Les voyageurs du XIXe siècle. Jules Verne
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Les voyageurs du XIXe siècle - Jules Verne страница 6
«Hassan-Kachef, dit-il, avait besoin d'orge pour ses chevaux; il va se promener dans les champs, suivi d'un grand nombre d'esclaves; il rencontre près d'une belle pièce d'orge le paysan qui en était possesseur. «Vous cultivez mal vos terres, s'écrie-t-il, vous semez de l'orge dans ce champ où vous auriez pu récolter d'excellents melons d'eau qui vaudraient le double. Allez, voici de la graine à melons (et il en donna une poignée au paysan), ensemencez votre champ, et vous, esclaves, arrachez cette vilaine orge et portez-la chez moi.»
Au mois de mars 1814, après avoir pris un peu de repos, Burckhardt entreprit une nouvelle exploration, non plus cette fois sur les bords du Nil, mais bien dans le désert de Nubie. Jugeant que la sauvegarde la plus efficace est la pauvreté, le prudent voyageur renvoya son domestique, vendit son chameau, et, se contentant d'un seul âne, rejoignit une caravane de pauvres marchands.
La caravane partit de Daraou, village habité moitié par des Fellahs, moitié par des Ababdés. Le voyageur eut fort à se plaindre des premiers, non parce qu'ils voyaient en lui un Européen, mais au contraire parce qu'ils le prenaient pour un Turc syrien, venu dans l'intention de s'emparer d'une partie du commerce des esclaves, dont ils avaient le monopole.
Il est inutile de rappeler ici le nom des puits, des collines ou des vallées de ce désert. Nous préférons résumer, d'après le voyageur, l'aspect physique de la contrée.
Bruce, qui l'avait parcourue, la dépeint sous des couleurs trop sombres et il exagère, pour s'en faire un mérite, les difficultés de la route. Si l'on en croit Burckhardt, celle-ci serait moins aride que le chemin d'Alep à Bagdad ou de Damas à Médine. Le désert nubien n'est pas une plaine de sable sans limites, dont nul accident ne vient rompre la désolante monotonie. Il est semé de rochers dont quelques-uns n'ont pas moins de deux à trois cents pieds de haut, et qui sont ombragés de place en place d'énormes touffes de doums ou d'acacias. La végétation si grêle de ces arbres n'est qu'un abri trompeur contre les rayons verticaux du soleil. Aussi le proverbe arabe a-t-il soin de dire : «Compte sur la protection d'un grand et sur l'ombre de l'acacia.»
Ce fut à Ankheyre ou Ouadi-Berber que la caravane atteignit le Nil, après avoir passé par Schiggre, où se trouve une des meilleures sources au milieu des montagnes. En résumé, le seul danger que présente la traversée de ce désert, c'est de trouver à sec le puits de Nedjeym, et, à moins de s'écarter de la route, ce qui est difficile avec de bons guides, on ne rencontre pas d'obstacles sérieux.
La description des souffrances éprouvées par Bruce en cet endroit doit donc être singulièrement atténuée, bien que le récit du voyageur écossais soit le plus souvent respectueux de la vérité.
Les habitants du pays de Berber semblent être les Barbarins de Bruce, les Barabras de d'Anville et les Barauras de Poncet. Leurs formes sont belles, leurs traits entièrement différents de ceux des nègres. Ils maintiennent cette pureté du sang en ne prenant pour femmes légitimes que des filles de leur tribu ou de quelque autre peuplade arabe.
La peinture que Burckhardt fait du caractère et des mœurs de cette tribu, pour être fort curieuse, n'est rien moins qu'édifiante. Il serait difficile de donner une idée de la corruption et de l'avilissement des habitants de Berber. Entrepôt de commerce, rendez-vous de caravanes, dépôt d'esclaves, cette petite ville a tout ce qu'il faut pour être un véritable repaire de bandits.
Les commerçants de Daraou, sur la protection desquels Burckhardt avait jusqu'alors compté, bien à tort, car ils cherchaient tous les moyens de l'exploiter, le chassèrent de leur compagnie en sortant de Berber, et le voyageur dut chercher protection auprès des guides et des âniers, qui l'accueillirent volontiers.
Le 10 avril, la caravane fut rançonnée par le Mek de Damer, un peu au sud du confluent du Mogren (le Mareb de Bruce). C'est un village de Fakirs, propre et bien tenu, qui contraste agréablement avec la saleté et les ruines de Berber. Ces Fakirs s'adonnent à toutes les pratiques de la sorcellerie, de la magie et au charlatanisme le plus effronté. L'un d'eux, dit-on, avait même fait bêler un agneau dans l'estomac de l'homme qui l'avait dérobé et mangé. Ces populations ignorantes ajoutent une entière foi à ces prodiges, et il faut avouer à regret que cela contribue singulièrement au bon ordre, à la tranquillité de la ville, à la prospérité du pays.
De Damer, Burckhardt gagna Schendy, où il séjourna un mois entier, sans que personne soupçonnât sa qualité d'infidèle. Peu importante lors du voyage de Bruce, Schendy possédait alors un millier de maisons. Il s'y fait un commerce considérable, où le dourrah, les esclaves et les chameaux remplacent le numéraire. Les articles les plus offerts sont de la gomme, de l'ivoire, de l'or en lingots et des plumes d'autruche.
Le nombre d'esclaves vendus annuellement à Schendy s'élèverait, selon Burckhardt, à cinq mille, dont deux mille cinq cents pour l'Arabie, quatre cents pour l'Égypte, mille pour Dongola et le littoral de la mer Rouge.
Le voyageur profita de son séjour à la frontière du Sennaar pour recueillir quelques informations sur ce royaume. On lui raconta, entre autres particularités curieuses, que le roi, ayant un jour invité l'ambassadeur de Méhémet-Ali à une revue de sa cavalerie qu'il croyait formidable, l'envoyé lui demanda la permission de le faire assister à l'exercice de l'artillerie turque. A la première décharge de deux petites pièces de campagne montées sur des chameaux, la cavalerie, l'infanterie, les curieux, la cour et le roi lui-même s'enfuirent épouvantés!
Burckhardt vendit sa petite pacotille; puis, lassé des persécutions des marchands égyptiens, ses compagnons de route, il joignit la caravane de Souakim dans le but de parcourir le pays absolument inconnu qui sépare cette dernière ville de Schendy. A Souakim, le voyageur comptait s'embarquer pour la Mecque, dans l'espoir que le Hadji lui serait de la plus grande utilité pour la réalisation de ses projets ultérieurs.
«Les Hadjis, dit-il, forment un corps, et personne n'ose en attaquer un membre, crainte de se les mettre tous sur les bras.»
La caravane à laquelle se joignit Burckhardt était forte de cent cinquante marchands et trois cents esclaves. Deux cents chameaux emportaient de lourdes charges de tabac et de «dammour,» étoffe fabriquée dans le Sennaar.
Le premier objet intéressant qui frappa notre voyageur fut l'Atbara, dont les bords frangés de grands arbres reposaient agréablement les yeux des déserts arides jusque-là traversés.
Le cours du fleuve fut suivi jusqu'à la fertile contrée de Taka. La peau blanche du cheik Ibrahim,—on sait que tel était le nom pris par Burckhardt,—excitait dans plus d'un village les cris d'horreur de la gent féminine, peu habituée à voir des Arabes.
«Un jour, raconte le voyageur, une fille de la campagne, à laquelle j'avais acheté des oignons, me dit qu'elle m'en donnerait davantage, si je voulais me décoiffer et lui montrer ma tête. J'en exigeai huit, qu'elle me livra sur-le-champ. Quand elle vit, mon turban ôté, une tête blanche et tout à fait rasée, elle recula d'horreur, et sur ce que je lui demandai, par plaisanterie, si elle voudrait d'un mari qui eût une tête semblable, elle exprima le plus grand dégoût et jura qu'elle préférerait le plus laid des esclaves amenés du Darfour.»
Un peu avant Goz-Radjeb, Burckhardt aperçut un monument qu'on lui dit être une église ou un temple, car le mot dont on se servit a les deux acceptions. Il se précipitait de ce côté, lorsque ses compagnons le rappelèrent en lui criant:
«Tout est plein de brigands