Une Histoire Sans Nom. Barbey d'Aurevilly

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Une Histoire Sans Nom - Barbey  d'Aurevilly

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légèrement et qui impriment à leur robe, à magie ! de si adorables ondulations. Elle respirait, enfin, dans tout son être, cette faiblesse divine devant laquelle les hommes forts et généreux – et plus ils sont mâles ! -s'agenouilleront toujours.

      Elle aimait sa mère, mais elle la craignait. Elle l'aimait comme certains dévots aiment Dieu, avec tremblement. Elle n'avait pas, elle ne pouvait avoir avec sa mère les abandons et la confiance que les mères qui débordent de tendresse inspirent à leurs enfants. L'abandon était pour elle impossible avec la sienne, avec cette femme imposante et morne, qui semblait vivre dans le silence du tombeau de son mari refermé sur elle. Ainsi refoulée, cette rêveuse au front gros d'inexprimables rêves, et qui se penchait sous leur poids sans croire avoir besoin de les cacher, vivait dans la sobre lumière qui tombait sur elle, en ce fond de coupe dont les bords étaient des montagnes ; mais elle y vivait plus encore dans ses pensées, comme dans d'autres montagnes, et dans celles-ci – comme dans les autres – il n'y avait pas de chemins en spirale par lesquels on eût pu descendre…

      Elle était cachée, mais pourtant elle était ingénue.

      Seulement, l'ingénuité, chez elle, il aurait fallu la chercher au fond de son âme et l'en faire jaillir comme on fait jaillir du fond d'une eau pure la perle d'écume qui ne monte, en bouillonnant à la surface, que quand on y plonge un vase ou la main. Personne n'avait jamais songé à plonger dans l'âme de Lasthénie. Sa mère l'adorait, mais surtout parce qu'elle ressemblait à l'homme qu'elle avait aimé avec un si grand entraînement. Elle jouissait de sa fille en silence. Elle s'en repaissait sans rien dire. Moins pieuse, moins rigide, se défiant moins d'une ardeur de sentiment qu'elle se reprochait comme trop intense et trop humaine, elle l'aurait mangée de caresses, et lui aurait entrouvert sous ses baisers ce cœur né timide, et fermé comme un bouton de fleur qui ne devait peut-être jamais s'ouvrir. Mme de Ferjol était sûre du sentiment qu'elle avait pour sa fille, et cela lui suffisait. Elle pensait que son mérite devant Dieu, à elle, était de contenir le flot d'une tendresse qui ne demandait que trop à déborder. Mais en se contenant, du même coup (le savait-elle bien ?), elle contenait celui de sa fille. Elle mettait la main, comme un mur, sur cette source de sentiments qui cherchaient leur lit dans le cœur maternel, et qui, ne le trouvant pas, refluèrent… Hélas ! la loi qui régit les sentiments de nos cœurs est plus cruelle que la loi qui régit les choses. Une fois écartée la main qui faisait mur et s'opposait à son jaillissement, la source repart, délivrée de l'obstacle, et recommence de plus en plus impétueusement à couler, tandis qu'il arrive toujours un moment dans nos âmes où les sentiments qu'on y a contenus s'y résorbent et ne reparaissent plus quand on voudrait les voir reparaître, de même que le sang, qui, dans les cas mortels, s'épanche à l'intérieur et ne coule plus par la plaie ouverte. Et encore, le sang, on peut l'aspirer en suçant fortement la blessure, mais les sentiments gardés trop longtemps au-dedans de nous semblent s'y coaguler, et on ne les fait plus recouler, même en les aspirant par la blessure qu'on a faite.

      Ainsi, quoiqu'elles ne se fussent jamais quittées, quoique toujours ensemble dans les menus détails de la vie, ces deux femmes, qui s'aimaient pourtant, étaient seules et leur isolement n'était qu'un isolement partagé. Mme de Ferjol, qui était une âme forte et qui voyait toujours dans sa pensée, hallucinée par le souvenir, l'homme qu'elle avait aimé avec une ardeur qui maintenant lui semblait coupable, était moins victime de cet isolement que Lasthénie. Mais pour Lasthénie, qui n'avait point de passé, qui arrivait à la vie sensible, à l'épanouissement des facultés qui dorment encore, mais qui vont s'éveiller, cet isolement était bien plus profond que pour sa mère. Elle en souffrait vaguement, il est vrai, comme d'un malaise bien plus que comme d'une douleur, parce qu'en elle tout était encore vague ; mais cela allait se préciser… Elle en avait toujours souffert plus ou moins depuis le berceau jusqu'à cette heure de la vie, mais la misère de la condition humaine, c'est de s'accoutumer à tout. Lasthénie s'était accoutumée à la tristesse de son enfance solitaire, comme à la tristesse de ce pays où elle était née et qui lui versait sur la tête sa pauvre goutte de lumière et lui bouchait les horizons avec les parois de ses montagnes, – comme elle s'était accoutumée à la triste solitude de la maison maternelle ; car Mme de Ferjol, qui était riche et d'un temps où les classes qui allaient disparaître n'avaient pas cessé d'exister, voyait très peu de ce petit bourg où, de société, il n'y avait vraiment personne pour une femme comme elle.

      Quand elle y était arrivée avec le baron de Ferjol, elle était dans l'ivresse d'un tel bonheur qu'elle n'en voulut pas sortir pour le monde. Elle aurait cru qu'on lui eût pris de son bonheur ou qu'on l'aurait profané, si on l'avait regardé de trop près… Et quand ce bonheur fut brisé par la mort de l'homme dont elle avait été éperdue, elle ne chercha chez personne de consolations. Elle vécut seule, sans affectation de solitude ou de chagrin, polie avec les autres, mais de cette froideur souveraine qui éloigne puissamment et doucement, sans blesser. La petite bourgade avait pris très vite son parti de cela. Mme de Ferjol était trop au-dessus des gens de ce bourg pour qu'on pût s'y froisser d'une solitude qu'on expliquait, d'ailleurs, par le chagrin de la mort de son mari. On croyait avec raison qu'elle ne vivait que pour sa fille, et on disait, la sachant riche et qu'elle avait de grands biens en Normandie : « Elle n'est pas d'ici, et quand sa fille sera en âge d'être mariée, elle retournera dans le pays où elle a sa fortune. » Aux alentours, il n'y avait point de partis pour Mlle Lasthénie de Ferjol, et on ne pouvait croire que sa mère voulût se séparer, par le mariage, d'une fille dont elle ne s'était jamais séparée, même pour l'envoyer au couvent de la ville voisine quand il avait fallu s'occuper de son éducation. C'était, en effet, Mme de Ferjol qui avait, dans le sens le plus strict du mot, élevé Lasthénie. Elle lui avait appris tout ce qu'elle savait. Il est vrai que c'était peu de chose. Les filles nobles de ce temps-là avaient pour toute instruction de grands sentiments et de grandes manières, et elles s'en contentaient. Lorsqu'une fois elles étaient entrées dans le monde, elles y devinaient tout, sans avoir rien appris. À présent, on leur apprend tout, et elles ne devinent plus rien. On leur oblitère l'esprit avec toutes sortes de connaissances, et on les dispense ainsi d'avoir de la finesse, – cette gloire de nos mères ! Mme de Ferjol, certaine qu'en vivant auprès d'elle sa fille aurait toujours bien les sentiments et les manières de sa race, tourna surtout sa jeune tête vers les choses de Dieu. Avec la tendresse innée de son âme, Lasthénie devint facilement pieuse.

      Elle chercha dans la prière l'expansion qu'elle n'avait pas avec sa mère ; mais cette expansion devant les autels ne put lui faire oublier l'autre expansion qu'elle n'avait pas… La piété, en cette âme faible et tendre, n'eut jamais assez de ferveur pour lui donner le bonheur qu'elle donne aux âmes véritablement religieuses.

      Il y avait dans cette fille, si virginale pourtant, quelque chose de plus ou de moins que ce qu'il faut pour être heureuse seulement en Dieu et par Dieu.

      Elle remplissait tous ses devoirs de chrétienne avec la simplicité de la foi. Elle suivait sa mère à l'église, l'accompagnait chez les pauvres que Mme de Ferjol visitait souvent, communiait avec elle, les jours de communion, – mais tout cela ne mettait pas sur son front mat le rayon qui sied à la jeunesse. « Tu n'es peut-être pas assez fervente ?… » lui disait Mme de Ferjol, inquiète de cette mélancolie inexplicable avec une vie si pure. Doute et question sévères ! Ah ! cette mère, folle à force de sagesse, eût mieux fait de prendre la tête de son enfant chargée de ce poids invisible qui n'était pas le poids de ses magnifiques cheveux cendrés, et de la lui coucher sur son épaule, cet oreiller de l'épaule d'une mère, si bon aux filles pour s'y dégonfler le front, les yeux et le cœur. Mais elle ne le fit point. Elle se résista à elle-même. Cet oreiller où l'on dit tout, même sans parler, manqua toujours à Lasthénie, – et l'épaule d'une amie, puisqu'elle avait toujours vécu sans autre société que celle de sa mère, ne le remplaça pas. Pauvre isolée qui étouffait d'âme, et qui, au moment où commence cette histoire, ne mourait pas encore de cet étouffement !…

      Chapitre 3

      Le Carême finissait. Il était dix heures du matin. Ces dames de Ferjol

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