Souvenirs d'égotisme autobiographie et lettres inédites publiées par Casimir Stryienski. Stendhal
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Il aura pris cette habitude en 1789. L’essentiel est de ne mécontenter personne et de se rappeler tous les noms, ce en quoi il est admirable. L’intérêt d’un chef de parti éloigne chez M. de La Fayette toute idée littéraire, dont d’ailleurs, je le crois assez incapable. C’est, je pense, par ce mécanisme qu’il ne sentait pas la lourdeur, tout l’ennui de M. Dunoyer et consorts.
J’ai oublié de peindre ce salon. Sir Walter Scott, et ses imitateurs, eussent commencé par là, mais moi, j’abhorre la description matérielle. L’ennui de les faire m’empêche de faire des romans[61].
La porte d’entrée A donne accès à un salon de forme longue auquel se trouve une grande porte toujours ouverte à deux battants. On arrive à un salon carré assez grand avec une belle lampe en forme de lustre, et sur la cheminée une abominable petite pendule. A droite, en entrant dans ce grand salon, il y a un beau divan bleu sur lequel sont assises quinze jeunes filles de douze à dix-huit ans et leurs prétendants: M. Charles de Rémusat, qui a beaucoup d’esprit et encore plus d’affectation,—c’est une copie du fameux acteur Fleury; M. François de Corcelles qui a toute la franchise et la rudesse républicaines.
Probablement il s’est vendu en 1831; en 1820, il publiait déjà une brochure qui avait le malheur d’être louée par M. l’avocat Dupin (fripon avéré et de moi connu comme tel dès 1827).
En 1821, MM. de Rémusat et de Corcelles étaient fort distingués et, depuis, ont épousé des petites-filles de M. de La Fayette. A côté d’eux paraissait un Gascon froid, M. S......., peintre. C’est, ce me semble, le menteur le plus effronté et la figure la plus ignoble que je connaisse.
On m’assura dans le temps qu’il avait fait la cour à la céleste Virginie, l’aînée des petites-filles de M. de La Fayette, et qui depuis a épousé le fils de E. Augustin Périer, le plus important et le plus empesé de mes compatriotes. Mlle Virginie, je crois, était la favorite de madame de Tracy.
A côté de l’élégant M. de Rémusat, se voyaient deux figures de jésuites au regard faux et oblique. Ces gens-là étaient frères et avaient le privilège de parler des heures entières à M. le comte de Tracy. Je les adorai avec toute la vivacité de mon âge en 1821 (j’avais vingt et un ans à peine pour la duperie du cœur). Les ayant bientôt devinés, mon enthousiasme pour M. de Tracy souffrit un notable déchet.
L’aîné de ces frères a publié une histoire sentimentaliste de la conquête de l’Angleterre par Guillaume. C’est M. X... de l’Académie des Inscriptions. Il a eu le mérite de rendre leur véritable orthographe aux Clovis, Chilpéric et autres fantômes des premiers temps de notre histoire. Il a publié un livre moins sentimental sur l’organisation des communes en France en douze volumes. Son frère, bien plus jésuite (pour le cœur et la conduite) quoique ultra libéral comme l’autre, devint préfet de Vesoul en 1830 et probablement s’est vendu à ses appointements, comme son patron M. G....t.
Un contraste parfait avec ces deux frères jésuites, avec le comte Dunoyer, avec Rémusat, c’était le jeune Victor Jacquemont, qui depuis a voyagé dans l’Inde. Victor était alors fort maigre, il a près de six pieds de haut, et, dans ce temps-là, il n’avait pas la moindre logique, et en conséquence, était misanthrope, sous prétexte qu’il avait beaucoup d’esprit. M. Jacquemont ne voulait pas se donner la peine de raisonner. Ce vrai Français regardait à la lettre l’invitation à raisonner comme une insolence. Le voyage était réellement la seule porte que la vanité laissât ouverte à la vérité. Du reste, je me trompe peut-être, Victor me semble un homme de la plus grande distinction, comme un connaisseur (pardonnez-moi ce mot) voit un beau cheval dans un poulain de quatre mois qui a encore les jambes engorgées.
Il devint mon ami, et ce matin (1832) j’ai reçu une lettre qu’il m’écrit de Kachemyr, dans l’Inde.
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