Le collier des jours: Le second rang du collier. Gautier Judith
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le collier des jours: Le second rang du collier - Gautier Judith страница 3
Chez lui, on butait toujours contre deux lévriers couchés de tout leur long sur le parquet, qui se laissaient marcher dessus plutôt que de se déranger, et tenaient une place énorme.
Le comte d'Ourch accueillait, le plus souvent, Mlle Huet par le récit d'aventures extraordinaires, dites avec des éclats de voix retenus, des mines effarées et de longs points d'exclamations.
—Eh bien, il y en a de bonnes! s'écriait-il dès notre entrée, en s'agitant sur son fauteuil, où souvent le clouait la goutte. Regardez mon bahut en chêne sculpté.... Qu'en dites-vous?...
—Je ne vois rien, disait Mlle Huet.
—Vous ne voyez rien? Il est fendu en zig-zag, regardez, on dirait la foudre. Des esprits forcenés se sont battus là-dedans cette nuit, frappant des coups à réveiller tout le quartier. Ils m'en veulent, mais je les ai domptés, ils n'ont pas pu sortir.
Ou bien c'était pire encore. Étant couché il avait été enlevé avec son lit jusqu'au plafond; le chevet était allé écorner les moulures, puis brusquement on l'avait laissé retomber.
Nous écoutions ces histoires bouche bée, regardant, en dessous, Mlle Huet pour voir si elle y croyait. L'expression enthousiaste de sa noble figure nous impressionnait.
On nous conduisait alors dans le salon, où l'on maintenait toujours une obscurité presque complète; le comte nous faisait asseoir devant une table, en nous recommandant de poser dessus nos mains étendues, de ne pas bouger et de nous taire; puis il s'en allait échanger de mystérieuses confidences avec Mlle Huet.
Ces longues stations, dans la pénombre, ne nous amusaient guère. Nous aurions bien voulu entendre le sabbat des armoires et surtout voir le comte d'Ourch enlevé dans son lit jusqu'au plafond; les coups sourds frappés dans la table, nous payaient mal l'ennui de l'attente. Dès qu'ils se faisaient entendre, nous appelions Mlle Huet, qui revenait avec le maître. Celui-ci allait chercher une médaille, large comme une soucoupe, et enfermée dans un étui de soie brodée. Il la posait sur la table, en disant que si l'esprit qui se manifestait était un mauvais esprit il serait réduit au silence. L'esprit, presque toujours, subissait l'épreuve victorieusement, ne fuyant pas au contact de la relique. Alors le comte l'interrogeait, en récitant l'alphabet, à n'en plus finir.
On nous conduisait aussi quelquefois dans des soirées, pour lesquelles Mlle Huet nous empanachait de plumes jaunes. C'était dans le quartier du Temple, chez d'obscurs bourgeois, dont les logis étroits contenaient avec peine les invités, en toilettes prétentieuses; le sirop de groseille alternait avec le sirop d'orgeat, tandis que de vieilles demoiselles, professeurs de musique, chantaient des romances sentimentales.
Le comte d'Ourch paraissait quelquefois à ces fêtes. C'était alors une effervescence émue, la musique cessait et, à notre grand ennui, on recommençait à interroger les tables.
L'hiver s'écoulait, calme, et assez monotone pour nous.
Gil Blas de Santillane était descendu des hauteurs de l'armoire à glace; il avait pris en grande amitié don Pierrot et le débarbouillait consciencieusement en promenant sa langue râpeuse sur la longue fourrure couleur de neige. Le bengali de la belle Virginie sautillait sans relâche en pépiant, et les nombreux canaris de la volière—qu'une amie avait donné à garder et ne reprenait plus—s'égosillaient à qui mieux mieux et emplissaient l'appartement de roulades stridentes. Cela égayait un peu le silence, et l'ennui lourd des devoirs à faire.
Très occupé, mon père était entraîné au dehors par des amis et des collègues, nous ne le voyions guère; Mlle Huet, d'ailleurs, nous tenait le plus possible à l'écart des réunions et des visites dont il ne nous arrivait plus que de confuses rumeurs à travers les portes. Elle avait imaginé de nous conduire au catéchisme, où nous somnolions sous le flux de sévères conférences. Il fallait en faire des résumés, cependant; mais Mlle Huet, très ferrée, quoique juive, sur l'histoire religieuse chrétienne, les rédigeait entièrement, ce qui nous valait, à chaque concours, de glorieux cachets d'argent et d'or, dont nous n'étions pas fières du tout.
Les nouvelles de Nice, qui avaient d'abord été joyeuses et agréables, devenaient depuis quelque temps assez inquiétantes.
Mon père ne nous communiquait plus les lettres que ma mère lui écrivait. Il nous disait seulement qu'elle se portait bien et nous embrassait, en nous recommandant de ne pas tracasser le chat et ne pas faire peur aux oiseaux. De son côté, Honorine paraissait soucieuse et ne soufflait mot des nouvelles qu'elle recevait de sa mère et de sa sœur.
Un jour, l'adresse de ma mère, à Nice, changea. Le ménage, là-bas, était disloqué.
Que s'était-il passé? rivalité d'artistes?... incompatibilité d'humeur?... la vivacité méridionale et la violence italienne, avaient-elles amené un choc?...
Jamais nous n'avons su exactement ce qui était arrivé. Jusqu'au retour de ma mère, Honorine continua à nous diriger et à s'occuper du ménage; elle déménagea quelques jours avant l'arrivée, emporta Gil Blas de Santillane et le bengali, puis reprit l'habitude de venir le matin, pour s'en retourner le soir.
Seulement, entre elle et ma mère on sentait la situation tendue. Elles s'évitaient le plus possible, ne se parlaient pas, sans laisser échapper des mots aigres, des allusions rancuneuses; et la contrainte résignée de l'institutrice se traduisait pour nous en exigences plus aiguës et en sévérité plus solennelle.
II
Théophile Gautier adorait les voyages, mais il détestait, ou croyait détester la campagne.
—La villégiature qui me plairait le plus, répétait-il souvent, ce serait un entresol sur le boulevard des Italiens.
Cependant un projet imprévu prit naissance à la maison, un certain printemps, et devint le sujet de toutes les conversations: il était question de déménager, de quitter la rue de la Grange-Batelière, où nous habitions depuis plusieurs années, d'abandonner même Paris, et d'aller s'installer aux environs.
Cette idée avait été suggérée à mon père, insinuée plutôt, et presque imposée, par les directeurs du Moniteur Universel, journal officiel de l'Empire.
Elle fut d'abord accueillie sans enthousiasme, mon père ne se laissa pas convaincre facilement; mais les deux amis qui avaient résolu de le décider revenaient sans cesse a la charge.
Le journal officiel était alors pourvu d'une organisation singulière. Il avait deux directeurs. Non pas deux collaborateurs qui unissaient leurs travaux et se partageaient la besogne, mais deux maîtres successifs, indépendants l'un de l'autre. Ils régnaient chacun quinze jours par mois; quand l'un prenait possession du journal, l'autre n'y paraissait plus; et, comme les deux autocrates étaient de tempéraments très contraires, ils passaient le temps de leur toute-puissance à défaire chacun ce qu'avait fait le prédécesseur. Un de ces directeurs était Paul Dalloz; jeune, élégant, poli et pâle, avec la moustache soyeuse, de courts favoris et des cheveux noirs coquettement bouclés au fer, il avait la voix douce et le regard voilé sous de longs cils.
Son plus grand titre de gloire était exposé dans son cabinet directorial: reliés