P'tit-bonhomme. Jules Verne

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P'tit-bonhomme - Jules Verne

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promenade à travers les allées du mail, sous l'ombrage de ses magnifiques ormes. Il s'y trouvait seul. Les enfants avaient fini par l'abandonner. Il atteignit ainsi le parc, sillonné d'avenues sablées, que le marquis de Sligo livre à la circulation publique, afin de donner accès au port qu'un bon mille sépare de la ville.

      «Marionnettes royales... marionnettes!»

      Personne ne répondait. Les oiseaux jetaient des cris aigus en s'envolant d'un arbre à l'autre. Le parc était non moins abandonné que le mail. Aussi, pourquoi venir un dimanche convier des catholiques à cette exhibition, lorsque c'est l'heure des offices? Il fallait vraiment que ce Thornpipe ne fût pas du pays. Peut-être, après le dîner de midi, entre la messe et les vêpres, sa tentative serait-elle plus heureuse? Dans tous les cas, il n'y avait aucun inconvénient à pousser jusqu'au port, et c'est ce qu'il fit en jurant, à défaut de saint Patrick, par tous les diables d'Irlande.

      Il est peu fréquenté, ce port que la rivière baigne au fond de la baie de Clew, bien qu'il soit le plus vaste et le mieux abrité de cette côte. S'il y vient quelques navires, c'est qu'il est nécessaire que la Grande-Bretagne, c'est-à-dire l'Angleterre et l'Écosse, envoie à cette aride région du Connaught ce qu'elle ne peut tirer de son propre sol. L'Irlande est un enfant qui se nourrit à ces deux mamelles; mais les nourrices lui font payer cher leur lait.

      Plusieurs matelots se promenaient sur le quai en fumant, et, en ce jour de fête, il va de soi que le déchargement des navires avait été suspendu.

      On sait combien l'observation du dimanche est sévère chez la race anglo-saxonne. Les protestants y apportent toute l'intransigeance de leur puritanisme, et, en Irlande, les catholiques luttent de rigorisme avec eux dans la pratique du culte. Et pourtant, ils sont deux millions et demi contre cinq cent mille adeptes des divers rites de la religion anglicane.

      Du reste, on ne voyait à Westport aucun navire appartenant aux autres pays. Des bricks-goélettes, des schooners ou des cutters, quelques barques de pêche, de celles qui travaillent à l'ouvert de la baie, se trouvaient à sec, la marée étant basse. Ces navires, venus de la côte occidentale de l'Écosse avec des chargements de céréales,—ce qui manque le plus au Connaught,—repartiraient sur lest, après avoir livré leur cargaison. Pour rencontrer les bâtiments de grande navigation, il faut aller à Dublin, à Londonderry, à Belfast, à Cork, où font escale les paquebots transatlantiques des lignes de Liverpool et de Londres.

      Plusieurs matelots se promenaient sur le quai. (Page 7.)

      Évidemment, ce ne serait pas au fond du gousset de ces marins inoccupés que Thornpipe pourrait puiser quelques shillings, et son cri devait rester sans écho même sur les quais du port.

      Il laissa donc s'arrêter sa charrette. Le chien affamé, rompu de fatigue, s'étendit sur le sable. Thornpipe tira de son bissac un morceau de pain, quelques pommes de terre et un hareng salé; puis, il se mit à manger, en homme qui en est à son premier repas après une longue étape.

      Thornpipe fit son petit tour. (Page 18.)

      L'épagneul le regardait, faisant claquer ses mâchoires d'où pendait une langue brûlante. Mais, paraît-il, ce n'était pas l'heure de sa réfection, car il finit par allonger sa tête entre ses pattes, en fermant les yeux.

      Un léger mouvement, qui se produisit dans la caisse de la charrette, tira Thornpipe de son apathie. Il se leva, observa si personne ne l'apercevait. Et alors, soulevant le tapis qui recouvrait la boîte aux marionnettes, il y introduisit un morceau de pain, en disant d'un ton farouche:

      «Si tu ne te tais pas!...»

      Un bruit de mastication gloutonne lui répondit, comme si un animal, mourant de faim, eût été blotti à l'intérieur de cette caisse, et il revint à son déjeuner.

      Thornpipe eut bientôt achevé le hareng et les pommes de terre, cuites dans la même eau afin de leur donner plus de goût. Il porta alors à ses lèvres une gourde grossière, pleine de ce petit lait aigre, qui est une boisson assez commune dans le pays.

      Sur ces entrefaites, la cloche de l'église de Westport retentit à toute volée, sonnant la fin de l'office.

      Il était onze heures et demie.

      Thornpipe releva le chien d'un coup de fouet, et ramena vivement sa charrette vers le mail, avec l'espoir d'accaparer quelques spectateurs à leur sortie de la messe. Pendant la bonne demi-heure qui précédait le dîner, peut-être l'occasion s'offrirait-elle de faire une recette. Thornpipe recommencerait après vêpres, et ne se remettrait en route que le lendemain, afin d'exhiber ses marionnettes en quelque autre bourgade du comté.

      En somme, l'idée n'était pas mauvaise. A défaut de shillings, il saurait se contenter de coppers, et du moins ses marionnettes ne travailleraient pas pour ce fameux roi de Prusse, dont l'avarice fut telle que personne ne vit jamais la couleur de son argent.

      Le cri retentit de nouveau:

      «Marionnettes royales... marionnettes!»

      En deux ou trois minutes, une vingtaine de personnes se rassemblèrent autour de Thornpipe. Dire que ce fût l'élite de la population westportienne, ce serait dépasser la mesure. Il y avait là des enfants en majorité, une dizaine de femmes, quelques hommes, la plupart tenant leurs chaussures à la main, non seulement par désir de ne point les user, mais aussi parce qu'ils étaient plus à l'aise, ayant l'habitude de marcher pieds nus.

      Cependant, faisons une exception pour certains notables de Westport, appartenant à ce public bête des dimanches. Tel le boulanger, qui s'est arrêté avec sa femme et ses deux enfants. Il est vrai, son «tweed» date déjà de quelques années, et l'on sait que les années comptent double et même triple sous le climat pluvieux de l'Irlande; mais le digne patron est présentable, en somme. Ne se doit-il pas à sa boutique pompeusement désignée par cette enseigne: «Boulangerie publique centrale»! Et, en effet, elle centralise si bien les produits de sa fabrication qu'il n'y en a pas d'autre à Westport. Là se voit également le droguiste, lequel réclame volontiers le titre de pharmacien, bien que son office soit dépourvu des drogues les plus usuelles, et pourtant, sur la devanture se détachent ces mots: Medical Hall, tracés en lettres superbes, qui devraient vous guérir rien qu'en les regardant.

      Il faut noter encore qu'un prêtre a fait halte devant la charrette de Thornpipe. Cet ecclésiastique porte un costume très propre: col en soie, long gilet dont les boutons sont rapprochés comme ceux d'une soutane, vaste lévite en étoffe noire. C'est le chef de la paroisse, où il exerce de multiples fonctions. Il ne se contente pas, en effet, de baptiser, de confesser, de marier, d' «extrémiser» ses fidèles, il les conseille dans leurs affaires, il les soigne dans leurs maladies, il agit avec une complète indépendance, car il ne relève de l'État ni par son traitement ni par ses attributions. Les dîmes en nature ou les honoraires des cérémonies religieuses,—ce qu'on appelle le casuel en d'autres pays,—lui assurent une vie honorable et facile. Il est l'administrateur naturel des écoles et des maisons de charité,—ce qui ne

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