P'tit-bonhomme. Jules Verne

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P'tit-bonhomme - Jules Verne

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politiques et guerrières, entre autres Sa Grâce le duc de Cambridge auprès de feu lord Wellington, et feu lord Palmerston auprès de feu M. Pitt; enfin des membres de la Chambre haute, fraternisant avec des membres de la Chambre basse; derrière eux, une rangée de horse-guards, en tenue de parade, à cheval au milieu de ce salon,—ce qui indique bien qu'il s'agit d'une fête comme il est rare d'en voir au château d'Osborne. Cet ensemble comprend environ une cinquantaine de petits bonshommes, violemment peinturlurés, qui représentent avec aplomb et raideur tout ce qu'il y a de plus aristocratique, de plus distingué, de plus officiel, dans le monde militaire et politique du Royaume-Uni.

      On s'aperçoit même que la flotte anglaise n'a point été oubliée, et si le yacht royal Victoria and Albert n'est pas là sous vapeur, du moins des navires sont-ils dessinés sur la vitre des fenêtres, d'où l'on est censé voir la rade de Spithead. Avec de bons yeux, sans doute, on pourrait distinguer le yacht Enchanteress, ayant à bord leurs Seigneuries les lords de l'Amirauté, tenant chacun une lunette d'une main et un porte-voix de l'autre.

      Il faut en convenir, Thornpipe n'a point trompé son public, en disant que cette exhibition est unique au monde. Positivement, elle permet d'économiser un voyage à l'île de Wight. Aussi est-ce un ébahissement, non seulement chez les gamins qui regardent cette merveille, mais également parmi les spectateurs d'âge respectable, qui ne sont jamais sortis du comté de Connaught ni des environs de Westport. Peut-être le curé de la paroisse ne laisse-t-il pas de sourire in petto: quant au pharmacien-droguiste, il ne se cache pas de dire que ces personnages sont d'une ressemblance à s'y méprendre, bien qu'il ne les ait vus de sa vie. Pour le boulanger, il l'avouait, cela passait l'imagination, et il se refusait à croire qu'une réception à la cour d'Angleterre pût s'accomplir avec tant de luxe, d'éclat et de distinction.

      «Eh bien, ladies et gentlemen, ce n'est rien encore! reprit Thornpipe. Vous supposez sans doute que ces personnes royales et autres ne peuvent faire ni mouvements ni gestes... Erreur! Elles sont vivantes, vivantes, je vous dis, comme vous et moi, et vous l'allez voir. Auparavant, je prendrai la liberté de faire mon petit tour en me recommandant à la générosité d'un chacun.»

      Un petiot de trois ans environ. (Page 22.)

      Il va de soi que chez toute cette marmaille en guenilles qui ne bougea pas, on n'eût pas même trouvé deux coppers à récolter. Quant à ceux des spectateurs qui, alléchés par le boniment du montreur de marionnettes, voulaient voir sans payer, ils se bornèrent à détourner la tête. Cinq ou six seulement tirèrent quelques piécettes de leur gousset, ce qui produisit une recette d'un shilling et trois pence que Thornpipe accueillit d'une méprisante grimace... Que voulez-vous? Il fallait s'en contenter, en attendant la représentation de l'après-midi, qui serait peut-être meilleure, et se conformer au programme annoncé plutôt que de rendre l'argent.

      Et, alors, à l'admiration muette succéda l'admiration démonstrative et criarde. Les mains se mirent à battre, les pieds à trépigner, les bouches à s'emplir, puis à se vider de aohs! qui devaient s'entendre du port.

      En effet, Thornpipe vient de donner sous la caisse un coup de baguette, qui a provoqué un gémissement auquel personne n'a pris garde. Soudain toute la scène s'est animée, on peut dire d'une façon miraculeuse.

      Les marionnettes, mues par un mécanisme intérieur, semblent être douées d'une vie réelle. Sa Majesté la reine Victoria n'a pas quitté son trône,—ce qui eût été contraire à l'étiquette,—elle ne s'est pas même levée, mais elle meut la tête, agitant son bonnet couronné et abaissant son sceptre à la façon du bâton d'un chef de musique qui bat une mesure à deux temps. Quant aux membres de la famille royale, ils se tournent et se retournent tout d'une pièce, rendant salut pour salut, tandis que ducs, marquis, baronnets, défilent avec grandes démonstrations de respect. De son côté, le premier ministre s'incline devant M. Gladstone, qui s'incline à son tour. Après eux, O'Connell s'avance gravement sur sa rainure invisible, suivi du duc de Cambridge, lequel semble exécuter un pas de caractère. Les autres personnages déambulent ensuite, et les chevaux des horse-guards, comme s'ils étaient non dans un salon mais au milieu de la cour du château d'Osborne, piaffent en secouant leur queue.

      Et tout ce manège s'accomplit au son d'une musique aigre et susurrante, grâce à une serinette à laquelle manquaient nombre de dièzes et de bémols. Mais comment Paddy,—si sensible à l'art musical que Henri VIII a mis une harpe dans les armes de la Verte Erin,—n'aurait-il pas été charmé, bien qu'il eût préféré au God save the Queen et au Rule Britannia, hymnes mélancoliques qui sont les dignes chants nationaux du triste Royaume-Uni, quelque refrain de sa chère Irlande?

      De vrai, c'était très beau, et pour qui n'avait jamais vu les mises en scène des grands théâtres de l'Europe, il y avait là de quoi provoquer plus que de l'admiration. Et ce fut un indescriptible enthousiasme à la vue de ces marionnettes mouvantes, que l'on appelle en termes du métier des «danso-musicomanes».

      Mais, à un certain moment, voici que par suite d'un à-coup du mécanisme, la Reine abaisse si vivement son sceptre qu'elle atteint le dos rond du premier ministre. Alors les hurrahs du public de redoubler.

      «Ils sont vivants! dit un des spectateurs.

      —Il ne leur manque que la parole! répondit un autre.

      —Ne le regrettons pas!» ajouta le pharmacien, qui était démocrate à ses moments perdus.

      Et il avait raison. Voyez-vous ces marionnettes faisant des discours officiels!

      «Je voudrais savoir ce qui les met en mouvement, dit alors le boulanger.

      —C'est le diable! répliqua un vieux matelot.

      —Oui! le diable!» s'écrièrent quelques matrones à demi convaincues, qui se signèrent, en tournant la tête vers le curé, lequel regardait d'un air pensif.

      «Comment voulez-vous que le diable puisse tenir à l'intérieur de cette caisse? fit observer un jeune commis, connu pour ses naïvetés. Il est de grande taille... le diable...

      —S'il n'est pas dedans, il est dehors! riposta une vieille commère. C'est lui qui nous montre le spectacle...

      —Non, répondit gravement le droguiste, vous savez bien que le diable ne parle pas l'Irlandais!»

      Or, c'est là une de ces vérités que Paddy admet sans conteste, et il fut constant que Thornpipe ne pouvait être le diable, puisqu'il s'exprimait en pure langue du pays.

      Décidément, si le sortilège n'entrait pour rien en cette affaire, il fallait admettre

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