Les voyageurs du XIXe siècle. Jules Verne

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Les voyageurs du XIXe siècle - Jules Verne

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ne put décider.

      La caravane parvint enfin dans le pays de Taka ou El-Gasch, grande plaine inondée, de juin à juillet, par la crue de petites rivières, dont le limon est d'une fertilité merveilleuse. Aussi recherche-t-on le dourrah qui y pousse et se vend-il à Djeddah vingt pour cent plus cher que le meilleur millet d'Égypte.

      Les habitants, appelés Hadendoa, sont traîtres, voleurs, sanguinaires, et leurs femmes sont presque aussi corrompues que celles de Schendy et de Berber.

      Lorsque l'on quitte Taka pour gagner Souakim et le bord de la mer Rouge, il faut traverser une chaîne de montagnes de calcaire où l'on ne rencontre le granit qu'à Schinterab. Cette chaîne ne présente aucune difficulté. Aussi le voyageur arriva-t-il sans encombre à Souakim le 26 mai.

      Mais les misères que Burckhardt devait éprouver n'étaient pas finies. L'émir et l'aga s'étaient entendus pour le dépouiller, et il était traité comme le dernier des esclaves, lorsque la vue des firmans qu'il tenait de Méhémet-Ali et d'Ibrahim-Pacha, changea complètement la scène. Loin d'aller en prison comme il en était menacé, le voyageur fut emmené chez l'aga, qui voulut le loger et lui faire don d'une jeune esclave.

      «Cette traversée de vingt à vingt-cinq jours, dit M. Vivien de Saint-Martin, entre le Nil et la mer Rouge, était la première qu'un Européen eût jamais effectuée. Elle a valu à l'Europe les premières informations précises que l'on ait eues sur les tribus, en partie nomades, en partie sédentaires, de ces cantons. Les observations de Burckhardt sont d'un intérêt soutenu. Nous connaissons peu de lectures plus substantiellement instructives et, cependant, plus attachantes.»

      Burckhardt put s'embarquer, le 7 juillet, sur un bateau du pays et gagner onze jours plus tard Djeddah, qui est comme le port de la Mecque.

      Djeddah est bâtie au bord de la mer et entourée de murs impuissants contre l'artillerie, mais qui suffisaient parfaitement à la défendre contre les Wahabites. Ceux-ci, qu'on a qualifiés de «puritains de l'islamisme», forment une secte dissidente, dont la prétention était de ramener le mahométisme à sa simplicité primitive.

      «Une batterie, dit Burckhardt, garde l'entrée du côté de la mer et commande tout le port. On y voit sur son affût une énorme pièce d'artillerie qui porte un boulet de cinq cents livres et qui est si célèbre sur tout le golfe Arabique que sa seule réputation est une protection pour Djeddah.»

      Un des grands inconvénients de cette ville, c'est son manque d'eau douce, qu'il faut aller tirer de puits situés à près de deux milles de là. Sans jardins, sans végétaux, sans dattiers, Djeddah, malgré sa population de douze à quinze mille âmes,—chiffre que vient doubler la saison du pèlerinage,—présente un aspect absolument original. Sa population est loin d'être autochtone; elle se compose d'indigènes de l'Hadramazt, de l'Yemen ou d'Indiens de Surate et de Bombay, de Malais, qui, venus en pèlerinage, ont fait souche dans la ville.

      Au milieu de détails très minutieux sur les mœurs, la manière de vivre, le prix des denrées, le nombre des marchands, on rencontre dans le récit de Burckhardt plus d'une anecdote intéressante.

      Parlant des usages singuliers des habitants de Djeddah, le voyageur dit: «Presque tout le monde a l'habitude d'avaler chaque matin une tasse à café pleine de «ghi» ou beurre fondu. Ensuite, on boit le café, ce qui est regardé comme un tonique puissant, et ces gens y sont tellement habitués depuis leur plus tendre jeunesse, qu'ils se sentiraient très incommodés s'ils en discontinuaient l'usage. Ceux des hautes classes se contentent de boire la tasse de beurre, mais ceux des classes inférieures y ajoutent une demi-tasse de plus, qu'ils aspirent par les narines, supposant qu'ils empêcheront par là le mauvais air d'entrer dans leur corps par ces ouvertures.»

      Le 24 août, le voyageur quitta Djeddah pour Taïf. Le chemin traverse une chaîne de montagnes, des vallées aux paysages romantiques et d'une verdure luxuriante qu'on est tout surpris de rencontrer. Burckhardt y fut pris pour un espion anglais, étroitement surveillé. Malgré le bon accueil apparent du pacha, il n'eut aucune liberté de mouvements, et ne put donner carrière à ses goûts d'observateur.

      Taïf est renommée, paraît-il, pour la beauté de ses jardins; ses roses et ses raisins sont transportés dans tous les cantons du Hedjaz. Cette ville faisait un commerce considérable et avait atteint une grande prospérité, avant d'être pillée par les Wahabites.

      La surveillance dont Burckhardt était l'objet hâta son départ, et, le 7 septembre, il prenait la route de la Mecque. Très versé dans l'étude du Coran, connaissant à merveille les pratiques de l'islamisme, Burckhardt était à même de jouer très sérieusement son rôle de pèlerin. La première précaution qu'il prit fut de revêtir, comme la loi le prescrit pour tout fidèle qui entre à la Mecque, «l'ihram,» pièces de calicot sans couture, l'une enveloppant les reins, l'autre jetée sur le cou et les épaules. Le premier devoir du pèlerin est d'aller au Temple avant même de songer à se procurer un gîte. Burckhardt ne manqua pas à cette prescription, pas plus qu'à l'observation des rites et des cérémonies ordonnées en pareil cas, toutes choses d'un intérêt spécial, mais, par cela même, trop restreint pour que nous nous y arrêtions.

      «La Mecque, dit Burckhardt, peut être appelée une jolie ville. Ses rues sont en général plus larges que celles des autres villes de l'Orient. Ses maisons sont hautes et bâties en pierres; les fenêtres, nombreuses, s'ouvrant sur les rues, lui donnent un air plus gai et plus européen qu'à celles d'Égypte ou de Syrie, dont les habitations ne présentent, à l'extérieur, qu'un petit nombre de fenêtres... Chaque maison a sa terrasse, dont le sol, revêtu de chaux, est légèrement incliné, de sorte que l'eau coule par des gouttières dans la rue. Ces plates-formes sont cachées par de petits murs en parapet; car, dans tout l'Orient, il est inconvenant pour un homme de s'y montrer, et on l'accuserait d'y épier les femmes, qui passent une grande partie de leur temps sur la terrasse de leur maison à y sécher le blé, à étendre le linge et à d'autres occupations domestiques. La seule place publique de la ville est la vaste cour de la Grande Mosquée. Peu d'arbres; pas un jardin ne récrée la vue, et la scène n'est animée que durant le pèlerinage par une multitude de boutiques bien garnies, que l'on trouve partout. Excepté quatre ou cinq maisons spacieuses, appartenant au shérif, deux médressés ou collèges, maintenant convertis en magasins à blé, et la mosquée, avec quelques bâtiments et des écoles qui y sont attachées, la Mecque ne peut se vanter d'aucun édifice public, et, à cet égard peut-être, elle le cède aux autres villes de l'Orient de la même étendue.»

      Les rues ne sont point pavées, et, comme les égouts sont inconnus, il s'y forme des flaques d'eau et une boue dont rien ne peut donner une idée.

      Quant à l'eau, on ne doit compter que sur celle du ciel, qu'on recueille dans des citernes, car celle que fournissent les puits est si saumâtre, qu'il est impossible de l'utiliser.

      «A l'endroit où la vallée s'élargit le plus, dans l'intérieur de la ville, s'élève la mosquée appelée Beithou'llah ou El-Haram, édifice remarquable seulement à cause de la Kaaba qu'il renferme, car, dans d'autres villes de l'Orient, il y a des mosquées presque aussi grandes et bien plus belles.»

      Cette mosquée est située sur une place oblongue, entourée à l'est d'une colonnade à quatre rangs, et le long des autres côtés à trois; les colonnes sont unies entre elles par des arcades en ogive; de quatre en quatre, elles supportent un petit dôme enduit de mortier et blanchi au dehors. Quelques-unes de ces colonnes sont en marbre blanc, en granit ou en porphyre, mais la plupart sont en pierre ordinaire des montagnes de la Mecque.

      

      Marchande

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