La Peau de chagrin. Honore de Balzac

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La Peau de chagrin - Honore de Balzac

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vôtre. Pourquoi n’avouerais-je pas une innocente supercherie, reprit-il après avoir regardé le vieillard inquiet. En attendant la nuit, afin de pouvoir me noyer sans esclandre, je suis venu voir vos richesses. Qui ne pardonnerait ce dernier plaisir à un homme de science et de poésie?

      Le soupçonneux. marchand examina d’un œil sagace le morne visage de son faux chaland tout en l’écoutant parier. Rassuré bientôt par l’accent de cette voix douloureuse, ou lisant peut-être dans ces traits décolorés les sinistres destinées. qui naguère avaient fait frémir les joueurs, il lâcha les mains; mais par un reste de suspicion qui révéla une expérience au moins centenaire, il étendit nonchalamment le bras vers un buffet comme pour s’appuyer, et dit en y prenant un stylet: – Êtes-vous depuis trois ans, surnuméraire au trésor, sans y avoir touché de gratification?

      L’inconnu ne put s’empêcher de sourire en faisant un geste négatif.

      – Votre père vous a-t-il trop vivement reproché d’être venu an monde, ou bien êtes-vous déshonoré?

      – Si je voulais me déshonorer, je vivrais.

      – Avez-vous été sifflé aux Funambules, ou vous trouvez-vous obligé de composer des flons flons pour payer le convoi de votre maîtresse? N’auriez-vous pas plutôt la maladie de l’or? voulez-vous détrôner l’ennui? Enfin, quelle erreur vous engage à mourir?

      – Ne cherchez pas le principe de ma mort dans les raisons vulgaires qui commandent la plupart des suicides. Pour me dispenser de vous dévoiler des souffrances inouïes et qu’il est difficile d’exprimer en langage humain, je vous dirai que je suis dans la plus profonde, la plus ignoble, la plus perçante de toutes les misères. Et, ajouta-t-il d’un ton de voix dont la fierté sauvage démentait ses paroles précédentes, je ne veux mendier ni secours ni consolations.

      – Eh! eh! Ces deux syllabes que d’abord le vieillard fit entendre pour toute réponse ressemblèrent au cri d’une crécelle. Puis il reprit ainsi: – Sans vous forcer à m’implorer, sans vous faire rougir, et sans vous donner un centime de France, un parat du Levant, un tarain de Sicile, un heller d’Allemagne, une seule des sesterces ou des oboles de l’ancien monde, ni une piastre du nouveau, sans vous offrir quoi que ce soit en or, argent, billon, papier, billet, je veux vous faire plus riche, plus puissant et plus considéré que ne peut l’être un roi constitutionnel.

      Le jeune homme crut le vieillard en enfance, et resta comme engourdi, sans oser répondre.

      – Retournez-vous, dit le marchand en saisissant tout à coup la lampe pour en diriger la lumière sur le mur qui faisait face au portrait, et regardez cette PEAU DE CHAGRIN, ajouta-t-il.

      Le jeune homme se leva brusquement et témoigna quelque surprise en apercevant au-dessus du siége où il s’était assis un morceau de chagrin accroché sur le mur, et dont la dimension n’excédait pas celle d’une peau de renard; mais, par un phénomène inexplicable au premier abord, cette peau projetait au sein de la profonde obscurité qui régnait dans le magasin des rayons si lumineux que vous eussiez dit d’une petite comète. Le jeune incrédule s’approcha de ce prétendu talisman qui devait le préserver du malheur, et s’en moqua par une phrase mentale. Cependant, animé d’une curiosité bien légitime, il se pencha pour la regarder alternativement sous toutes les faces, et découvrit bientôt une cause naturelle à cette singulière lucidité: les grains noirs du chagrin étaient si soigneusement polis et si bien brunis, les rayures capricieuses en étaient si propres et si nettes que, pareilles à des facettes de grenat, les aspérités de ce cuir oriental formaient autant de petits foyers qui réfléchissaient vivement la lumière. Il démontra mathématiquement la raison de ce phénomène au vieillard, qui, pour toute réponse, sourit avec malice. Ce sourire de supériorité fit croire au jeune savant qu’il était dupe en ce moment de quelque charlatanisme. Il ne voulut pas emporter une énigme de plus dans la tombe, et retourna promptement la peau comme un enfant pressé de connaître les secrets de son jouet nouveau.

      – Ah! ah! s’écria-t-il, voici l’empreinte du sceau que les Orientaux nomment le cachet de Salomon.

      – Vous le connaissez donc? demanda le marchand, dont les narines laissèrent passer deux ou trois bouffées d’air qui peignirent plus d’idées que n’en pouvaient exprimer les plus énergiques paroles.

      – Existe-t-il au monde un homme assez simple pour croire à cette chimère? s’écria le jeune homme, piqué d’entendre ce rire muet et plein d’amères dérisions. Ne savez-vous pas, ajouta-t-il, que les superstitions de l’Orient ont consacré la forme mystique et les caractères mensongers de cet emblème qui représente une puissance fabuleuse? Je ne crois pas devoir être plus taxé de niaiserie dans cette circonstance que si je parlais des Sphinx ou des Griffons, dont l’existence est en quelque sorte scientifiquement admise.

      – Puisque vous êtes un orientaliste, reprit le vieillard, peut-être lirez-vous cette sentence.

      Il apporta la lampe près du talisman que le jeune homme tenait à l’envers, et lui fit apercevoir des caractères incrustés dans le tissu cellulaire de cette peau merveilleuse, comme s’ils eussent été produits par l’animal auquel elle avait jadis appartenu.

      – J’avoue, s’écria l’inconnu, que je ne devine guère le procédé dont on se sera servi pour graver si profondément ces lettres sur la peau d’un onagre.

      Et, se retournant avec vivacité vers les tables chargées de curiosités, ses yeux parurent y chercher quelque chose.

      – Que voulez-vous? demanda le vieillard.

      – Un instrument pour trancher le chagrin, afin de voir si les lettres y sont empreintes ou incrustées.

      Le vieillard présenta son stylet à l’inconnu, qui le prit et tenta d’entamer la peau à l’endroit où les paroles se trouvaient écrites; mais, quand il eut enlevé une légère couche de cuir, les lettres y reparurent si nettes et tellement conformes à celles qui étaient imprimées sur la surface, que, pendant un moment, il crut n’en avoir rien ôté.

      – L’industrie du Levant a des secrets qui lui sont réellement particuliers, dit-il en regardant la sentence orientale avec une sorte d’inquiétude:

      – Oui, répondit le vieillard, il vaut mieux s’en prendre aux hommes qu’à Dieu!

      Les paroles mystérieuses étaient disposées de la manière suivante:

      Ce qui voulait dire en français:

      SI TU ME POSSÈDES, TU POSSÉDERAS TOUT.

      MAIS TA VIE M’APPARTIENDRA. DIEU L’A

      VOULU AINSI. DÉSIRE, ET TES DÉSIRS

      SERONT ACCOMPLIS. MAIS RÈGLE

      TES SOUHAITS SUR TA VIE.

      ELLE EST LA. À CHAQUE

      VOULOIR JE DÉCROITRAI

      COMME TES JOURS.

      ME VEUX-TU?

      PRENDS. DIEU

      T’EXAUCERA.

      SOIT!

      – Ah! vous lisez couramment le sanscrit, dit le vieillard. Peut-être avez-vous voyagé en Perse ou dans le Bengale?

      – Non, monsieur, répondit

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