Les voyageurs du XIXe siècle. Jules Verne

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Les voyageurs du XIXe siècle - Jules Verne

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sauvé, lorsque son cheval s'abattit une seconde fois avec une telle violence qu'il fut jeté au loin contre un arbre. Lorsque le major se releva, son cheval avait disparu et il était sans armes. Aussitôt entouré d'ennemis, Denham, blessé aux deux mains et au côté droit, est en partie dépouillé, et, seule, la crainte de détériorer ses riches vêtements empêche les Felatahs de l'achever.

      Une contestation s'élève à propos de ces dépouilles. Le major en profite pour se glisser sous un cheval, et il disparaît au milieu des halliers. Nu, ensanglanté, après une course folle, il arrive au bord d'une ravine au fond de laquelle coule un torrent.

      «Mes forces m'avaient presque abandonné, dit-il; j'empoignai les jeunes branches qui avaient poussé sur un vieux tronc d'arbre suspendu au-dessus de la ravine, ayant le projet de me laisser glisser jusqu'à l'eau, parce que les rives étaient très escarpées. Déjà les branches cédaient au poids de mon corps, lorsque, sous ma main, un grand «liffa», le serpent le plus venimeux de ces contrées, sortit de son trou comme pour me mordre. L'horreur dont je fus saisi bouleversa toutes mes idées. Les branches se dérobèrent de ma main, et je fus culbuté dans l'eau. Cependant, ce choc me ranima, et trois mouvements de mes bras me portèrent au bord opposé que je gravis avec difficulté. Alors, pour la première fois, j'étais à l'abri de la poursuite des Felatahs...»

      Par bonheur, Denham aperçut un groupe de cavaliers, dont il parvint, malgré le tumulte de la poursuite, à se faire entendre. Il ne parcourut pas moins de trente-sept milles, sans autre vêtement qu'une mauvaise couverture, constellée de vermine, sur la croupe nue d'un cheval maigre. Quelles souffrances avec cette chaleur de trente-six degrés, qui envenimait ses blessures!

      Trente-cinq Arabes tués et avec eux leur chef Bou-Khaloum, presque tous les autres blessés, les chevaux détruits ou perdus, tels furent les résultats d'une expédition qui devait rapporter un immense butin et procurer quantité d'esclaves.

      

      Réception de la mission.

       (Fac-simile. Gravure ancienne.) (Page 84.)

      En six jours furent parcourus les cent quatre-vingts milles qui séparaient Mora de Kouka. Denham reçut dans cette dernière ville un bienveillant accueil du cheik El-Khanemi, qui lui envoya, pour remplacer sa garde-robe perdue, un vêtement à la mode du pays.

      A peine le major était-il remis de ses blessures et de ses fatigues qu'il prenait part à une nouvelle expédition que le cheik envoyait dans le Monga, pays situé à l'ouest du lac Tchad, dont les habitants n'avaient jamais complètement reconnu sa suprématie et refusaient de payer tribut.

      

      Lancier du sultan de Begharmi.

       (Fac-simile. Gravure ancienne.)

      Denham et le docteur Oudney partirent de Kouka le 22 mai, traversèrent le Yeou, rivière presque à sec en cette saison, mais très grosse au moment des pluies, visitèrent Birnie et les ruines du vieux Birnie, ancienne capitale du pays, qui pouvait contenir jusqu'à deux cent mille individus. Ce furent ensuite les restes de Gambarou, aux édifices magnifiques, résidence favorite de l'ancien sultan, détruite par les Felatahs, puis Kabchary, Bassecour, Bately, et tant d'autres villes ou villages, dont la nombreuse population se soumit sans résistance au sultan du Bornou.

      L'hivernage ne fut pas favorable aux membres de la mission. Clapperton avait une fièvre terrible. L'état du docteur Oudney, déjà malade de la poitrine au départ d'Angleterre, empirait tous les jours. Le charpentier Hillman était dans un état désespéré. Seul, Denham résistait encore.

      Dès que la saison des pluies tira vers sa fin, le 14 décembre, Clapperton partit avec le docteur Oudney pour Kano. Nous aurons bientôt à le suivre dans cette partie si intéressante du voyage.

      Sept jours après, un enseigne nommé Toole arrivait à Kouka, n'ayant mis que trois mois et quatorze jours pour venir de Tripoli.

      Au mois de février 1824, Denham et Toole firent une course dans le Loggoun, à l'extrémité méridionale du lac Tchad. Toute la partie voisine du lac et de son affluent, le Chary, est marécageuse et inondée pendant la saison des pluies. Le climat excessivement malsain de cette région fut fatal au jeune Toole, qui mourut le 26 février, à Angala; il n'avait pas encore vingt-deux ans. Persévérant, intrépide, gai, obligeant, doué de sang-froid et de prudence, Toole possédait les qualités qui distinguent le véritable voyageur.

      Le Loggoun était alors un pays très peu connu, que ne parcouraient pas les caravanes, et dont la capitale, Kernok, ne comptait pas moins de quinze mille habitants. C'est un peuple plus beau, plus intelligent que les Bornouens,—cela est vrai surtout pour les femmes,—très laborieux, qui fabrique des toiles très belles et du tissu le plus serré.

      La présentation obligée au sultan se termina, après un échange de bonnes paroles et l'acceptation de riches présents, par cette offre singulière de la part d'un sultan à un voyageur: «Si tu es venu pour acheter des femmes esclaves, ce n'est pas la peine que tu ailles plus loin, je te les vendrai aussi bon marché que qui que ce soit.» Denham eut grand'peine à faire comprendre à ce souverain industriel que tel n'était pas le but de son voyage et que le seul amour de la science avait dirigé ses pas.

      Le 2 mars, Denham était de retour à Kouka, et, le 20 mai, il voyait arriver le lieutenant Tyrwhit, qui, porteur de riches présents pour le cheik, devait résider au Bornou en qualité de consul.

      Après une dernière razzia vers Manou, la capitale du Kanem, et chez les Dogganah, qui habitaient autrefois dans les environs du lac Fitri, le 16 août, le major reprenait avec Clapperton la route du Fezzan, et il rentrait à Tripoli, après un long et pénible voyage dont les résultats géographiques, déjà considérables, avaient été singulièrement augmentés par Clapperton.

      Il est temps, en effet, de raconter les incidents de voyage et les découvertes de cet officier. Parti, le 14 décembre 1823, avec le docteur Oudney pour Kano, grande ville des Felatahs située à l'ouest du Tchad, Clapperton avait suivi le Yeou jusqu'à Damasak, et visité le vieux Birnie, Bera, située sur les bords d'un lac superbe formé des débordements du Yeou, Dogamou, Bekidarfi, cités qui font presque toutes partie du Haoussa. Les habitants de cette province, qui étaient très nombreux avant l'invasion des Felatahs, sont armés d'arcs et de flèches, et font le commerce de tabac, de noix, de gouro, d'antimoine, de peaux de chèvres tannées, de toile de coton en pièces ou en vêtements.

      La caravane abandonna bientôt le cours du Yeou ou Gambarou pour s'avancer dans une contrée boisée, qui doit être complètement inondée pendant la saison des pluies.

      Les voyageurs entrèrent ensuite dans la province de Katagoum, dont le gouverneur les reçut avec beaucoup d'affabilité, leur assurant que leur arrivée était une véritable fête pour lui et qu'elle serait on ne peut plus agréable au sultan des Felatahs, qui n'avait jamais vu d'Anglais. Il leur affirmait en même temps qu'ils trouveraient chez lui, comme à Kouka, tout ce qui leur serait nécessaire.

      La seule chose qui l'étonnât profondément, c'était de savoir que les voyageurs ne voulaient ni esclaves, ni chevaux, ni argent, qu'ils ne demandaient, avec son amitié, que la permission

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