P'tit-bonhomme. Jules Verne

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P'tit-bonhomme - Jules Verne

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temps» à l'île Norfolk, au centre des mers australiennes, et dont le père, condamné à mort pour assassinat, avait fini à la prison de Newgate par les mains du fameux Berry.

      Ce garçon se nommait Carker. A douze ans, il semblait déjà prédestiné à marcher sur les traces de ses parents. On ne s'étonnera pas qu'au milieu de ce monde abominable de la ragged-school, il fût quelqu'un. Il jouissait d'une certaine considération, étant perverti et pervertissant, ayant ses flatteurs et ses complices, chef indiqué des plus méchants, toujours prêts à quelques mauvais coups, en attendant les crimes, lorsque l'école les aurait vomis comme une écume sur les grandes routes.

      Hâtons-nous de le dire, P'tit-Bonhomme n'éprouvait que de l'aversion pour ce Carker, bien qu'il ne cessât de le regarder avec de grands yeux, pleins d'étonnement. Jugez donc! le fils d'un homme qui a été pendu!

      Si le personnel de l'école travaillait à peine de la tête, ce n'est pas parce qu'il travaillait honorablement de ses mains. Ramasser un peu de combustible pour l'hiver, mendier des lambeaux de vêtements chez les personnes charitables, recueillir le crottin des chevaux et des bestiaux pour l'aller vendre dans les fermes au prix de quelques coppers—recette à laquelle M. O'Bodkins ouvrait un compte spécial—fouiller les tas d'ordures accumulées au coin des rues, autant que possible avant les chiens et, s'il le fallait, après s'être battus avec eux, telles étaient les occupations quotidiennes de ces enfants. De jeux, de divertissements, aucuns,—à moins que ce ne soit un plaisir de s'égratigner, de se pincer, de se mordre, de se frapper du pied et du poing, sans parler des mauvais tours que l'on jouait à Grip. Il est vrai, ce brave garçon prenait cela sans trop s'en inquiéter,—ce qui poussait Carker et les autres à s'acharner sur lui avec autant de lâcheté que de cruauté.

      La seule chambre à peu près propre de la ragged-school était celle du directeur. Il va de soi qu'il n'y laissait jamais entrer personne. Ses livres eussent été vite mis en pièces, leurs feuilles dispersées à tous les vents. Aussi ne lui déplaisait-il pas que ses «élèves» fussent dehors, errant à l'aventure, vagabondant, polissonnant, et c'était toujours trop tôt, à son gré, qu'il les voyait revenir, lorsque le besoin de manger ou de dormir les ramenait à l'école.

      Avec son esprit sérieux, ses bons instincts, P'tit-Bonhomme était le plus ordinairement en butte, non seulement aux sottes plaisanteries de Carker et de cinq ou six autres qui ne valaient pas mieux, mais aussi à leurs brutalités. Il évitait de se plaindre. Ah! que n'avait-il la force? Comme il se serait fait respecter, comme il aurait rendu coup de poing pour coup de poing, coup de pied pour coup de pied, et quelle colère s'amassait en son cœur de se sentir trop faible pour se défendre!

      Il était, d'ailleurs, celui qui sortait le moins de l'école, trop heureux d'y goûter un peu de calme, lorsque ces garnements vaguaient aux alentours. C'était sans doute au préjudice de son bien-être, car il aurait pu trouver quelque morceau de rebut à ronger, un gâteau de «vieux cuit» à acheter pour deux ou trois coppers dus à l'aumône. Mais il répugnait à tendre la main, à courir derrière les cars, dans l'espoir d'attraper une menue monnaie, et surtout à dérober quelque babiole aux étalages, et Dieu sait si les autres s'en privaient! Non! il préférait rester avec Grip.

      «Tu n' sors pas? lui disait celui-ci.

      —Non, Grip.

      —Carker t' battra, si tu n'as rien rapporté c' soir!

      —J'aime mieux être battu.»

      Grip éprouvait pour P'tit-Bonhomme une affection qui était partagée. Ne manquant pas d'intelligence, sachant lire et écrire, il essayait d'apprendre à l'enfant un peu de ce qu'il avait appris. Aussi, depuis qu'il se trouvait à Galway, P'tit-Bonhomme commençait-il à montrer quelque progrès en lecture tout au moins, et promettait de faire honneur à son maître.

      Il convient d'ajouter que Grip connaissait un tas d'histoires amusantes, et qu'il les racontait joyeusement.

      Avec ses éclats de rire dans ce sombre milieu, il semblait à P'tit-Bonhomme que ce brave garçon jetait un rayon de lumière au milieu de la ténébreuse école.

      Ce qui irritait particulièrement notre héros, c'était que les autres s'en prissent à Grip et en fissent l'objet de leur malveillance. Celui-ci, nous le répétons, supportait cela avec une très philosophique résignation.

      «Grip!... lui disait parfois P'tit-Bonhomme.

      —Qu' veux-tu?

      —Il est bien méchant, Carker!

      —Certes... bien méchant.

      —Pourquoi ne tapes-tu pas dessus?...

      —Taper?...

      —Et aussi sur les autres?»

      Grip haussait les épaules.

      «Est-ce que tu n'es pas fort, Grip?...

      —J' sais pas.

      —Tu as pourtant de grands bras, de grandes jambes...»

      Oui, il était grand, Grip, et maigre comme une tige de paratonnerre.

      «Eh bien, Grip, pourquoi que tu ne les calottes pas, ces mauvaises bêtes?

      —Bah! ça n' vaut pas la peine!

      —Ah! si j'avais tes jambes et tes bras...

      —Ce qui vaudrait mieux, p'tit, répondait Grip, ce s'rait de s'en servir pour travailler.

      —Tu crois?...

      —Sûr.

      —Eh bien!... nous travaillerons ensemble!... Dis?... nous essaierons... veux-tu?...»

      Grip voulait bien.

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