Sonate à Kreutzer: Collection intégrale (3 Traductions en un seul livre). León Tolstoi

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Sonate à Kreutzer: Collection intégrale (3 Traductions en un seul livre) - León Tolstoi

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Posdnicheff.

      – De quoi parlez-vous ?

      – Mais toujours de la même chose.

      Il s’accouda sur ses genoux et serra ses tempes entre ses mains.

      – L’amour, le mariage, la famille... tout cela des mensonges, mensonges, mensonges !

      Il se leva, il abaissa le rideau de la lampe, il se coucha, s’accoudant sur les coussins, et ferma les yeux. Il demeura ainsi une minute.

      – Il vous est désagréable de rester avec moi en sachant qui je suis ?

      – Oh ! non !

      – Vous n’avez pas envie de dormir ?

      – Pas du tout.

      – Alors, voulez-vous que je vous raconte ma vie ?

      À ce moment passa le conducteur. Il l’accompagna d’un regard méchant, et commença seulement quand il fut sorti. Puis, pendant tout le récit, il ne s’arrêta plus une seule fois. Même des voyageurs nouveaux ne l’arrêtèrent point.

      Sa figure, durant qu’il racontait, changea plusieurs fois si complètement qu’elle n’avait rien de semblable avec la figure d’avant. Ses yeux, sa bouche, ses moustaches, même sa barbe, tout était nouveau. C’était chaque fois une physionomie belle et touchante. Ces transformations se produisaient dans la pénombre, subitement, et pendant cinq minutes c’était la même face, qu’on ne pouvait comparer à celle d’avant, et puis, je ne sais comment, elle changeait et devenait méconnaissable.

      IV

      Table des matières

      – Eh bien ! je vais donc vous raconter ma vie et toute mon effroyable histoire. Oui, effroyable, et l’histoire elle-même est plus effroyable que le dénouement.

      Il se tut, passa ses mains sur ses yeux et commença :

      – Pour bien comprendre, il faut tout raconter depuis le commencement, il faut raconter comment et pourquoi je me suis marié et ce que j’étais avant mon mariage. D’abord je vais vous dire qui je suis. Fils d’un riche gentilhomme des steppes, ancien maréchal de la noblesse, j’étais élève de l’Université, licencié en droit. Je me mariai dans ma trentième année. Mais avant de vous parler de mon mariage, il faut vous dire comme je vivais auparavant et quelles idées j’avais sur la vie conjugale. Je menais l’existence ainsi que tant d’autres gens soi-disant comme il faut, c’est-à-dire en débauché, et comme la majorité, tout en menant l’existence d’un débauché, j’étais convaincu que j’étais un homme d’une moralité irréprochable.

      L’idée que j’avais de ma moralité provenait de ce que dans ma famille on ne connaissait point ces débauches spéciales si communes dans nos milieux de gentilshommes terriens, et aussi de ce que ni mon père ni ma mère ne se trompaient l’un l’autre. Par là je m’étais forgé, depuis mon enfance, le rêve d’une vie conjugale haute et poétique. Ma femme devait être la perfection accomplie, notre amour mutuel devait être incomparable, la pureté de notre vie conjugale sans tache. Je pensais ainsi, et tout le temps je m’émerveillais de la noblesse de mes projets.

      En même temps, je passai dix ans de ma vie adulte sans me presser vers le mariage et je menais ce que j’appelais la vie réglée et raisonnable du célibataire. J’en étais fier devant mes amis et devant tous les hommes de mon âge qui s’adonnaient à toute espèce de raffinements spéciaux. Je n’étais pas séducteur, je n’avais pas de goût contre nature, je ne faisais pas de la débauche le principal but de ma vie, mais je prenais du plaisir dans les limites des règles de la société, et, naïvement, je me croyais un être profondément moral. Les femmes avec lesquelles j’avais des relations n’appartenaient pas qu’à moi, et je ne leur demandais pas autre chose que le plaisir du moment.

      En tout cela, je ne voyais rien d’anormal ; au contraire, de ce que je ne m’engageais pas de cœur et payais argent comptant, je concluais à mon honnêteté. J’évitais ces femmes qui, en s’attachant à moi, ou en me donnant un enfant, pouvaient lier mon avenir. D’ailleurs, peut-être y eut-il des enfants ou des attachements, mais je m’arrangeais de façon à ne pas devoir m’en apercevoir...

      Et vivant ainsi, je m’estimais comme un parfait honnête homme. Je ne comprenais pas que les débauches ne consistent pas seulement dans des actes physiques, que n’importe quelle ignominie physique ne constitue pas encore la débauche, mais que la véritable débauche est dans l’affranchissement des liens moraux vis-à-vis d’une femme avec laquelle on entre en relations charnelles, et moi je regardais comme un mérite cet affranchissement-là. Je me souviens que je me suis torturé une fois pour avoir oublié de payer une femme qui, probablement, s’était donnée à moi par amour. Je me suis tranquillisé seulement quand, lui ayant envoyé de l’argent, je lui ai montré que je ne me regardais comme aucunement lié avec elle. Ne hochez donc pas la tête comme si vous étiez d’accord avec moi (s’écria-t-il subitement avec véhémence) ; je connais ces trucs-là, vous tous, et vous tout particulièrement, si vous n’êtes pas une exception rare, vous avez les mêmes idées que j’avais alors ; et si vous êtes d’accord avec moi, c’est maintenant seulement ; auparavant vous ne pensiez pas ainsi. Moi non plus je ne pensais pas ainsi, et si l’on m’avait dit ce que je viens de vous dire, ce qui s’est passé ne me serait pas arrivé. D’ailleurs, c’est égal, excusez-moi, continua-t-il, la vérité est que c’est effroyable, effroyable, effroyable, cet abîme d’erreurs et de débauche, où nous vivons en face de la véritable question des droits de la femme...

      – Qu’est-ce que vous entendez par la « véritable » question des droits de la femme ?

      – La question de ce qu’est cet être spécial, organisé autrement que l’homme, et comment cet être et l’homme doivent envisager la femme...

      V

      Table des matières

      Oui, pendant dix ans, j’ai vécu dans la débauche la plus révoltante, en rêvant l’amour le plus noble, et même au nom de cet amour. Oui, je veux vous raconter comment j’ai tué ma femme, et pour cela je dois dire comment je me suis débauché. Je l’ai tuée avant de l’avoir connue, j’ai tué la femme quand, la première fois, j’ai goûté la volupté sans amour, et c’est alors que j’ai tué ma femme. Oui, monsieur, c’est seulement après avoir souffert, après m’être torturé, que j’ai compris la racine des choses, que j’ai compris mon crime. Ainsi, vous voyez où et comment a commencé le drame qui m’a mené au malheur.

      Il faut remonter à ma seizième année, quand j’étais encore au collège et mon frère aîné étudiant de première année. Je ne connaissais pas encore les femmes, mais, comme tous les enfants malheureux de notre société, je n’étais déjà plus innocent ; depuis plus d’un an déjà j’étais débauché par les gamins, et la femme, non pas quelconque, mais la femme comme une chose infiniment douce, la nudité de la femme me torturait déjà. Ma solitude n’était plus pure. J’étais supplicié, comme vous l’étiez, je suis sûr, et comme sont suppliciés les quatre-vingt-dix-neuf pour cent de nos garçons. Je vivais dans un effroi vague, je priais Dieu et je me prosternais.

      J’étais

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