Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

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était nécessaire parce qu’elle satisfaisait les besoins de cœur de ceux qui aimaient et soignaient Natacha. C’est dans cet ordre d’idées que gît la force des médecins, qu’ils soient charlatans, homéopathes ou allopathes! Ils répondent à l’éternel désir d’obtenir un soulagement, à ce besoin de sympathie que l’homme éprouve toujours lorsqu’il souffre, et qui se trouve déjà en germe chez l’enfant! Voyez-le, en effet, quand il s’est donné un coup: il court auprès de sa mère ou de sa bonne, pour qu’elle l’embrasse et qu’elle frotte son «bobo», et, véritablement, il souffrira moins dès qu’on l’aura plaint et caressé! Pourquoi? Parce qu’il est convaincu que ceux qui sont plus grands et plus sages que lui ont le moyen de le secourir!

      Les médecins étaient donc d’une utilité relative à Natacha, en lui assurant que son mal passerait dès que les poudres et les pilules rapportées de l’Arbatskaya dans une belle petite boîte, au prix d’un rouble soixante-dix kopecks, auraient été dissoutes dans de l’eau cuite, et qu’elle les aurait régulièrement avalées toutes les deux heures.

      Que serait-il advenu de Sonia, du comte et de la comtesse, s’il n’y avait eu qu’à se croiser les bras, au lieu de suivre à la lettre les prescriptions, de faire prendre les potions aux heures indiquées, d’insister sur la côtelette de volaille, et de veiller à tout ce qui constitue une occupation et une consolation pour ceux qui entourent les malades?

      Comment le comte aurait-il supporté les inquiétudes que lui causait sa fille chérie, s’il n’avait pu se dire qu’il était prêt à sacrifier plusieurs milliers de roubles et à l’emmener même, coûte que coûte, à l’étranger, pour lui faire du bien et y consulter des célébrités? Que serait-il devenu s’il n’avait pu raconter à ses amis comment Métivier et Feller s’étaient trompés, comment Frise avait deviné juste, et comment Moudrow avait admirablement compris la maladie de Natacha? Qu’aurait fait la comtesse, si elle n’avait pu gronder sa fille, lorsque celle-ci refusait d’obéir aux ordonnances de la faculté?

      «Tu ne guériras jamais si tu ne les écoutes pas et si tu ne prends pas régulièrement tes pilules, lui disait-elle, avec un ton d’impatience qui lui faisait oublier son chagrin. Il ne faut pas plaisanter avec ton mal, qui peut, tu le sais, dégénérer en pneumonie!…» Et la comtesse trouvait une sorte de consolation à prononcer ce mot savant dont elle ne comprenait pas le sens, et Dieu sait qu’elle n’était pas la seule! Et Sonia aussi, que serait-elle devenue, si elle n’avait pu se dire qu’elle ne s’était pas déshabillée les trois premières nuits, afin d’être toujours prête à exécuter les ordres du docteur, et que maintenant encore elle dormait à peine, pour ne pas manquer le moment de donner les pilules contenues dans la boîte dorée? Natacha elle-même n’était-elle pas satisfaite, bien qu’elle assurât qu’elle ne guérirait jamais et qu’elle ne tenait pas à la vie, de voir tous les sacrifices qu’on faisait pour elle, et de prendre ses potions à heure fixe?

      Le docteur venait tous les jours, lui tâtait le pouls, examinait sa langue, et plaisantait avec elle, sans faire attention à l’abattement de son visage. Lorsqu’il la quittait, la comtesse le suivait à la hâte; prenant alors un air grave, il secouait la tête, et tâchait de lui persuader qu’il comptait beaucoup sur le dernier remède; qu’il fallait attendre et voir; que, la maladie étant plutôt morale, il…» Mais la comtesse, qui s’efforçait de se cacher à elle-même ce détail, lui glissait bien vite dans la main une pièce d’or, et retournait chaque fois, le cœur plus allégé, auprès de sa chère malade.

      Les symptômes du mal consistaient, chez Natacha, en un manque complet d’appétit et de sommeil, en une toux presque constante, et en une apathie dont rien ne la faisait sortir. Les médecins, ayant déclaré qu’elle ne pouvait se passer de leurs soins, la retinrent ainsi dans l’air méphitique de la ville, et les Rostow se virent par suite obligés d’y passer tout l’été de l’année 1812.

      Cependant, en dépit de cette circonstance, et malgré l’innombrable quantité de flacons et de boîtes de pilules, de gouttes et de poudres, dont MmeSchoss, qui les aimait à la folie, se fit, pour son usage, une collection complète, la jeunesse finit par prendre le dessus: les impressions journalières de la vie atténuèrent peu à peu le chagrin de Natacha, la douleur aiguë qui avait brisé son cœur glissa doucement dans le passé, et ses forces physiques revinrent insensiblement.

      XVII

      Natacha devint plus calme, mais sa gaieté ne reparut pas. Elle évitait même tout ce qui aurait pu la distraire, les bals, les promenades, les théâtres et les concerts, et lorsqu’elle souriait, on devinait des larmes derrière son triste sourire. Chanter, elle ne le pouvait plus! Les pleurs l’étouffaient au premier son de sa voix, pleurs de repentir, pleurs causés par le souvenir de ce temps si pur, passé à tout jamais! Il lui semblait que le rire et le chant profanaient sa douleur! Quant à la coquetterie, elle n’y pensait guère: les hommes lui étaient tous aussi indifférents que le vieux bouffon Nastacia Ivanovna, et elle disait vrai. Un sentiment intime lui interdisait encore tout plaisir: elle ne retrouvait plus en elle-même les mille et un intérêts de sa vie de jeune fille, de cette vie insouciante, pleine de folles espérances. Que n’aurait-elle donné pour faire revivre un jour, un seul jour de l’automne dernier passé à Otradnoë avec Nicolas, vers qui son cœur se reportait à tout instant avec une douloureuse angoisse? Hélas! C’était fini, et fini à jamais!… et son pressentiment ne l’avait pas trompée! C’en était fait de sa liberté d’alors, de ses aspirations vers des joies inconnues, et cependant il fallait vivre!

      Au lieu de se dire, comme autrefois, qu’elle était meilleure que les autres, elle trouvait du plaisir à s’humilier et se demandait souvent avec tristesse ce que le sombre avenir lui réservait. Elle s’efforçait de n’être à charge à personne; quant à son agrément personnel, elle n’y songeait plus. Se tenant souvent à l’écart des siens, elle ne se sentait à son aise qu’avec son frère Pétia, qui parvenait parfois à la faire rire. Elle sortait peu, et de tous ceux qui venaient la voir de temps à autre, Pierre était le seul qui lui fût sympathique. Il était difficile de se conduire avec plus de prudence, avec plus de tendresse et de tact, que ne le faisait à son égard le comte Besoukhow; elle le sentait sans se l’expliquer, et cela contribuait naturellement à lui rendre sa société agréable; mais elle ne lui en savait aucun gré, tant elle était persuadée que la bonté un peu banale de Pierre n’avait aucun effort à faire pour lui témoigner de l’affection. Elle remarquait cependant en lui, de temps à autre, un certain trouble, surtout lorsqu’il craignait que la conversation ne vînt lui rappeler de douloureux souvenirs, et elle l’attribuait à son bon cœur et à sa timidité habituelle. Il ne lui avait plus reparlé de ses sentiments, dont l’aveu lui était échappé un jour sous le coup d’une profonde émotion, et elle y attachait aussi peu d’importance qu’aux paroles sans suite avec lesquelles on essaye de calmer la douleur d’un enfant. N’y voyant que le désir de la consoler, il ne lui venait jamais en tête de supposer que l’amour, ou même une sorte d’amitié tendre et exaltée, comme elle savait qu’il en existe parfois entre un homme et une femme, pût naître de leurs relations, non point parce que Pierre était marié, mais parce qu’entre elle et lui s’élevait dans toute sa force cette barrière morale qui lui avait fait défaut en présence de Kouraguine.

      Vers la fin du carême de la Saint-Pierre, une voisine d’Otradnoë, Agrippine Ivanovna Bélow, arriva à Moscou, pour y saluer les saints martyrs. Elle proposa à Natacha de faire ensemble leurs dévotions; Natacha y consentit avec joie, malgré l’avis du médecin, qui défendait les sorties matinales, et, pour s’y préparer autrement qu’on n’en avait l’habitude chez les siens, elle déclara qu’elle ne se contenterait pas de trois courts offices, mais qu’elle accompagnerait Agrippine Ivanovna à tous les services, aux vêpres, aux matines, à la messe, et cela durant toute la semaine.

      Son

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