Sonate à Kreutzer: Collection intégrale (3 Traductions en un seul livre). León Tolstoi
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Читать онлайн книгу Sonate à Kreutzer: Collection intégrale (3 Traductions en un seul livre) - León Tolstoi страница 14
Comme les serfs étaient élevés uniquement pour plaire à leurs maîtres, la femme est élevée pour attirer les hommes : il n’en peut être autrement. Mais vous direz peut-être que cela ne se rapporte qu’aux jeunes filles mal élevées, celles que nous appelons des « demoiselles », mais qu’il est une autre éducation, sérieuse celle-là, dans les collèges, avec des langues mortes, dans les instituts d’accouchement, dans les cours de médecine et autres : c’est faux !
Toutes espèces d’éducations féminines n’ont pour but que d’attirer les hommes.
Les unes attirent par la musique ou les cheveux bouclés, les autres par la science ou par la vertu civique. Le but est le même et ne peut être autre (puisque l’autre n’existe pas) ! séduire l’homme pour le posséder. Imaginez-vous des cours pour les femmes et la science féminine sans les hommes, c’est-à-dire les femmes savantes et les hommes ne le sachant pas ? Mais non ! aucune éducation, aucune instruction ne pourra changer la femme, tant que son plus haut idéal sera le mariage et non la virginité, l’affranchissement de la sensualité. Jusque-là, elle restera serve. Il suffit d’imaginer, en oubliant l’universalité du cas, les conditions où sont élevés nos demoiselles, pour ne pas s’étonner de la débauche des femmes de nos classes supérieures, mais pour s’étonner du contraire.
Suivez mon raisonnement : depuis l’enfance, les vêtements, les ornements, la propreté, la grâce, les danses, la musique, la lecture des vers, les romans, le chant, le théâtre, le concert, à l’usage interne et externe, selon que les femmes écoutent ou exercent elles-mêmes. Avec cela une complète oisiveté physique, un soin excessif du corps, une nourriture de sucreries, succulente ; et Dieu sait comme les pauvres vierges souffrent de leur propre sensualité excitée par toutes ces choses. Neuf sur dix sont torturées, intolérablement, durant la première période de maturité – et après, si elles ne se marient pas à vingt ans. Nous ne voulons pas voir, mais ceux qui ont des yeux voient tout de même. Et même, en majorité, ces malheureuses sont tellement excitées par une sensualité cachée (et c’est encore bien si elle est cachée), qu’elles ne sont propres à rien ; elles s’animent seulement en présence des hommes. Toute leur vie se passe dans des préparatifs de coquetteries ou en coquetteries même. Devant les hommes, elles s’animent trop, elles commencent de vivre par l’énergie sensuelle, mais il suffit à l’homme de s’en aller, la vie finit.
Et cela non pas devant un certain homme, mais devant tous, pourvu qu’il ne soit pas tout à fait hideux. Vous direz que c’est une exception : non, c’est une règle. Seulement, chez les unes cela se trahit fortement, chez les autres moins, mais aucune ne vit de sa vie propre, elles dépendent toutes de l’homme. Elles ne peuvent être autrement, puisque pour elles l’attraction du plus grand nombre d’hommes est l’idéal de la vie (jeunes filles et femmes mariées), et c’est pour cette cause qu’elles n’ont pas de sentiment plus fort que celui du besoin animal de toute femelle qui cherche à attirer la plus grande quantité de mâles pour augmenter les chances du choix ; c’est ainsi dans la vie des jeunes filles, et cela continue durant le mariage : dans la vie des jeunes filles c’est nécessaire pour la sélection, dans le mariage pour dominer le mari. Une seule chose supprime ou interrompt quelque temps ces tendances, c’est les enfants, et encore quand la femme n’est pas un monstre, c’est-à-dire nourrit elle-même. Ici encore le médecin s’en mêle.
Avec ma femme qui voulait elle-même nourrir et qui a nourri ses six enfants, il est advenu que le premier enfant fut souffrant. Les médecins, qui cyniquement la déshabillèrent et la tâtèrent partout, et que je dus remercier et payer pour ces actes, ces chers médecins trouvèrent qu’elle ne devait pas nourrir et elle fut momentanément privée du seul remède à la coquetterie. C’est une nourrice qui acheva de nourrir ce premier-né, c’est-à-dire que nous profitâmes de la pauvreté et de l’ignorance d’une femme pour la voler à son petit en faveur du nôtre, et nous l’habillâmes pour cela d’un kokoschnik avec des galons d’or. Toutefois, là n’est pas la question, mais de ce que se réveilla en ma femme cette coquetterie endormie durant qu’elle allaitait. Grâce à cela, elle raviva en moi les tourments de la jalousie que j’avais connus jadis, mais à un degré beaucoup moindre.
XV
Oui, la jalousie, c’est encore un des secrets du mariage connu de tous et caché de tous. Outre la cause générale de la haine mutuelle des époux qui résulte de la complicité de la souillure d’un être humain, et d’autres causes encore, la source intarissable des blessures des époux, c’est la jalousie. Mais d’après un consentement tacite, il est décidé de les cacher de tous et on les cache. Les connaissant, chacun suppose en lui-même que c’est une particularité malheureuse et non un destin commun, il en était ainsi de moi, et il en devait être ainsi. La jalousie ne peut manquer entre époux qui vivent immoralement. S’ils ne peuvent sacrifier leurs plaisirs pour le bien de leur enfant, ils en concluent avec justesse qu’ils ne sacrifieront pas leurs plaisirs pour je ne dirai pas le bien-être et la tranquillité (puisqu’on peut pécher en cachette), mais seulement pour la conscience. Chacun sait fort bien que ni l’un ni l’autre n’admettent de grands motifs moraux pour ne pas trahir, puisque dans leurs relations mutuelles ils faillent aux exigences morales, et dès lors ils se défient et se guettent l’un l’autre.
Oh ! quel sentiment effroyable que la jalousie ! Je ne parle pas de cette jalousie véritable qui a des fondements (elle est torturante, mais elle promet une issue), mais de cette jalousie inconsciente qui, infailliblement, accompagne tout mariage immoral et qui, n’ayant pas de cause, n’a pas de fin. Cette jalousie est épouvantable, épouvantable, c’est le mot.
Et la voici : un jeune homme parle à ma femme, il la regarde en souriant, et, d’après ce qui me paraît, il examine son corps. Comment ose-t-il penser à elle, penser à la possibilité d’un roman avec elle ? Et comment, elle, voyant cela, peut-elle le tolérer ? Non seulement elle tolère, mais elle paraît satisfaite. Je vois même qu’elle se met en frais pour lui. Et dans mon âme monte une telle haine pour elle que chacun de ses mots, chaque geste, me dégoûtent. Elle le remarque, elle ne sait que faire, ni comment prendre l’air d’une animation indifférente ? Ah ! je souffre ! Ça la rend gaie, la voilà contente ! Et ma haine décuple, mais je n’ose lui donner libre cours, parce qu’au fond de l’âme je sais que de véritables motifs, il n’en est pas. Et je reste assis, feignant l’indifférence, exagérant l’attention et la courtoisie envers lui.
Puis je me fâche contre moi-même, j’ai le désir de sortir de la pièce, de les laisser seuls, et je sors effectivement ; mais à peine sorti je suis envahi par l’effroi de ce qui se passe là-bas en mon absence. Je rentre encore en inventant un prétexte ; quelquefois je n’entre pas, je reste près de la porte..., j’écoute ! Comment peut-elle s’humilier et m’humilier, me mettant dans cette situation si lâche de suspicion et d’espionnage ? Oh ! l’abomination, oh ! le méchant animal, et lui donc, lui, que pense-t-il ? Mais il est comme tous les hommes, ce que j’étais avant mon mariage ; cela lui fait plaisir, il sourit même en me regardant comme