Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

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Mais Rostow, sans attendre la fin de sa réponse, piqua son cheval de l’éperon, et se plaça à la tête de ses hommes, qui, mus par le même sentiment, s’élancèrent en avant sans attendre son commandement. Nicolas ne comprenait pas pourquoi et comment il agissait ainsi: il faisait cela sans préméditation, sans réflexion, comme il l’aurait fait à la chasse. Il voyait les dragons qui galopaient en désordre à une faible distance; il savait qu’ils fléchiraient et qu’il fallait profiter à tout prix de cet instant favorable, car, une fois passé, on ne le retrouverait plus. Le sifflement des balles était si excitant, la fougue de son cheval si difficile à maîtriser, qu’il céda à l’entraînement général, et entendit aussitôt le piétinement de tout son escadron, qui le suivait au grand trot sur la descente. À peine eurent-ils atteint la plaine, que le trot se transforma en un galop de plus en plus rapide, au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient des uhlans et des dragons français, qui les poursuivaient le sabre aux reins. À la vue des hussards, les premiers rangs ennemis se retournèrent indécis, et barrèrent la route à ceux qui les suivaient. Rostow, donnant pleine carrière à son cheval cosaque, se laissait emporter à l’encontre des Français, avec le sentiment du chasseur à la poursuite du loup. Un uhlan s’arrêta, un fantassin se jeta à terre pour éviter d’être écrasé, un cheval sans cavalier vint donner dans les hussards, et le gros des dragons français tourna bride au triple galop. Au moment où Rostow s’élançait à leur poursuite, il rencontra un buisson sur son chemin, mais son excellente bête s’enleva, et le franchit d’un bond. Nicolas s’était à peine remis en selle qu’il se trouva tout près de l’ennemi. Un officier français, à en juger par son uniforme, galopait à quelques pas de lui, penché en avant sur son cheval gris, qu’il frappait du plat de son sabre. Il ne s’était pas passé une seconde, que le poitrail du cheval de Rostow se heurtait de toute la force de son élan contre la croupe de celui de l’officier, et le culbutait à moitié; au même instant, Rostow leva machinalement son sabre, et le laissa retomber sur le Français. L’ardeur qui l’emportait disparut aussitôt comme par enchantement. L’officier avait été renversé, grâce plutôt au choc des deux chevaux et à sa propre frayeur, qu’au coup de sabre de son assaillant, qui ne lui avait fait qu’une légère entaille au-dessus du coude. Rostow, retenant son cheval, chercha à voir celui qu’il venait de frapper: le malheureux dragon sautait à cloche-pied, sans pouvoir parvenir à retirer sa jambe, prise dans l’étrier. Il clignait des yeux, fronçait les sourcils comme quelqu’un qui s’attend à une nouvelle attaque, tout en jetant de bas en haut un regard terrifié sur le hussard russe. Son visage jeune, pâle, éclaboussé, avec ses yeux bleus et clairs, ses cheveux blonds, et une petite fossette au menton, était bien loin d’offrir dans son ensemble le type qu’on aurait pensé rencontrer sur le champ de bataille: ce n’était pas le visage d’un ennemi, mais bien la figure la plus naïve, la plus douce, la mieux faite pour un paisible intérieur de famille. Rostow en était encore à se demander s’il allait l’achever, lorsqu’il s’écria: «Je me rends!» Sautant toujours sans arriver à se débarrasser de l’étrier, il se laissa dégager par quelques hussards, qui le remirent en selle. Plusieurs de ses camarades étaient prisonniers comme lui: l’un d’eux, couvert de sang, bataillait encore pour conserver sa monture; un autre, soutenu par un Russe, se hissait sur le cheval de ce dernier et s’assoyait en croupe derrière lui; l’infanterie française continuait à tirer en fuyant. Les hussards regagnèrent promptement leur poste, mais, tout en faisant comme eux, Rostow fut pris d’une sensation pénible qui lui serrait le cœur: quelque chose d’indéfini, de confus, qu’il ne pouvait analyser, et qu’il avait éprouvé en faisant l’officier prisonnier et surtout en le frappant!

      Le comte Ostermann-Tolstoy vint à la rencontre des vainqueurs, fit appeler Rostow, le remercia, lui annonça qu’il ferait part de son héroïque exploit à Sa Majesté, et qu’il le présenterait pour la croix de Saint-Georges. Rostow, qui s’attendait au contraire à un blâme et à une punition, puisqu’il avait attaqué l’ennemi sans en avoir reçu l’ordre, fut tout surpris de ces flatteuses paroles, mais le vague, sentiment de tristesse qui ne cessait de lui causer une véritable souffrance morale, l’empêcha d’en être heureux! «Qu’est-ce donc qui me tourmente? Se disait-il en s’éloignant. Est-ce Iline? Mais non, il est sain et sauf! Me suis-je mal conduit? Non! Ce n’est donc rien de tout cela!… C’est l’officier français, avec sa fossette au menton! Mon bras s’est arrêté en l’air une seconde avant de le frapper… je me le rappelle encore!»

      Le convoi des prisonniers venait de se mettre en route; il s’en approcha, pour revoir le jeune dragon: il l’aperçut monté sur un cheval de hussard, jetant autour de lui des regards inquiets. Sa blessure était légère; il sourit à Rostow d’un air contraint, et le salua de la main; sa vue fit éprouver à Rostow une gêne qui était presque de la honte.

      Ce jour-là et le suivant, ses camarades remarquèrent que, sans être irrité ou ennuyé, il restait pensif, silencieux et concentré en lui-même, qu’il buvait sans plaisir, et qu’il recherchait la solitude, comme s’il était obsédé par une pensée constante.

      Rostow réfléchissait à «l’héroïque exploit» qui allait, à son grand étonnement, lui valoir la croix de Saint-Georges, et qui lui avait acquis la réputation d’un brave! Il y avait là dedans un mystère qu’il ne parvenait pas à pénétrer: «Ils ont donc encore plus peur que nous, pensait-il. Ainsi, c’est donc cela, et ce n’est que cela qu’on appelle de l’héroïsme? Il me semble pourtant que mon amour pour ma patrie n’y était pour rien!… Et mon prisonnier aux yeux bleus, en quoi est-il responsable de ce qui se passe?… Comme il avait peur! Il croyait que j’allais le tuer! Pourquoi l’aurais-je tué? Ma main du reste a tremblé, et l’on me décore du Saint-Georges! Je n’y comprends rien, absolument rien!»

      Pendant que Nicolas Rostow s’absorbait dans ces questions, d’autant plus embarrassantes, qu’il n’y trouvait aucune réponse plausible, la roue de la fortune tourna subitement en sa faveur. Avancé à la suite de l’affaire d’Ostrovna, on lui donna deux escadrons de hussards, et dès ce moment, lorsqu’on eut besoin d’un brave officier, ce fut toujours à lui qu’on accorda la préférence.

      XVI

      À la nouvelle de la maladie de Natacha, la comtesse se mit en route, quoique encore souffrante et affaiblie, avec Pétia et toute sa suite; arrivée à Moscou, elle s’établit dans sa maison, où le reste de sa famille s’était déjà transporté.

      La maladie de Natacha prit une tournure tellement sérieuse, qu’heureusement pour elle, comme pour ses parents, toutes les causes qui l’avaient provoquée, sa conduite et sa rupture avec son fiancé, furent reléguées au second plan. Son état était trop grave pour lui permettre même de songer à mesurer la faute qu’elle avait commise: elle ne mangeait rien, ne dormait pas, maigrissait à vue d’œil, toussait constamment, et les médecins laissèrent comprendre à ses parents qu’elle était en danger. On ne pensa plus dès lors qu’à la soulager. Les princes de la science qui la visitaient, séparément ou ensemble, chaque jour, se consultaient, se critiquaient à l’envi, parlaient français, allemand, latin, et lui prescrivaient les remèdes les plus opposés, mais capables de guérir toutes les maladies qu’ils connaissaient.

      Il ne leur venait pas à la pensée que le mal dont souffrait Natacha n’était pas plus à la portée de leur science que ne peut être un seul des maux qui accablent l’humanité, car chaque être vivant, ayant sa constitution particulière, porte en lui sa maladie propre, nouvelle, inconnue à la médecine, et souvent des plus complexes. Elle ne dérive exclusivement ni des poumons, ni du foie, ni du cœur, ni de la rate, elle n’est mentionnée dans aucun livre de science, c’est simplement la résultante d’une des innombrables combinaisons que provoque l’altération de l’un de ces organes. Les médecins, qui passent leur vie à traiter les malades, qui y consacrent leurs plus belles années et qui sont payés pour cela, ne peuvent admettre cette opinion, car comment alors, je vous le demande,

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