Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi

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si frais, abritée sous son mouchoir de batiste, les cerises bien noires et au suc juteux sur cette assiette, nos robes légères et éblouissantes de propreté, dans la carafe l’eau limpide où jouaient les rayons irisés du soleil, et j’éprouvais un singulier bien-être. Qu’y a-t-il à faire? Pensai-je: suis-je donc coupable de me sentir si heureuse? Mais comment répandre autour de soi son bonheur? Comment et à qui se consacrer tout entière, soi et ce bonheur lui-même?…

      Le soleil avait déjà disparu derrière les têtes des grands bouleaux de l’allée, la poussière s’était affaissée sur le sol, on découvrait les lointains du paysage, plus nets et plus lumineux sous l’action de rayons obliques; quant aux nuages, ils étaient entièrement dissipés; je voyais de l’autre côté des arbres, auprès de la grange, se dresser les pointes de trois nouvelles meules et les paysans en descendre; enfin, pour la dernière fois de cette journée, les télègues passaient rapidement en faisant résonner l’air de leurs bruyants concerts; les femmes, en y mêlant leurs chants, rentraient à la maison le râteau sur l’épaule, des liens à la ceinture, et Serge Mikaïlovitch n’arrivait toujours pas, bien qu’il y eût longtemps déjà que de nouveau je l’eusse aperçu au pied de la montagne. Tout à coup il apparut au bout de l’allée, d’un côté par où je ne l’attendais aucunement, car il avait tourné le ravin. En se découvrant et me montrant un visage joyeux et vraiment rayonnant, il se dirigeait vers moi. À la vue de Macha, encore endormie, il se mordit les lèvres, cligna des yeux, et s’avança sur la pointe des pieds; je remarquai aussitôt qu’il était en ce moment dans une de ces dispositions toutes particulières de gaîté, sans cause précise, que j’aimais tant en lui, et que nous appelions entre nous « le transport sauvage ». Il était alors tout à fait comme un écolier échappé de la classe; tout son être, de la tête aux pieds, respirait le contentement et le bonheur.

      — Bonjour, jeune violette, comment cela va-t-il? Bien! Dit-il à voix basse, en s’approchant et en me serrant la main… Et moi, parfaitement aussi, répondit-il à une semblable demande de ma part; aujourd’hui, je n’ai en vérité que treize ans, j’ai envie de jouer au cheval de bois et de grimper aux arbres!

      — Le transport sauvage! Repris-je en regardant ses yeux souriants et sentant que ce transport sauvage me gagnait aussi.

      — Oui, murmura-t-il, et en même temps il me faisait de l’œil un signe, tandis qu’il se retenait de sourire. Mais pourquoi en voulez-vous donc à cette pauvre Macha Karlovna?

      Je n’avais pas, en effet, remarqué, tout en le regardant et en continuant à brandir ma petite branche, qu’avec ses feuilles je fouettais le mouchoir de la gouvernante et que j’effleurais son visage. Je me mis à rire.

      — Et elle dira qu’elle n’a pas dormi, poursuivis-je en chuchotant, comme si je cherchais par là à ne pas réveiller Macha; mais je ne le faisais pas tout à fait pour cela, et je trouvais tout bonnement agréable de chuchoter en lui parlant.

      De son côté, il remuait les lèvres, en me contrefaisant, comme s’il m’eût, lui aussi, dit à voix basse quelque chose qu’il ne fallut pas que l’on entendit. Puis, apercevant l’assiette de cerises, il feignit de s’en emparer à la dérobée, courut vers Sonia et alla s’asseoir sous le tilleul à la place de la poupée. Sonia était sur le point de se fâcher, mais il eut bientôt fait la paix avec elle en organisant un jeu où ils devaient, à qui mieux mieux, croquer des cerises ensemble.

      — Voulez-vous que je donne ordre d’en apporter encore, dis-je, ou bien, allons nous-mêmes en chercher?

      Il prit l’assiette, posa les poupées dessus, et à nous trois nous allâmes à la cerisaie. Sonia, tout en riant, courait après lui, le tirant par son paletot pour qu’il lui rendit ses poupées. Il les rendit, et se retournant très-sérieusement vers moi:

      — Allons, comment ne pas convenir que vous êtes la violette, me dit-il encore à voix basse, quoiqu’il n’y eût plus personne que l’on craignît d’éveiller: dès que je me suis approché de vous après avoir bravé tant de poussière, de chaleur, de fatigue, j’ai cru sentir la violette, non pas, il est vrai, cette violette aux forts parfums, mais celle, vous savez, qui pousse, la première, encore modeste, et qui respire à la fois la neige expirante et l’herbe printanière…

      — Mais, dites-moi, la récolte marche-t-elle bien? Lui demandai-je aussitôt pour cacher la joyeuse confusion que ses paroles me faisaient éprouver.

      — À merveille! Ce peuple est partout excellent, et plus on le connaît, plus on l’aime.

      — Oh oui! Tout à l’heure, avant votre arrivée, de la place où j’étais, je suivais de l’œil le travail et j’avais conscience de leur voir prendre tant de peine, tandis que moi j’étais si à l’aise, que…

      — Ne jouez pas avec ces sentiments, Katia, interrompit-il d’un air sérieux, en me jetant en même temps un regard caressant: c’est là une œuvre sainte. Que Dieu vous garde de poser en semblable matière!

      — Aussi c’est à vous seul que je dis cela.

      — Je le sais. Eh bien, et les cerises?

      La cerisaie était close, il n’y avait pas là un seul jardinier (il les avait tous envoyés à la besogne). Sonia courut chercher la clef; mais lui, sans attendre qu’elle revint, grimpe sur un des angles en s’accrochant au réseau de filets, et sauta de l’autre côté.

      — Voulez-vous me donner l’assiette? Me dit-il de là.

      — Non, je voudrais cueillir moi-même; j’irai chercher la clef, sans doute Sonia ne la trouve pas.

      Mais, en même temps, il me prit fantaisie de surprendre ce qu’il faisait là, ce qu’il regardait, sa manière d’être, en un mot, quand il supposait n’être vu de personne. Ou encore, tout simplement, peut-être n’avais-je pas envie, dans ce moment, de le perdre une seule minute de vue. Sur la pointe des pieds et à travers les orties, je lis le tour de la cerisaie et je gagnai le côté opposé, ou la clôture était plus basse; me dressant alors sur une cuve vide, de telle sorte que le mur ne me venait qu’à la poitrine, je me penchai sur l’enclos. Je parcourus des yeux tout ce qu’il contenait, les vieux arbres tout courbés aux larges feuilles dentelées, d’où pendaient verticalement des grappes de fruits noirâtres et juteux, et engageant ma tête sous les filets, j’aperçus Serge Mikaïlovitch au travers des rameaux tortus d’un vieux cerisier. Il pensait bien certainement que j’étais partie et que personne ne pouvait le voir.

      La tête découverte et les yeux fermés, il était assis sur les débris d’un vieil arbre et roulait négligemment entre ses doigts un fragment de gomme de cerisier. Tout à coup il rouvrit les yeux et murmura quelque chose en souriant. Cette parole et ce sourire ressemblaient si peu à ce que je connaissais de lui, que j’eus honte de l’avoir épié. Il m’avait, en effet, semblé que cette parole était: Katia! Cela ne pouvait être, pensai-je. « Chère Katia! » répéta-t-il plus bas encore et plus tendrement. Mais, cette fois, j’entendis ces deux mots bien distinctement. Le cœur me battit si fort, je me sentis pénétrée d’une émotion si joyeuse, j’en fus même à tel point saisie, que je dus avec mes mains m’accrocher à la muraille pour ne pas tomber et aussi me trahir. Il entendit mon mouvement et regarda avec quelque effroi derrière lui; puis, baissant tout à coup les yeux, il rougit et devint pourpre comme un enfant. Il voulut me dire quelque chose, mais il ne le put pas, et son visage en devint de plus en plus écarlate. Cependant il sourit en me regardant. Je lui souris aussi. Toute sa physionomie respirait le bonheur; ce n’était plus alors, non, ce n’était plus un vieil oncle, me prodiguant caresses et enseignements; j’avais devant mes yeux un homme à mon propre niveau, m’aimant et me craignant; un

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