Le diable au corps. Raymond Radiguet

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Le diable au corps - Raymond  Radiguet

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madame votre mère, lui dis-je. C’était un madrigal.

      – On me le dit quelquefois ; mais, quand vous viendrez à la maison, je vous montrerai des photographies de maman lorsqu’elle était jeune, je lui ressemble beaucoup.

      Je fus attristé de cette réponse, et je priai Dieu de ne point voir Marthe quand elle aurait l’âge de sa mère.

      Voulant dissiper le malaise de cette réponse pénible, et ne comprenant pas que, pénible, elle ne pouvait l’être que pour moi, puisque heureusement Marthe ne voyait point sa mère avec mes yeux, je lui dis :

      – Vous avez tort de vous coiffer de la sorte, les cheveux lisses vous iraient mieux.

      Je restai terrifié, n’ayant jamais dit pareille chose à une femme. Je pensais à la façon dont j’étais coiffé, moi.

      – Vous pourrez le demander à maman (comme si elle avait besoin de se justifier !) ; d’habitude, je ne me coiffe pas si mal, mais j’étais déjà en retard et je craignais de manquer le second train. D’ailleurs, je n’avais pas l’intention d’ôter mon chapeau.

      « Quelle fille était-ce donc, pensais-je, pour admettre qu’un gamin la querelle à propos de ses mèches ? »

      J’essayais de deviner ses goûts en littérature ; je fus heureux qu’elle connût Baudelaire et Verlaine, charmé de la façon dont elle aimait Baudelaire, qui n’était pourtant pas la mienne. J’y discernais une révolte. Ses parents avaient fini par admettre ses goûts. Marthe leur en voulait que ce fût par tendresse. Son fiancé, dans ses lettres, lui parlait de ce qu’il lisait, et s’il lui conseillait certains livres, il lui en défendait d’autres. Il lui avait défendu Les Fleurs du mal. Désagréablement surpris d’apprendre qu’elle était fiancée, je me réjouis de savoir qu’elle désobéissait à un soldat assez nigaud pour craindre Baudelaire. Je fus heureux de sentir qu’il devait souvent choquer Marthe. Après la première surprise désagréable, je me félicitai de son étroitesse, d’autant mieux que j’eusse craint, s’il avait lui aussi goûté Les Fleurs du mal, que leur futur appartement ressemblât à celui de La Mort des amants. Je me demandai ensuite ce que cela pouvait bien me faire.

      Son fiancé lui avait aussi défendu les académies de dessin. Moi qui n’y allais jamais, je lui proposai de l’y conduire, ajoutant que j’y travaillais souvent. Mais, craignant ensuite que mon mensonge fût découvert, je la priai de n’en point parler à mon père. Il ignorait, dis-je, que je manquais des cours de gymnastique pour me rendre à la Grande-Chaumière. Car je ne voulais pas qu’elle pût se figurer que je cachais l’académie à mes parents, parce qu’ils me défendaient de voir des femmes nues. J’étais heureux qu’il se fit un secret entre nous, et moi, timide, me sentais déjà tyrannique avec elle.

      J’étais fier aussi d’être préféré à la campagne, car nous n’avions pas encore fait allusion au décor de notre promenade. Quelquefois ses parents l’appelaient : « Regarde, Marthe, à ta droite, comme les coteaux de Chennevières sont jolis », ou bien, son frère s’approchait d’elle et lui demandait le nom d’une fleur qu’il venait de cueillir. Elle leur accordait d’attention distraite juste assez pour qu’ils ne se fâchassent point.

      Nous nous assîmes dans les prairies d’Ormesson. Dans ma candeur, je regrettais d’avoir été si loin, et d’avoir tellement précipité les choses. « Après une conversation moins sentimentale, plus naturelle, pensai-je, je pourrais éblouir Marthe, et m’attirer la bienveillance de ses parents, en racontant le passé de ce village. » Je m’en abstins. Je croyais avoir des raisons profondes, et pensais qu’après tout ce qui s’était passé, une conversation tellement en dehors de nos inquiétudes communes ne pourrait que rompre le charme. Je croyais qu’il s’était passé des choses graves. C’était d’ailleurs vrai, simplement, je le sus dans la suite, parce que Marthe avait faussé notre conversation dans le même sens que moi. Mais moi qui ne pouvais m’en rendre compte, je me figurais lui avoir adressé des paroles significatives. Je croyais avoir déclaré mon amour à une personne insensible. J’oubliais que M. et Mme Grangier eussent pu entendre sans le moindre inconvénient tout ce que j’avais dit à leur fille ; mais, moi, aurais-je pu le lui dire en leur présence ?

      – Marthe ne m’intimide pas, me répétais-je. Donc, seuls, ses parents et mon père m’empêchent de me pencher sur son cou et de l’embrasser.

      Profondément en moi, un autre garçon se félicitait de ces trouble-fête. Celui-ci pensait :

      – Quelle chance que je ne me trouve pas seul avec elle ! Car je n’oserais pas davantage l’embrasser, et n’aurais aucune excuse.

      Ainsi triche le timide.

      Nous reprenions le train à la gare de Sucy. Ayant une bonne demi-heure à l’attendre, nous nous assîmes à la terrasse d’un café. Je dus subir les compliments de Mme Grangier. Ils m’humiliaient. Ils rappelaient à sa fille que je n’étais encore qu’un lycéen, qui passerait son baccalauréat dans un an. Marthe voulut boire de la grenadine ; j’en commandai aussi. Le matin encore, je me serais cru déshonoré en buvant de la grenadine. Mon père n’y comprenait rien. Il me laissait toujours servir des apéritifs. Je tremblai qu’il me plaisantât sur ma sagesse. Il le fit, mais à mots couverts, de façon que Marthe ne devinât pas que je buvais de la grenadine pour faire comme elle.

      Arrivés à F…, nous dîmes adieu aux Grangier. Je promis à Marthe de lui porter, le jeudi suivant, la collection du journal Le Mot et Une saison en enfer.

      – Encore un titre qui plairait à mon fiancé !

      Elle riait.

      – Voyons, Marthe ! dit, fronçant les sourcils, sa mère qu’un tel manque de soumission choquait toujours.

      Mon père et mes frères s’étaient ennuyés, qu’importe ! Le bonheur est égoïste.

* * *

      Le lendemain, au lycée, je n’éprouvai pas le besoin de raconter à René, à qui je disais tout, ma journée du dimanche. Mais je n’étais pas d’humeur à supporter qu’il me raillât de n’avoir pas embrassé Marthe en cachette. Autre chose m’étonnait ; c’est qu’aujourd’hui je trouvai René moins différent de mes camarades.

      Ressentant de l’amour pour Marthe, j’en ôtais à René, à mes parents, à mes soeurs.

      Je me promettais bien cet effort de volonté de ne pas venir la voir avant le jour de notre rendez-vous. Pourtant, le mardi soir, ne pouvant attendre, je sus trouver à ma faiblesse de bonnes excuses qui me permissent de porter après le dîner le livre et les journaux. Dans cette impatience, Marthe verrait la preuve de mon amour, disais-je, et si elle refuse de la voir, je saurais bien l’y contraindre.

      Pendant un quart d’heure, je courus comme un fou jusqu’à sa maison. Alors, craignant de la déranger pendant son repas, j’attendis, en nage, dix minutes, devant la grille. Je pensais que pendant ce temps mes palpitations de coeur s’arrêteraient. Elles augmentaient, au contraire. Je manquai tourner bride, mais depuis quelques minutes, d’une fenêtre voisine, une femme me regardait curieusement, voulant savoir ce que je faisais, réfugié contre cette porte. Elle me décida. Je sonnai. J’entrai dans la maison. Je demandai à la domestique si Madame était chez elle. Presque aussitôt, Mme Grangier parut dans la petite pièce où l’on m’avait introduit.

      Je sursautai, comme si la domestique eût dû comprendre que j’avais demandé « Madame » par convenance et que je voulais voir « Mademoiselle ». Rougissant, je priai Mme Grangier de m’excuser de la déranger à pareille heure, comme s’il eût été une heure du matin : ne pouvant venir

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