Le collier des jours: Le second rang du collier. Gautier Judith

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Le collier des jours: Le second rang du collier - Gautier Judith

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de verdure; de grands peupliers sur le ciel bleu, un fouillis de feuillages nuancés....

      Vite, un tour de clé à la porte, pour que don Pierrot ne se sauve pas, et nous dégringolons l'escalier, afin de nous jeter dans cet inconnu, de prendre possession du jardin. C'est par la salle à manger qu'on y accède: une double porte vitrée, juste au-dessous de la glace sans tain que nous venons de voir, s'ouvre sur la cour. De ce côté, la cour devient terrasse, une terrasse large, très longue, pavée, et bordée, sur le jardin en contrebas, par un mur, qui forme parapet, à droite et à gauche d'un escalier de pierre. Du haut des marches, on embrasse le jardin dans son ensemble: il paraît immense, un parc infini: car les petits treillages, verdis de mousse, qui le limitent, sont invisibles. L'escalier, assez raide, descend entre deux talus de gazon; des vases de fonte l'ornent de marche en marche.

      En bas, au bord d'une pelouse toute neuve, d'un vert délicieusement tendre, un cerisier a des fleurs, ce qui nous arrache des cris de joie; puis nous nous lançons en courant sur la pente douce de l'allée. Tout est fin et léger encore, beaucoup d'arbres n'ont presque pas de feuilles et, à travers le réseau des branches, on voit des lointains de verdures plus claires, des taillis, des pelouses, de grands arbres magnifiques, des fuites de perspectives attirantes, mais qui garderont leur mystère puisqu'elles appartiennent à des enclos voisins.

      Là-bas, tout au fond, la Seine doit couler derrière la colonnade des hauts peupliers.

      Un bonhomme, à dos rond, qui ratisse le gravier des allées, nous salue d'un clignement d'yeux. Ce doit être le père Husson, jardinier du propriétaire, et qui, sans doute, va devenir le nôtre.

      Au retour, quelque chose que nous apercevons tout à coup, nous intrigue: c'est une voûte sombre, qui apparaît comme un tunnel de chemin de fer, au bout d'une allée, à droite de l'escalier, là où finit le talus. Nous nous approchons; mais il fait bien noir là-dessous, nous n'osons pas risquer une exploration. D'ailleurs, on nous rappelle en haut: mon père, qui était resté à Paris pour surveiller la seconde escouade de déménageurs, vient d'arriver.

      Dans la salle à manger, le buffet et la table sont déjà installés, le couvert est mis.

      Elle n'est pas bien grande, cette salle, que je n'ai pas regardée tout à l'heure. Du plancher à mi-hauteur, une boiserie peinte, d'un ton sanguinolent qui veut imiter l'acajou, revêt les murs; deux fenêtres donnent sur la cour, très proches l'une de l'autre; à droite de la porte vitrée, dans un pan coupé qui forme niche, un poêle; à gauche, le pan coupé est rempli par deux placards superposés.

      Mon père s'assied à table, à la place qu'il occupera toujours désormais, entre les deux fenêtres; le dossier de sa chaise touche presque le mur.

      —Ma foi, dit-il, je ne suis pas fâché de m'asseoir, depuis ce matin que je suis debout!... Les tibias me sortent par les yeux.

      Il a l'air, en effet, très las, et surtout triste.

      —Père, qu'est-ce que tu as?... tu n'es pas content?...

      —D'abord, je suis moulu, farci de poussière, et ensuite, dépaysé, désorienté, hors de mon assiette. J'ai horreur des bouleversements et de tout ce qui prend fin. Toi, qui n'en es qu'aux premières étapes de la vie, tu ne peux peut-être pas comprendre cela; mais quitter même un endroit où l'on n'a pas eu beaucoup d'agrément, où l'on a trimé ferme et enduré pas mal d'embêtements, c'est un arrachement pénible. Toutes sortes de fils invisibles se cassent, dans cette atmosphère où vous avez tissé lentement votre vie; vos idées, vos rêveries, vos peines et vos joies, pendant des années, ont imprégné les murs, enveloppé les objets, formé ce capitonnage particulier qui fait le bien-être du chez-soi: tout cela est disloqué, dispersé, détruit, il faut du temps pour que cela se refasse. Et puis, c'est une période de l'existence que l'on tranche, brusquement, pour la jeter dans le passé.

      Si je comprenais, moi, qui avais été tant de fois transplantée!... Mais je pensais que la peine était surtout d'être séparé de ceux qu'on aime, et c'est ce que je ne sus pas exprimer.

      —Cependant, ajouta mon père, je ne tiens à rien et j'adore les voyages; arrange cela comme tu voudras: l'homme est plein de contradictions!

      Marianne apporta la soupe, une julienne fumante et qui embaumait. Annette avait tenu à honneur que son dîner fût aussi bon, ce jour-là, qu'à l'ordinaire, et n'avait préparé, à l'avance, que des mets qui gagnent à être réchauffés, ou qui sont meilleurs froids. Nous prenons, à table, les places que nous occuperons chaque jour: moi, à la droite de mon père, ma sœur à la gauche, ma mère à côté de ma sœur. Tout un demi-cercle reste vide.

      Nous sommes tous un peu gênés, à ce commencement de dîner, affectés par ce changement si brusque, ce milieu nouveau, ces murs nus, ce parquet terne où traîne de la paille.

      Ma mère récrimine contre les méfaits probables des déménageurs, elle énumère les objets cassés ou écornés, ceux qu'on ne retrouve pas.

      Mon père conclut:

      —La sagesse des nations l'affirme: «Trois déménagements valent un incendie».

      Tout à coup, une lueur empourpre la chambre; à travers les vitres nues, des traînées rouges courent sur la table, sur nos mains, montent le long de la muraille.

      —Qu'est-ce que c'est?... le feu?...

      Et nous voici tous sur la terrasse; la serviette à la main.

      C'est le soleil couchant, qui incendie le ciel, et ce spectacle inusité nous cause une extrême surprise. La pourpre et l'or se fondent, sous des nuages qui flambent, derrière le rideau des grands peupliers, dont les silhouettes prennent une couleur intense de velours loutre. Toutes les ramilles des arbres sont visibles, noires sur cette lumière et laissent fuser çà et là des jets de feu.

      Mon père a mis son monocle, pour ne rien perdre de la vision.

      —C'est superbe! s'écrie-t-il; le tableau se compose on ne peut mieux, et il est fort heureux que le soleil se couche de ce côté-là. Nous autres, Parisiens, nous finissons par oublier l'astre du jour et ne plus nous soucier des beaux effets qui accompagnent chaque soir son départ: nous ignorons les soleils couchants et la splendeur des crépuscules....

      Une brise fit s'incliner, à plusieurs reprises, les hauts peupliers, dans un lent mouvement silencieux.

      —Ils ont vraiment l'air de nous saluer, pour nous souhaiter la bienvenue! dit mon père. Eh bien! je me sens débarbouillé de toute la poussière par ce bain de lueurs, particulièrement superbes, et je crois que le mouvement de ces grands plumeaux, balaye les toiles d'araignées, tissées dans mon esprit par la mélancolie des regrets.

      Nous nous promenons, ma sœur et moi, sur la terrasse, le long du parapet, quand tinte la clochette que fait sonner, en s'ouvrant, la petite porte de la cour, fermée seulement au pène, qui donne sur la rue près de la loge du jardinier.

      Nous nous retournons, pour voir qui vient.

      Deux messieurs, que nous ne connaissons pas, sont entrés. L'un, mince, grand, avec des cheveux blonds très frisés, une fine moustache, le teint sombre, presque de la même couleur que les cheveux; l'autre plus gros, très brun, les joues bleues, d'épais sourcils, de grandes oreilles et une grande bouche.

      Ils s'avancent en se dandinant, les mains dans les poches, et regardant tout, autour d'eux.

      —Est-ce

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