Au Bonheur des Dames. Emile Zola

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Au Bonheur des Dames - Emile  Zola

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Tout ce luxe de la femme le rendait rose de plaisir. Il avait la beauté d’une fille, une beauté qu’il semblait avoir volée à sa sœur, la peau éclatante, les cheveux roux et frisés, les lèvres et les yeux mouillés de tendresse. Près de lui, dans son étonnement, Denise paraissait plus mince encore, avec son visage long à la bouche trop grande, son teint fatigué déjà, sous sa chevelure pâle. Et Pépé, également blond, d’un blond d’enfance, se serrait davantage contre elle, comme pris d’un besoin inquiet de caresses, troublé et ravi par les belles dames de la vitrine. Ils étaient si singuliers et si charmants, sur le pavé, ces trois blonds vêtus pauvrement de noir, cette fille triste entre ce joli enfant et ce garçon superbe, que les passants se retournaient avec des sourires.

      Depuis un instant, un gros homme à cheveux blancs et à grande face jaune, debout sur le seuil d’une boutique, de l’autre côté de la rue, les regardait. Il était là, le sang aux yeux, la bouche contractée, mis hors de lui par les étalages du Bonheur des Dames, lorsque la vue de la jeune fille et de ses frères avait achevé de l’exaspérer. Que faisaient-ils, ces trois nigauds, à bâiller ainsi devant des parades de charlatan?

      – Et l’oncle? fit remarquer brusquement Denise, comme éveillée en sursaut.

      – Nous sommes rue de la Michodière, dit Jean, il doit loger par ici.

      Ils levèrent la tête, se retournèrent. Alors, juste devant eux, au-dessus du gros homme, ils aperçurent une enseigne verte, dont les lettres jaunes déteignaient sous la pluie: Au Vieil Elbeuf, draps et flanelles, Baudu, successeur de Hauchecorne. La maison, enduite d’un ancien badigeon rouillé, toute plate au milieu des grands hôtels Louis XIV qui l’avoisinaient, n’avait que trois fenêtres de façade; et ces fenêtres, carrées, sans persiennes, étaient simplement garnies d’une rampe de fer, deux barres en croix. Mais, dans cette nudité, ce qui frappa surtout Denise, dont les yeux restaient pleins des clairs étalages du Bonheur des Dames, ce fut la boutique du rez-de-chaussée, écrasée de plafond, surmontée d’un entresol très bas, aux baies de prison, en demi-lune. Une boiserie, de la couleur de l’enseigne, d’un vert bouteille que le temps avait nuancé d’ocre et de bitume, ménageait, à droite et à gauche, deux vitrines profondes, noires, poussiéreuses, où l’on distinguait vaguement des pièces d’étoffe entassées. La porte, ouverte, semblait donner sur les ténèbres humides d’une cave.

      – C’est là, reprit Jean.

      – Eh bien! il faut entrer, déclara Denise. Allons, viens, Pépé.

      Tous trois pourtant se troublaient, saisis de timidité. Lorsque leur père était mort, emporté par la même fièvre qui avait pris leur mère, un mois auparavant, l’oncle Baudu, dans l’émotion de ce double deuil, avait bien écrit à sa nièce qu’il y aurait toujours chez lui une place pour elle, le jour où elle voudrait tenter la fortune à Paris; mais cette lettre remontait déjà à près d’une année, et la jeune fille se repentait maintenant d’avoir ainsi quitté Valognes, en un coup de tête, sans avertir son oncle. Celui-ci ne les connaissait point, n’ayant plus remis les pieds là-bas, depuis qu’il en était parti tout jeune, pour entrer comme petit commis chez le drapier Hauchecorne, dont il avait fini par épouser la fille.

      – Monsieur Baudu? demanda Denise, en se décidant enfin à s’adresser au gros homme, qui les regardait toujours, surpris de leurs allures.

      – C’est moi, répondit-il.

      Alors, Denise rougit fortement et balbutia:

      – Ah! tant mieux!… Je suis Denise, et voici Jean, et voici Pépé… Vous voyez, nous sommes venus, mon oncle.

      Baudu parut frappé de stupéfaction. Ses gros yeux rouges vacillaient dans sa face jaune, ses paroles lentes s’embarrassaient. Il était évidemment à mille lieues de cette famille qui lui tombait sur les épaules.

      – Comment! comment! vous voilà! répéta-t-il à plusieurs reprises. Mais vous étiez à Valognes!… Pourquoi n’êtes-vous pas à Valognes?

      De sa voix douce, un peu tremblante, elle dut lui donner des explications. Après la mort de leur père, qui avait mangé jusqu’au dernier sou dans sa teinturerie, elle était restée la mère des deux enfants. Ce qu’elle gagnait chez Cornaille ne suffisait point à les nourrir tous les trois. Jean travaillait bien chez un ébéniste, un réparateur de meubles anciens; mais il ne touchait pas un sou. Pourtant, il prenait goût aux vieilleries, il taillait des figures dans du bois; même, un jour, ayant découvert un morceau d’ivoire, il s’était amusé à faire une tête, qu’un monsieur de passage avait vue; et justement, c’était ce monsieur qui les avait décidés à quitter Valognes, en trouvant à Paris une place pour Jean, chez un ivoirier.

      – Vous comprenez, mon oncle, Jean entrera dès demain en apprentissage, chez son nouveau patron. On ne me demande pas d’argent, il sera logé et nourri… Alors, j’ai pensé que Pépé et moi, nous nous tirerions toujours d’affaire. Nous ne pouvons pas être plus malheureux qu’à Valognes.

      Ce qu’elle taisait, c’était l’escapade amoureuse de Jean, des lettres écrites à une fillette noble de la ville, des baisers échangés par-dessus un mur, tout un scandale qui l’avait déterminée au départ; et elle accompagnait surtout son frère à Paris pour veiller sur lui, prise de terreurs maternelles, devant ce grand enfant si beau et si gai, que toutes les femmes adoraient.

      L’oncle Baudu ne pouvait se remettre. Il reprenait ses questions. Cependant, quand il l’eut ainsi entendue parler de ses frères, il la tutoya.

      – Ton père ne vous a donc rien laissé? Moi, je croyais qu’il y avait encore quelques sous. Ah! je lui ai assez conseillé, dans mes lettres, de ne pas prendre cette teinturerie! Un brave cœur, mais pas deux liards de tête!… Et tu es restée avec ces gaillards sur les bras, tu as dû nourrir ce petit monde!

      Sa face bilieuse s’était éclairée, il n’avait plus les yeux saignants dont il regardait le Bonheur des Dames. Brusquement, il s’aperçut qu’il barrait la porte.

      – Allons, dit-il, entrez, puisque vous êtes venus… Entrez, ça vaudra mieux que de baguenauder devant des bêtises.

      Et, après avoir adressé aux étalages d’en face une dernière moue de colère, il livra passage aux enfants, il pénétra le premier dans la boutique, en appelant sa femme et sa fille.

      – Élisabeth, Geneviève, arrivez donc, voici du monde pour vous!

      Mais Denise et les petits eurent une hésitation devant les ténèbres de la boutique. Aveuglés par le plein jour de la rue, ils battaient des paupières comme au seuil d’un trou inconnu, tâtant le sol du pied, ayant la peur instinctive de quelque marche traîtresse. Et, rapprochés encore par cette crainte vague, se serrant davantage les uns contre les autres, le gamin toujours dans les jupes de la jeune fille et le grand derrière, ils faisaient leur entrée avec une grâce souriante et inquiète. La clarté matinale découpait la noire silhouette de leurs vêtements de deuil, un jour oblique dorait leurs cheveux blonds.

      – Entrez, entrez, répétait Baudu.

      En quelques phrases brèves, il mettait au courant Mme Baudu et sa fille. La première était une petite femme mangée d’anémie, toute blanche, les cheveux blancs, les yeux blancs, les lèvres blanches. Geneviève, chez qui s’aggravait encore la dégénérescence de sa mère, avait la débilité et la décoloration d’une plante grandie à l’ombre. Pourtant, des cheveux noirs magnifiques, épais et lourds, poussés comme par miracle dans cette chair pauvre, lui donnaient un charme triste.

      – Entrez, dirent à leur tour les deux

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