quelles raisons personne n’ose prendre l’initiative, ni s’expliquer clairement, pourquoi chacun attend l’émission positive d’une opinion pour l’adopter et l’approuver ou pour la combattre. Les interlocuteurs échangent donc bien moins des affirmations que des propositions. C’est par insinuations qu’on procède. De là, des phrases banales, des suppositions presque ridicules, des apartés, qui sont comme une provocation à une explication.
De là, aussi la presque impossibilité de donner la physionomie exacte et réelle d’une instruction difficile.
Ainsi, dans cette affaire, le juge d’instruction et le père Plantat étaient loin d’être du même avis. Ils le savaient avant d’avoir échangé une parole. Mais M. Domini dont l’opinion reposait sur des faits matériels, sur des circonstances palpables, et pour lui hors de toute discussion, était peu disposé à provoquer la contradiction. À quoi bon?
D’un autre côté, le père Plantat, dont le système semblait reposer uniquement sur des impressions, sur une série de déductions plus ou moins logiques, ne pouvait s’expliquer clairement sans une invitation positive et pressante.
Son dernier mot, souligné avec affectation, n’ayant pas été relevé, il jugea qu’il s’était assez avancé, trop peut-être, aussi s’empressa-t-il, pour détourner la conversation, de s’adresser à l’envoyé de la préfecture de police.
—Eh bien! M. Lecoq, demanda-t-il, avez-vous recueilli quelques indices nouveaux?
M. Lecoq, en ce moment, regardait avec une persévérante attention un grand portrait de M. le comte Hector de Trémorel suspendu en face du lit.
Sur l’interpellation du père Plantat, il se retourna.
—Je n’ai rien trouvé de décisif, répondit-il, mais je n’ai rien trouvé non plus qui dérange mes prévisions. Cependant...
Il n’acheva pas, peut-être, lui aussi, reculait-il devant sa part de responsabilité.
—Quoi? insista durement M. Domini.
—Je voulais dire, reprit M. Lecoq, que je ne tiens pas parfaitement mon affaire. J’ai bien ma lanterne, et même une chandelle dans ma lanterne, il ne me manque plus qu’une allumette...
—Soyez convenable, je vous prie, dit sévèrement le juge d’instruction.
—Eh bien, continua M. Lecoq, d’un air et d’un ton trop humble pour n’être pas joué, j’hésite encore. J’ai besoin d’être aidé. Par exemple, si monsieur le docteur daignait prendre la peine de procéder à l’examen du cadavre de Mme la comtesse de Trémorel, il me rendrait un grand service.
—J’allais précisément vous adresser cette prière, mon cher docteur, dit M. Domini à M. Gendron.
—Volontiers, répondit le vieux médecin, qui immédiatement se dirigea vers la porte.
M. Lecoq l’arrêta par le bras.
—Je me permettrai, observa-t-il, d’un ton qui ne ressemblait en rien à celui qu’il avait eu jusqu’alors, je me permettrai d’appeler l’attention de monsieur le docteur sur les blessures faites à la tête de Mme de Trémorel par un instrument contondant que je suppose être un marteau. J’ai étudié ces blessures, moi qui ne suis pas médecin, et elles m’ont paru suspectes.
—Et à moi aussi, dit vivement le père Plantat, il m’a semblé qu’il n’y avait pas eu, aux endroits atteints, effusion de sang dans les vaisseaux cutanés.
—La nature de ces blessures, continua M. Lecoq, sera un indice précieux qui me fixera complètement.
Et comme il avait sur le cœur la brusquerie du juge d’instruction, il ajouta, innocente vengeance:
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