Les voyageurs du XIXe siècle. Jules Verne

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Les voyageurs du XIXe siècle - Jules Verne

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les observations de Clapperton. Cette province formait la frontière du Bornou avant la conquête des Felatahs. Elle peut mettre sur pied quatre mille hommes de cavalerie et deux mille fantassins armés d'arcs, d'épées et de lances. Elle produit du grain et des bœufs, qui sont, avec les esclaves, les principaux articles de commerce. Quant à la ville même, c'était la plus forte que les Anglais eussent vue depuis Tripoli. Percée de portes qu'on fermait tous les soirs, elle était défendue par deux murs parallèles et trois fossés à sec, un intérieur, un autre extérieur, et un troisième creusé entre les deux murailles hautes de vingt pieds et larges de dix à la base. D'ailleurs, aucun autre monument qu'une mosquée en ruines dans cette ville aux maisons de terre, qui peut renfermer sept à huit mille habitants.

      C'est là que, pour la première fois, les Anglais virent les cauris servir de monnaie. Jusqu'alors, la toile du pays ou quelque autre article avait été l'unique terme des échanges.

      Au sud de la province de Katagoum est situé le pays de Yacoba, que les musulmans désignent sous le nom de Mouchy. D'après les rapports que Clapperton reçut, les habitants de cette province, hérissée de montagnes calcaires, seraient anthropophages. Cependant, les musulmans, qui ont une invincible horreur pour les Kaffirs, ne donnent d'autre preuve à cette accusation que d'avoir vu des têtes et des membres humains pendus aux murs des habitations.

      C'est dans le Yacoba que prendrait sa source l'Yeou, rivière complètement à sec pendant l'été, mais dont les eaux, pendant la saison des pluies, au dire des habitants, croissent et diminuent alternativement tous les sept jours.

      «Le 11 janvier, dit Clapperton, nous continuâmes notre voyage, mais, à midi, il fallut nous arrêter à Mourmour. Le docteur était dans un tel état de faiblesse et d'épuisement que je n'espérais pas qu'il pût y résister un jour de plus. Il dépérissait journellement depuis notre départ des montagnes d'Obarri, dans le Fezzan, où il avait été attaqué d'une inflammation à la gorge pour s'être exposé à un courant d'air pendant qu'il était en transpiration.

      «12 janvier.—Le docteur prit, au point du jour, une tasse de café et, d'après son désir, je fis charger les chameaux. Je l'aidai ensuite à s'habiller et, soutenu par son domestique, il sortit de la tente. Mais, à l'instant où l'on allait le placer sur le chameau, j'aperçus dans tous ses traits l'affreuse empreinte de la mort. Je le fis rentrer aussitôt, je me plaçai à côté de lui, et, avec une douleur que je ne chercherai pas à exprimer, je le vis expirer sans proférer une plainte et sans paraître souffrir. J'envoyai demander au gouverneur la permission de l'ensevelir, ce qui me fut accordé sur-le-champ. Je fis creuser une fosse sous un mimosa, auprès d'une des portes de la ville. Après que le corps eut été lavé selon l'usage du pays, je le fis revêtir avec des châles à turbans que nous avions pour en faire des présents. Nos domestiques le portèrent, et, avant de le confier à la terre, je lus le service funèbre de l'Église d'Angleterre. Je fis ensuite entourer le modeste tombeau d'un mur en terre pour le préserver des animaux carnassiers, et je fis tuer deux moutons, que je distribuai aux pauvres.»

      Ainsi s'éteignit misérablement le docteur Oudney, chirurgien de marine assez instruit en histoire naturelle. La terrible maladie dont il avait apporté les germes d'Angleterre, ne lui avait pas permis de rendre à l'expédition tous les services que le gouvernement attendait de lui, et pourtant, il ne ménageait pas ses forces, disant qu'il se sentait moins mal en voyage qu'au repos. Sentant que sa constitution épuisée ne lui permettait pas un travail assidu, jamais il n'avait voulu mettre une entrave au zèle de ses compagnons.

      Après cette triste cérémonie, Clapperton reprit sa route vers Kano. Digou, ville située au milieu d'un pays bien cultivé et qui nourrit de nombreux troupeaux; Katoungoua, qui n'est plus dans la province de Katagoum; Zangeia, située près de l'extrémité de la chaîne des collines de Douchi et qui doit avoir été considérable, à en juger d'après l'étendue de ses murailles encore debout; Girkoua, dont le marché est plus beau que celui de Tripoli; Sochwa, entourée d'un haut rempart d'argile, telles furent les principales étapes du voyageur, avant son entrée à Kano, qu'il atteignit le 20 janvier.

      Kano, la Chana d'Édrisi et des autres géographes arabes, est le grand rendez-vous du royaume de Haoussa.

      «A peine eus-je passé les portes, dit Clapperton, que je fus étrangement déçu dans mon attente. D'après la brillante description que m'en avaient faite les Arabes, je m'attendais à voir une ville d'une étendue immense. Les maisons étaient à un quart de mille des murailles, et dans quelques endroits réunies en petits groupes séparés par de larges mares d'eau stagnante. J'aurais pu me dispenser de mes frais de toilette (il avait revêtu son uniforme d'officier de marine); tous les habitants, occupés à leurs affaires, me laissèrent passer tranquillement sans me remarquer et sans tourner les yeux vers moi.»

      Kano, la capitale de la province de même nom et l'une des principales villes du Soudan, est située par 12°0´19´´ de latitude nord et 9°20´ de longitude est.

      Il peut y avoir dans cette capitale trente ou quarante mille habitants, dont plus de la moitié sont esclaves.

      Le marché, qui est bordé à l'est et à l'ouest par de grands marécages plantés de roseaux, est la retraite de nombreuses bandes de canards, de cigognes et de vautours, qui servent de boueurs à la ville. Dans ce marché, fourni de toutes les provisions en usage en Afrique, on voit de la viande de bœuf, de mouton, de chèvre et quelquefois de chameau.

      «Les bouchers du pays, raconte le voyageur, sont aussi avisés que les nôtres; ils pratiquent quelques coupures pour mettre la graisse en évidence, ils soufflent la viande, et même, quelquefois, ils collent un morceau de peau de mouton à un gigot de chèvre.»

      Du papier à écrire, produit des manufactures françaises, des ciseaux et des couteaux de fabrication indigène, de l'antimoine, de l'étain, de la soie rouge, des bracelets de cuivre, des grains de verroterie, du corail, de l'ambre, des bagues d'étain, quelques bijoux en argent, des châles à turban, de la toile de coton, du calicot, des habillements mauresques et bien d'autres objets encore, voilà ce qu'on trouve abondamment sur le marché de Kano.

      Clapperton y acheta, pour trois piastres, un parapluie anglais en coton, venu par Ghadamès. Il visita aussi le marché aux esclaves, où ces malheureux sont examinés très minutieusement «et avec le même soin que les officiers de santé visitent les volontaires qui entrent dans la marine.»

      La ville est très malsaine; les marais qui la partagent à peu près par la moitié et les trous qu'on creuse dans le sol, pour se procurer la terre nécessaire aux constructions, y engendrent une sorte de mal'aria permanente.

      A Kano, la grande mode est de se teindre les dents et les lèvres avec les fleurs du «gourgi» et du tabac, qui les colorent en rouge sanguin. On mâche la noix de gouro, on la prise même, mêlée avec du «trona», usage qui n'est pas particulier au Haoussa, car on le retrouve également dans le Bornou, où il est cependant interdit aux femmes. Enfin les Haoussani fument un tabac originaire du pays.

      Le 23 février, Clapperton partit pour Sockatou. Il traversa un pays pittoresque et bien cultivé, auquel des bosquets, disséminés sur les collines, donnaient une sorte de ressemblance avec un parc anglais. Des troupeaux de beaux bœufs blancs ou d'un gris cendré animaient le paysage.

      Les localités les plus importantes que Clapperton rencontra sur sa route sont Gadania, ville très peu peuplée, dont les habitants avaient été vendus comme esclaves par les Felatahs, Doncami, Zirmie, capitale du Zambra, Kagaria, Kouara et les puits de Kamoun, où le rejoignit une escorte envoyée par le sultan.

      Sockatou était la ville la plus peuplée que le voyageur eût vue en Afrique. Ses maisons, bien bâties, formaient des rues régulières, au lieu d'être réunies en groupes,

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