Haine d'amour. Daniel Lesueur

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Haine d'amour - Daniel Lesueur

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point.

      —Au dixième point, oui, monsieur, dit le groom en examinant l’étrivière.

      —Allons maintenant, ma belle, fit le jeune homme en flattant de la main le cou de son cheval.

      Gipsy, s’efforçant d’être sage, partit d’un pas raisonnable. Mais, dans la rue, à la première bouffée d’air, à la première vision d’espace ensoleillé, ce fut plus fort qu’elle: ses jambes fines se détendirent, puis se replièrent bien haut comme pour mieux battre le sol; et elle dansait, l’encolure arrondie, les oreilles droites, une grande mèche dorée voltigeant sous le frontal, entre ses beaux yeux noirs, où s’affolait le plaisir de la course attendue.

      Vincent rendit complètement la main; les rênes tombèrent de toute leur longueur. Il habituait ses chevaux à ne lui donner un départ que dans le rassemblé. Gipsy comprit que, pour le moment, elle risquerait un châtiment si elle insistait. Elle allongea le cou et se mit au pas.

      Cependant, une fois dehors, M. de Villenoise ne songea plus qu’à la façon dont il rencontrerait Mlle Méricourt. Cela se passerait peut-être dans l’allée des Poteaux, ou encore tout de suite, dans l’avenue du Bois. Car Vincent, au lieu de gagner le Trocadéro et d’entrer dans le Bois, comme il le faisait habituellement, par la porte de la Muette, remontait vers l’Étoile. Et déjà il se figurait la silhouette de l’amazone, le geste dont elle lui rendrait son salut, l’exclamation bienveillante du général, qui lui proposerait de chevaucher un instant avec eux pour bavarder d’équitation.

      Cette perspective qui, d’abord, amusa M. de Villenoise et lui fit prendre patience, l’obséda, puis finit par l’énerver à mesure que les quarts d’heure passèrent sans qu’elle se réalisât. Chaque fois que, de loin, il croyait voir une jeune femme à cheval à côté d’un vieux monsieur, il se figurait que c’était Gilberte. Aussitôt il mettait Gipsy au petit galop. Puis, lorsqu’il arrivait près des cavaliers, il reconnaissait qu’il s’était trompé. Parfois même le monsieur n’était pas vieux et la femme n’était plus jeune. Mais quoi! c’était agaçant aussi... Jamais il n’avait vu M. Méricourt ni Mlle Gilberte à cheval. Il ne connaissait ni leur physionomie sous cet aspect, ni la robe de leurs bêtes, ni la nuance de leur costume. Et, de loin, il pouvait les confondre avec les premiers cavaliers venus.

      Vincent, vers onze heures et demie, rentra chez lui de mauvaise humeur. Heureusement pour Gipsy, il n’était pas de ces gens qui soulagent leurs nerfs en tourmentant leur monture, et elle avait plutôt pris plaisir aux nombreux petits temps de galop à la poursuite d’un vieux monsieur et d’une jeune demoiselle. Aussi rentra-t-elle plus satisfaite que son maître, de son beau pas cadencé, humant de loin la bonne odeur de sa litière fraîche, dans son box élégant, et le bouquet de son avoine.

      Le soir, M. de Villenoise reçut une lettre de Sabine. Il y reconnut l’état d’esprit que le télégramme lui avait fait pressentir: une fébrilité, dont l’approche, au simple contact de ce papier, déjà crispait ses propres nerfs; une impatience de le revoir sous laquelle il croyait deviner moins une vraie tendresse que le despotique vouloir de le monter au même diapason. Sabine avait une façon de lui dire: «N’est-ce pas que nous allons être heureux? N’est-ce pas que c’est trop affreux, deux mois passés l’un sans l’autre, et que nous ne pourrons plus nous quitter... jamais?» à travers laquelle il lisait, à tort ou à raison, comme une leçon dictée, comme un programme de sentiments qu’on lui imposait, bien plus que l’expression d’un simple et sincère élan d’amour.

      «Elle veut donc toujours me suggestionner!» pensa-t-il. «Mais elle n’a pas en elle-même la force calme qu’exige un pareil rôle.»

      Puis, après quelques minutes de réflexion, il se dit encore:

      «Je serai ce que je dois être et ce que je puis être. Voilà tout.»

      Sabine lui annonçait son retour pour le surlendemain. Elle arrivait à neuf heures du matin. Mais elle le suppliait instamment de ne pas venir à la gare.

      «Si elle m’aimait avec sa tendresse plus qu’avec sa vanité,» rumina-t-il, «elle voudrait me voir dès son arrivée. Mais elle est trop coquette pour se montrer après dix-huit heures de voyage. Eh bien, tant mieux! Je ne manquerai pas ma promenade au Bois.»

      Le raisonnement de Vincent n’était pas juste. Car, chez une femme de trente-cinq ans telle que Sabine, que torture déjà le souci de sa décroissante beauté, c’est souvent un héroïsme d’amour qui fait sacrifier à des considérations de coquetterie la joie de voir l’aimé quelques instants plus tôt. Mieux vaut le sevrer d’un bonheur, ce trop fragile amour, que l’aventurer sans ses armes ordinaires, c’est-à-dire sans cette grâce du visage qui lui est indispensable pour vaincre et pour durer.

      Toutefois cette mesure de prudence adoptée par Mme Marsan se tourna contre elle, car ce fut précisément ce matin-là qu’enfin M. de Villenoise, au Bois, rencontra Mlle Méricourt.

      C’était dans une allée cavalière presque tout à fait déserte. Vincent aperçut la jeune fille de loin, et de dos, car elle allait dans le même sens que lui. Pourtant, cette fois, il fut tellement certain que c’était bien elle, qu’il éprouva une stupéfaction d’avoir jamais pu s’y tromper.

      A quelques foulées en avant de son père—qui suivait au pas le bord de l’allée, dans l’ombre des jeunes feuillages—Mlle Méricourt faisait faire, au trot, des contre-changements de main de deux pistes à son cheval.

      Elle exécutait cet exercice—un des plus difficiles de l’équitation, et assurément le plus difficile pour une femme, à cause de l’inégalité des aides—avec une précision qui étonna Vincent. Tout de suite il se rendit compte que le général n’avait rien exagéré en parlant de sa fille comme d’une écuyère remarquable. En même temps le jeune homme apprécia la modestie de l’amazone qui, dans cette allée solitaire, ne travaillait pas pour la galerie.

      Avec ses mouvantes et parfaites attitudes, sous la fine pluie d’or verdi qui tombait des grêles verdures d’avril ensoleillées, Gilberte formait la silhouette la plus délicieuse. Elle avait juste la taille qui est jolie à cheval, sans trop de sveltesse ni d’embonpoint. Les épaules étaient relativement larges, d’une ligne à peine tombante; les bras descendaient d’un mouvement aisé, sans raideur; le buste long s’amincissait à la ceinture, et les hanches se dégageaient, d’une courbe très fine, reposant d’aplomb sur la selle. Contre le flanc gauche du cheval, la courte jupe noire se collait, grâce à la fixité du genou et du pied passé dans l’étrier, qui ne la soulevaient d’aucun pli. Au-dessus du corsage sombre paraissait la ligne claire d’un col droit; et un petit chapeau en gros paillaisson blanc, étroitement bordé de noir, surmontait la masse brune des cheveux tordus, dans laquelle, parfois, quelque rayon de soleil allumait une flambée rousse.

      Du côté droit au côté gauche de l’allée, puis du côté gauche au côté droit, cette charmante amazone semblait voltiger lentement, d’un trot rythmé qui appuyait à peine sur le sol. Le cheval, placé parallèlement au bord de la route, ne procédait pas par petits bonds de côté, mais croisait les pieds comme un maître de danse, ainsi qu’il convenait pour la perfection de ce difficile travail. En venant comme il faisait, par derrière, Vincent ne voyait pas bouger le bras gauche de Mlle Méricourt, ce qui prouvait la justesse avec laquelle ses doigts devaient donner les indications de rênes. Et la cravache s’écartait à peine du flanc de la bête, pour aller à droite, comme la jambe s’en écartait invisiblement pour aller à gauche, tant était légère autant que précise l’action des aides inférieures.

      M. de Villenoise,

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